Foued Ajroudi nous attire dans une poésie en deux tons ; le premier justifie le nom du recueil en se réservant à quelques alter-ego, des êtres très proches qui continuent à le marquer ; le second révèle une poésie qui s'attaque de volte-face à toutes les formes de jougs, un véhicule d'accusations poignantes lancées à la figure des tortionnaires présents, passés et à venir. Dans les deux cas, il est hanté par le souvenir «Je retourne à la poésie avec une fringale incommensurable, poussé par l'identité étrange née entre le Moi et la Patrie dans un pays qui semble avoir perdu la mémoire...», confesse l'auteur, peut-être pour «guider» le lecteur alors que sa poésie ne fait que scander les battements désordonnés de la confusion. Une poésie que l'on découvre construite, au fil des pages, en vrai exutoire où une mobilisation intime du poète y met sur pied un mécanisme complexe qui sert à juguler un genre d'excédent. Au fur et à mesure, on parvient à comprendre que ce drainage devient la règle, qu'il se mue en ventilation avant de finir comme la généralisation d'un dérivatif à tout ce qui le gêne et l'embarrasse. Seulement Ajroudi n'est pas un prêcheur d'oubli en révélant une poésie qui s'attaque de volte-face à toutes les formes de jougs : «Tends tes mains Brise tes chaînes Piétine les souvenirs...» Les tambours de la guerre de l'en-Soi Des accusations poignantes lancées à la figure des tortionnaires présents, passés et à venir : «Qui êtes-vous D'où venez-vous Vous êtes en dehors du temps Et la gloire des ancêtres N'afflue plus dans votre sang...» Une quinzaine de poèmes qui s'écoule en grande partie dans ce sens : Ne te rebelle pas, Ne t'en va pas, Leyla, dans l'aéronef, Qui êtes-vous, quatre années de disette et un espoir, Mona, Au carrefour, vingt et un, Asma, ô patrie, debout pour le printemps, Une rose assoupissement, sur la rive de la souveraine. En vérité, Foued Ajroudi nous entraîne sur les chemins escarpés, et non pas oniriques comme il est d'usage, d'une poésie à la musicalité qui rappelle, non pas la lyre des retraites introverties, mais les tambours de la guerre de l'en-Soi, dans une recherche fiévreuse de repères, de balises et, pourquoi pas, d'archétypes, alors que ses vers finissent à chaque fois par revenir planer sur les traces de la confusion ambiante. Maintenant, il faut aimer le genre militant, à fleur de peau, empli d'états d'âme... Mais revenant à plusieurs reprises sur ceux qui justifient le nom du recueil, «Les plus beaux noms». Ce sont quelques alter-ego, des êtres très proches, qui continuent à le marquer en balisant une vie attentive au gouffre de la confusion occasionnée par tout ce qui nous entoure ; cette réalité de tous les jours que l'homme «moyen» finit par assimiler mais que les plus sensibles d'entre nous trouvent radicalement ardue. L'Autre, la Patrie, les espoirs... Il faut dire que ce chemin de sensibilité et de commerce de vocables est emprunté depuis des années par l'auteur. Longtemps, très longtemps avant de s'éprendre du journalisme, comme vocation et comme ferveur, Ajroudi avait ‘'prononcé'' des vers, allant déjà au-delà de la langue triviale, un peu comme si l'on concédait que la poésie, dans son essence la plus intime, n'est autre que la langue de la langue. Quand nous parlons, vous et moi, c'est notre langue qui s'exprime, mais quand la langue elle-même s'incline à l'expression, son idiome ne peut alors être que la poésie ; ces textes le plus souvent sibyllins que les poètes ont plaisir à déclamer pour nous emplir de cette douce confusion que l'on ressent devant les belles choses que nous ne savons identifier, mais pas expliquer. Introduisant le recueil, Néji Jalloul cogite sur ce processus quasi mystérieux qui a révélé le poète dans un journaliste qui, jusque-là, n'avait jamais pratiqué que la prose qu'enfante habituellement le journalisme dans l'être de ses disciples les plus fervents. Des attitudes, des images... Le Soi, l'Autre, la Patrie... Les peines, les frustrations, les espoirs... La poésie de Ajroudi a mis tout cela en équation et a fini par privilégier le quasi adage qui postule que le meilleur moyen de se défendre (et défendre la patrie, les intimes, les espoirs) est d'attaquer : «Comment votre raison s'est-elle tarie Vous avez haï la vie Vos cœurs se sont crépis Vous êtes devenus des armes Aux mains des ennemis...». L'ouvrage «Les plus beaux noms», 2016, Par Foued Ajroudi Editions Nouvelle Tunisie