Par Abdelkader KACEM(*) Dans un monde libéral, l'individu serait-il en mesure de choisir la voie objective la mieux adaptée à ses intérêts propres ? Ses choix seront-ils toujours profitables à sa nation ? A l'environnement qui l'entoure, etc. ? La question semble facile et indique que dans un tel environnement on est maître à bord de nature à fixer nos orientations selon notre propre volonté. Mais, réellement, la question est plus complexe car l'homme est cantonné par son milieu. Finalement, on se rendra compte que personne n'est totalement libre sauf dans le cadre d'un cercle très restreint où ses choix sont orientés par les usages, les coutumes, les lois et les règlements qui le coiffent. En définitive, c'est l'environnement qui détermine l'essentiel de nos choix. Mutées dans d'autres lieux et libérées des contraintes habituelles, les personnes se comportent et agissent souvent différemment. Cette question philosophique de taille est déterminante pour l'avenir des générations, leur éducation, leur profession et le sort de la nation toute entière. On dit souvent que l'avenir est entre les mains des personnes studieuses et courageuses qui se lèvent tôt. Mais, il s'annonce que souvent notre avenir est conditionné en partie par le hasard où on fait des choix heureux en rapport avec les circonstances offertes et, parfois, on réalise à l'opposé des actions contraires à nos intérêts personnels et collectifs. Pour développer cette question, on parlera de quatre notions fondamentales. On évoquera d'abord les limites des choix des personnes en précisant comment l'environnement d'ensemble dans lequel on évolue conditionne nos marges de manœuvre et détermine l'orientation principale de notre destinée. On parlera ensuite, en exemple, de l'approche contradictoire de l'homme en regard de l'environnement naturel qui l'entoure. Puis, il serait question des approches professionnelles parfois différentes d'une région à l'autre. Et enfin, le dernier point s'intéressera au regard contradictoire des populations envers la politique et l'intérêt national. L'environnement conditionne l'essentiel de notre destinée : La nature n'arrose pas les terres du globe terrestre, pourtant unique, de façon équitable. Par endroit on est servi à l'excès, dans d'autres on en profite suffisamment, plus loin moins et par endroit rien du tout. On dirait que le bon Dieu agit de la sorte pour offrir des richesses différentes dans les endroits les moins lotis en pluviométrie. Ça serait le cas des zones riches en énergies liquides et solides, des mines multiples, des minerais, des matériaux précieux, des pierres rares, des richesses halieutiques, etc. En fait, réellement, la nature fait de sorte que chaque région de la terre dispose de suffisamment de richesses pour produire des biens différents des autres de nature à servir les populations y habitant et répondre indirectement aux besoins du reste du monde. Il appartient de ce fait aux différentes régions de développer les investissements et la coopération pour faire les échanges des biens et services disponibles chez les uns au profit des autres populations pour répondre à leurs besoins et offrir à chacun en contre partie les moyens de sa subsistance. Les économistes de renom (les néoclassiques) ont exploité cette idée pour développer les théories des «avantages comparatifs» où chaque pays a l'avantage de se spécialiser dans la production des biens et des services pour lesquels il est le mieux loti puis il fait des échanges au moindre coût. Théoriquement cette formule conjugue trois avantages importants, à savoir la réussite économique de chaque pays, le plein emploi et l'optimisation des paramètres prix-qualité-rendement aux consommateurs. Mais, l'inquiétant c'est qu'au plan économique, financier, culturel, technologique et scientifique, les différentes régions se trouvent différemment loties du fait d'une approche humaine divergente et d'un contexte social et économique privilégiant les uns par rapport aux autres de sorte que cette formule des «avantages comparatifs» fonctionne peu, sinon pas du tout dans certains pays. Ce déséquilibre persistant est comblé en partie par les échanges, la coopération, les aides et le soutien extérieur des pays en excédent. Mais, le fossé demeure faute d'un développement suffisant des pays en retard. Ces insuffisances impactent l'environnement humain qui profite en définitive d'un terrain moins favorable à l'épanouissement personnel, culturel, social et économique, créant peu d'occasions d'évolution