La privation du conseil fiscal de son droit au travail et le fait d'obliger une catégorie de contribuables, en violation des articles 20, 21 et 108 de la Constitution, à faire appel à des non-spécialistes en matière fiscale constituent un cas de violation des droits de la défense L'Institut tunisien des conseils fiscaux a déposé, au mois de mars dernier, huit recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif contre le chef du gouvernement, le ministre des Finances et le ministre de la Justice. Il a, en outre, déposé environ 28 requêtes auprès du ministère chargé de la Lutte contre la corruption et de l'Instance nationale de Lutte contre la corruption pour dénoncer les abus des fonctionnaires corrompus ainsi que la corruption fiscale qui coûte annuellement au trésor public quelques milliards de dinars. En vertu de l'article 1er de la loi n° 60-34, relative à l'agrément permettant l'exercice de la profession, les conseils fiscaux sont habilités à accomplir, en faveur des contribuables, les formalités fiscales, à les assister, à les conseiller ou à les défendre auprès de l'administration fiscale ou devant les juridictions fiscales. Ils sont, également, autorisés à accomplir des missions d'audit, d'expertise judiciaire et d'arbitrage dans ce domaine. En outre, ils sont qualifiés pour assister l'entreprise lors de la mise en place d'un manuel de procédures fiscales. Violation des droits de la défense Cependant, ce droit de représenter le contribuable devant les juridictions fiscales, qui est normalement du ressort du conseil fiscal, est affecté par la loi n° 2006-11 qui a été votée dans des conditions suspectes, selon l'Institut tunisien des conseils fiscaux, et qui oblige le contribuable à désigner un avocat, lorsque le montant du litige fiscal dépasse 25.000 dinars, ce qui est absurde aux yeux de ce dernier. Cette mesure viole les dispositions des articles 2 et 6 du pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ainsi que celles des articles 2, 14 et 26 du pacte international sur les droits civils et politiques. On saisit mieux la portée de cette violation lorsqu'on sait que le conseil fiscal a exercé ce droit durant 45 ans. En outre, la privation du conseil fiscal de son droit au travail et le fait d'obliger une catégorie de contribuables, en violation des articles 20, 21 et 108 de la Constitution, à faire appel à des non spécialistes en matière fiscale constituent un cas de violation des droits de la défense. Dans un arrêt de cassation, le Tribunal administratif a donné droit au conseil fiscal d'assister le contribuable devant les juridictions fiscales lorsque le montant du litige dépasse 25 000 dinars, mais uniquement en présence d'un avocat. De plus, ce tribunal a jugé que la loi régissant la profession n'a pas été modifiée par la loi n° 2006-11 qui a privé les conseils fiscaux et les contribuables de leurs droits fondamentaux. Il est à rappeler que dans le cadre de la première version du projet de la loi de finances pour la gestion 2016, le ministère des Finances a préparé une proposition visant la modification des articles 57 et 67 du code des droits et procédures fiscaux, modifiés auparavant par la loi n° 2006-11, afin de restituer au conseil fiscal son plein droit de plaider devant les juridictions comme c'est le cas en Europe et particulièrement devant la Cour de justice des communautés européennes. Mais, cette proposition a été supprimée par le Conseil des ministres suite à l'intervention du bâtonnier. Sachant, d'autre part, que la loi régissant la profession a été modifiée en 2001 pour remplacer la procédure d'agrément par un cahier des charges qui est, en réalité, sans charges et non conforme à l'article 3 du décret n° 93-982. « La loi de la jungle » a fait que le projet de loi portant réorganisation de la profession est aujourd'hui bloqué sans motif à la présidence du gouvernement qui est apparemment peu soucieuse du chômage des milliers de diplômés en fiscalité, toujours d'après l'Institut tunisien des conseils fiscaux. Cette situation donne lieu à de graves dépassements, puisqu'elle « encourage les escrocs et les corrompus à exercer la profession devant l'administration et les juridictions en toute impunité ». Planification de la disparition de la profession Ces chômeurs parmi les diplômés en fiscalité sont privés de s'établir pour leur propre compte du fait des « pratiques criminelles de ces escrocs et leurs complices au sein de l'administration » qui refusent de les dénoncer devant le ministère public au sens de l'article 29 du code des procédures pénales ainsi que l'article 9 de la loi régissant la profession qui oblige le Ministre des Finances à les dénoncer devant les juridictions pénales. Des experts du métier parlent même d'une planification de la disparition de leur profession, surtout après la remise dernièrement d'un rapport au ministre des Finances par un expert-comptable retraité, en situation de conflit d'intérêts, visant la suppression de la profession et l'extension de la mission de l'expert-comptable pour lui permettre de jouer le rôle de l'avocat, du conseil fiscal et du notaire. Ces experts soutiennent, également, que des parties corrompues travaillent depuis des dizaines d'années sur ce projet pernicieux, et ce par l'octroi de l'agrément de conseil fiscal à des personnes interdites et en situation d'incompatibilité. A titre d'exemple, elles ont permis à des individus, relevant de cette catégorie, de créer des sociétés de conseils fiscaux dont les associés ne font pas partie de la profession. Ces « corrompus » refusent, jusqu'à ce jour, d'assainir la liste des conseils fiscaux qui comprend des personnes décédées, des fonctionnaires ainsi que des comptables qui sont interdits de fournir des services de conseil fiscal. Elles refusent, également, de modifier les articles 39, 42, 60 et 130 du code des droits et procédures fiscaux qui permettent aux « escrocs et aux corrompus » d'intervenir dans les dossiers fiscaux. Vu le blocage dont souffre leur profession, depuis au moins 1994, les conseils fiscaux ont sollicité l'intervention de plusieurs organisations internationales, œuvrant dans le domaine des droits de l'Homme et la lutte contre la corruption, notamment le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à Genève, pour soutenir leurs demandes relatives à la restitution de leur droit de plaider devant les juridictions fiscales, sans conditions. Ils tiennent à souligner que la Confédération fiscale européenne (CFE) leur a communiqué une lettre de soutien dans ce sens en 2013. Devant cette situation, ils ont saisi le Comité des droits de l'Homme des Nations unies. Cette démarche qu'ils ont empruntée s'explique par le fait qu'il n'existe aucune voie de recours devant les juridictions nationales pour réclamer leurs droits fondamentaux violés, dans le cadre de la loi n° 72-40 régissant le Tribunal administratif, la loi n° 2006-11 portant modification des articles 57 et 67 du code des droits et procédures fiscaux, l'article 15 du code de la TVA, l'article 54 du Code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés (Irpp et IS) et l'article 19 de la loi de finances pour la gestion 2015, et ce en violation de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils. Sachant que la nouvelle constitution tunisienne n'a pas prévu de procédure de recours à ce titre.