Commençons par une question : comment se fait-il que le consommateur tunisien, réputé pour sa méfiance envers bien des choses de la vie commune, néglige un domaine comme l'alimentation, qui est d'une importance vitale pour lui et sa famille ? A la veille de la nouvelle année, les illustrations présentant l'état de délabrement des garages, taudis et autres lieux que des rats trouveraient repoussants ont été découvertes un peu partout par les autorités sanitaires. Ces lieux servaient de «laboratoires» pour la fabrication des gâteaux de fin d'année ! Supposons que ce sont là des circonstances exceptionnelles et voyons ce qui se passe tous les jours sous nos yeux et que, par habitude, nombre d'entre nous a fini par trouver ces scènes quotidiennes banales. En pleine canicule, devant une épicerie ou même une grande surface huppée, des montagnes de bouteilles d'eaux minérales ou de boissons gazeuses, du lait ou des cageots de yaourt sont débarqués sur le trottoir. Elles sont destinées à la vente et les chargés de la manutention mettront au moins une heure pour les mettre à l'abri. Mal stockés, mal conservés Il pleut des cordes et les mêmes fournisseurs refont le même manège, alors que les voitures qui passent éclaboussent de boue toutes sortes de victuailles destinées à la consommation humaine. Aux heures de livraison, des véhicules équipés d'une «cabine frigorifique» déposent ou livrent à longueur de journée des produits et marchandises destinés à la vente. Ces véhicules de transport n'ont de frigorifique que le nom. Leurs cabines sont très rarement équipées de systèmes de refroidissement tel que l'exige la réglementation en vigueur. Cela suppose que laitages, viandes blanches ou rouges, poissons, gâteaux etc... n'ont aucune protection et leur durée de vie est réduite au minimum, s'ils ne sont pas déjà à moitié altérés et qu' un être humain ou même un animal ne pourra plus les consommer. Les grandes surfaces, de par leur taille et leur poids sur le marché, grâce à la réputation de leurs enseignes, trouvent toujours un moyen de s'en tirer. Les épiceries, comme nombre de celles qui tiennent ce genre de commerce, se munissent d'une épingle et n'hésitent pas à perforer délicatement un pot de yaourt pour éviter qu'il ne se gonfle, signe de son pourrissement. De toutes les façons et au vu des frais qu'occasionnent les vitrines réfrigérées, le courant est coupé la nuit. Cela fait des économies. Le consommateur n'aura qu'à s'adresser à la pharmacie la plus proche pour se soulager de son intoxication. L'écart entre la température de stockage et celle qui règne à l'extérieur, surtout par saison chaude, est porteuse de risques pour tous les produits de consommation humaine. Cette chaîne du froid suppose un certain nombre de précautions, lors des opérations effectuées sous température dirigée au moyen d'équipements frigorifiques. Les différents maillons (entrepôts, véhicules, vitrines d'exposition, etc..,) commencent avec la récolte et se terminent par la fabrication du produit, son stockage et enfin sa consommation. La rupture de cette «chaîne du froid» entraîne des risques d'intoxication alimentaire. Le dépassement de la température adéquate entraîne en effet la prolifération de certains germes et bactéries pathogènes, lorsque les aliments sont exposés à des températures supérieures à celles recommandées. Des risques énormes Rien qu'à voir les dépôts pris en flagrant délit de spéculation et le désordre qui y règne, on se rend compte que le stockage qui a pour finalité la conservation est aléatoire, voire inexistant. On ne stocke pas pour le plaisir, dit-on, mais pour pouvoir utiliser ensuite. Le stockage se fait à température ambiante, mais à l'abri de la lumière et de l'humidité. Combien y-a-t-il de vitrines réfrigérées sur lesquelles les rayons de soleil se reflètent durant de longues heures ? Des sachets de biscuits ou de chips sont exposés sur des présentoirs à l'extérieur par tous les temps. Les parents ne réagissent pas lorsque leurs enfants vont y puiser sans se rendre compte du danger que cela représente. La marchandise est servie, sans aucun respect pour la rotation des stocks et une boite de conserve, un sachet de pâte peut rester exposé un an sans être vendu en raison de cette absence de précaution. Tout cela aux dépens de la santé du consommateur. D'autres exemples aussi édifiants pourraient être donnés, mais au final le consommateur doit se défendre en évitant d'acheter de l'eau en bouteille empilée sur le trottoir, de la viande exposée aux quatre vents et assaisonnée de poussière à longueur de journée, de consommer un morceau de gâteau qu'on lui sert immédiatement après avoir déposé un balai et sans se laver les mains, refuser des produits que l'on manipule à mains nues, etc... Ceux qui mangent dehors courent des risques. Ils doivent bien regarder au fond de leurs assiettes. Pour ne rien jeter on reconditionne et on s'adonne à de savants mélanges. Les gargotes poussent comme des champignons mais la qualité reste en deçà de ce qui est exigé. Rares ceux qui gardent leur distance de ces gangs de la consommation. Ceux qui achètent n'importe où et n'ouvrent pas les yeux, pressés de rentrer pour préparer le repas de la famille, courent des risques. Les étiquettes voltigent et se chevauchent. Ce n'est pourtant que la partie émergée de l'iceberg. La qualité de l'eau Il y a des phénomènes que nous ignorons, que nous ne voyons pas et que la science nous révèle. D'après le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), «la médiocrité de la qualité de l'eau potable et la crainte de la contamination ont poussé les Tunisiens à recourir aux eaux embouteillées. Le forum précise que les ventes d'eau en bouteille sont passées de 879 millions de litres en 2010 à 3.275 millions de litres en 2022. Ce qui représente la vente de 676 millions de bouteilles par an, plaçant la Tunisie au 4e rang mondial en termes de consommation d'eau minérale. La consommation moyenne d'eau en bouteille par personne est autour de 227 litres par an. Pourtant, une étude récente révèle une présence alarmante de «nanoplastiques» dans l'eau en bouteille ! L'alternative qui a poussé le consommateur tunisien à se tourner vers les eaux en bouteilles, en raison de la qualité de l'eau potable de la Sonede, est devenue un sujet préoccupant. «Une étude récente en France, parue dans la revue scientifique Pnas, a mis en lumière une quantité de nanoplastiques bien plus élevée que prévue dans ces eaux. Les chercheurs ont découvert une moyenne stupéfiante de 240 000 fragments plastiques par litre d'eau, après avoir examiné plusieurs marques réputées. Cette découverte interpelle quant aux risques potentiels pour la santé humaine. Les scientifiques, qui ont analysé trois marques différentes, sont arrivés à la conclusion que la présence de nanoplastiques pourrait être un problème généralisé. Les résultats ont varié entre 110.000 et 370.000 particules par litre. Même les eaux de robinets en contiennent, mais en quantité beaucoup moindre. C'est dire que la nature, que nous négligeons, que nous polluons sans remords ni regrets, est en train de se venger».