pour les générations. De ce fait, les personnes se situant dans les zones en besoin vivent un environnement d'ensemble peu propice au développement général qui limite les opportunités de choix et les chances du succès. Pour favoriser de meilleures occasions et se rapprocher des niveaux optimums enregistrés par les mieux lotis dans les zones privilégiées, ces personnes doivent fournir des efforts multiples et coûteux physiquement et matériellement, ce qui n'est possible que pour une minorité. L'approche contradictoire en regard de l'environnement naturel L'existence humaine et animale induit des rejets polluants et des déchets multiples à tous les niveaux de la vie. L'impact des pollutions évolue au rythme du développement industriel, du parc des machines et du rejet des usines des pays en rapport. Il est mesuré par le CO2 dans l'atmosphère. Les Etats-Unis et la Chine seraient les premiers responsables au monde à ce niveau. Dans les pays en développement, les mesures du CO2 dans l'atmosphère sont tolérables du fait d'une moindre mécanisation, mais les pollutions physiques visibles à l'œil nu dans les terres, les mers et les espaces publics sont inquiétants, impactant le tourisme, l'agriculture, défigurant les espaces et les comportements humains, faute de stratégies et de moyens suffisants pour la collecte et le traitement des déchets. Ces pollutions ne sont pas que déchets, elles sont présentes aussi dans les constructions longtemps inachevées, les bâtiments anarchiques, les routes exiguës, les marchés parallèles, l'agressivité verbale, l'insécurité, etc. En dehors d'une éducation adaptée des populations, ce phénomène gagne du terrain progressivement devant l'insouciance, l'indifférence et le manque de sensibilité des habitants. Les pollutions sont induites aussi par la surexploitation des sous-sols et des mers. Au-delà de l'épuisement avancé des ressources naturelles, les champs en ruine se trouvent souvent après exploitation dans un état de dégradation extrême irrécupérable pour les générations futures. Aux dires des experts, plusieurs ressources naturelles sont aujourd'hui épuisées ou sur le point de l'être. Au mieux, on nous annonce encore quelques dizaines d'années pour le pétrole, notamment, allant jusqu'à 2050. Pour la pêche les études prédisent la disparition totale des poissons dans une trentaine d'années en raison des résidus toxiques et des surexploitations halieutiques si l'on continue les pratiques actuelles. Le problème c'est que tout le monde est sensible au danger des pollutions, au besoin d'éducation, discute des freins qui handicapent les bonnes volontés et des moyens pour y faire face, mais en parallèle les personnes agissent peu, sinon pas du tout. Les familles se contentent de nettoyer à l'intérieur de leurs maisons et rejettent les déchets pas loin de chez eux. Les entreprises minières à la recherche de gain abandonnent les terres sans vie après exploitation. Entre-temps, les pollutions galopent détruisant la morale d'ensemble, les cultures, les terres et les mers, menaçant la santé humaine, la stabilité et bloquant l'épanouissement et les initiatives des personnes qui, sous d'autres cieux, jouissent d'une nature parfaite. Comment expliquer que l'homme, libre de choisir, conscient des dangers et des bonnes mesures fait des actions contraires à ses intérêts propres et à ceux des autres ? Cette liberté individuelle serait-elle un obstacle aux libertés collectives ? Et en définitive, méritons-nous tant de liberté pour simplement nous détruire et nuire à autrui ? Des approches professionnelles différentes La notion de conscience et d'investissement professionnel nous met aussi devant des choix relatifs au travail, à l'investissement, à l'éducation, à la culture et au rendement. Sommes-nous toujours à la hauteur des missions qui nous sont confiées ? Avons-nous des rendements croissants pour mériter des améliorations de revenus? Ou sommes-nous moins productifs, pénalisant les entreprises, les emplois et la croissance nationale ? Les études comparatives montrent que les rendements sont divergents d'un pays à l'autre. Ils sont en gros dans l'ordre du simple au multiple selon les pays, les secteurs et les métiers. Alors pourquoi les uns réussissent bien et les autres beaucoup moins ? En fait, le rendement des affaires est déterminé par plusieurs facteurs endogènes et exogènes. Pour les uns cela dépend de nos choix, pour les autres cela dépend de l'environnement interne et externe qui échappe à notre contrôle. L'investissement personnel, l'éducation, la culture, l'intérêt porté au métier, la collaboration avec les équipes, les recherches, les comparaisons avec les autres, le retour sur expérience, l'assiduité, le sens du devoir, l'amélioration permanente de la qualité, le progrès technique, les possibilités de soins, etc. sont des éléments de nature à maximiser la productivité et le rendement des affaires. Les personnes usant de ces éléments enregistrent des performances quels que soient le secteur, la région et le pays. L'expérience prouve que les personnes peu productives par endroits seront suffisamment rentables lorsqu'elles s'introduisent dans des circuits professionnels adaptés notamment en mutant d'un pays pauvre à un autre développé. Plusieurs pays sensibles à ces facteurs enregistrent un revenu annuel moyen par habitant proche de 50.000 USD en PPA (les USA 2009), d'autres à l'extrême moins performants se situent dans des limites 150 fois inférieures (le Congo 320 USD en 2009). En exception, le Qatar, riche en pétrole, enregistre un PIB (PPA) de 145.891 USD (2013). Le PIB de la Tunisie par habitant en parité de pouvoir d'achat (PPA) est de l'ordre de 11.300 USD en 2014 (il se situe dans la moyenne mondiale de l'ordre 10.686 USD en 2009). Ce revenu est mesuré par notre capacité à acquérir les biens sur le territoire national en comparaison des autres pays. On est classé 77e dans le monde. En fait, la parité de pouvoir d'achat (PPA) signifie qu'une même devise peu acquérir un même bien ou ses multiples en changeant d'un pays à un autre. Un pain, par exemple, coûtant 230 millimes en Tunisie vaut l'équivalant de 2.500 millimes en France. Dans ce cas, notre PPA pour le pain est 10 fois mieux qu'en France puisque le pain est 10 fois moins cher. Dans d'autres cas, c'est l'inverse. L'approche contradictoire envers les politiques Dans le monde, les électeurs sont très sensibles aux promesses et à l'allure des personnes candidates. Ceux qui arrivent à les faire rêver gagnent les élections. Dans certains pays libres, les candidats invitent leur famille, leurs amis et des personnes influentes pour les vanter auprès du public et raconter leur galanterie, succès et efficacité. Ils font également de la publicité indirecte pour montrer qu'ils sont incontournables. Ils essayent aussi de fouiller dans la vie des autres pour les freiner, etc. Et ça fonctionne. Mais, souvent les candidats élus font d'autres choix et ne respectent pas les promesses des élections. Ils seront contraints naturellement par la réalité des événements et les contraintes extérieures. D'où les déceptions du public. Beaucoup de personnes s'interrogent aujourd'hui sur la nature des électeurs qui n'aiment pas la vérité et la sincérité. Lorsqu'une personne de cette nature, en campagne électorale, fait des discours vrais sur la réalité des choses, les difficultés d'une nation, sollicite des sacrifices nécessaires, demande la compréhension des citoyens, etc., mesures qui seront réellement appliquées ultérieurement par les autres, il ne sera pas élu simplement parce que les électeurs ne sont pas réalistes. Les philosophes et les sociologues s'interrogent, à cet effet, aujourd'hui si les électeurs du monde moderne sont réellement libres et font des choix réalistes, fixent des objectifs conformes à leurs souhaits et aux besoins de la société. Ou au contraire, ils sont irrationnels, évitent la réalité des événements difficiles et continuent de commettre des erreurs qui pénalisent les personnes sincères qui autrement feraient du bien pour la nation. Quel serait alors le meilleur choix en définitive ? Celui de la vérité, même amère, pour se rendre solidaire, corriger et avancer ou le maquillage déroutant et improductif ? L'expérience prouve que les personnes se rendront compte malheureusement tard lorsque les coûts deviennent lourds. Nous souhaitons aujourd'hui que les Tunisiens ne commettent plus les mêmes erreurs, retiennent les leçons du passé, se mettent sérieusement au travail pour rendre la vie plus juste, épanouissante, moins chère, plus propice à l'emploi et seront suffisamment lucides pour être solidaires définitivement avec leur gouvernement, la nation entière et les personnes sérieuses en action. Une telle solidarité, investissement et lucidité vaincront les difficultés les plus coriaces et rendront la vie plus belle simplement. Que Dieu, le Miséricordieux, protège notre cher pays des malédictions et préserve l'ensemble de nos enfants de tout mal Inchallah, durablement. A.K. * (Cadre bancaire retraité)