La poésie de Ahmed Ben Mahmoud, médecin de profession, s'adresse autant à l'âme que la vie a malmenée qu'au corps que la vie a usé. Son premier recueil, Feuilletis, inventé de toutes «lettres» par le poète, est un galimatias embrouillé mais pas confus des premières impressions recueillies à froid dans une spontanéité et un naturel déroutants. Feuilletis est un hymne à la gloire de la nature et des quatre éléments qui la constituent : l'air, le feu, la terre et l'eau que les Anciens, autrefois, considéraient comme les composants ultimes et fondamentaux de la réalité de l'univers. Ici, le poète a usé à satiété, sans pour autant susciter la lassitude du lecteur, l'eau, qui sommeille, le feu qui consume ceux qui corrompent la vérité, l'air qu'on respire et la terre avec les phénomènes géologiques. C'est ainsi que la poésie de Ben Mahmoud perçoit par le sens et l'esprit l'être humain dans toute sa dimension réelle et permanente. Un postulat indémontrable qui glorifie l'homme dans ce qu'il a de meilleur, de plus subtil et de plus parfait. Sa poésie, loin d'être galante ou d'inspiration amoureuse, nous entraîne dans les profondeurs tumultueuses de l'âme encore sous le joug des passions secrètes qui la dévorent. Des passions intimes, non encore délivrées des attributs propres à son humanité dans toutes ses faiblesses, ses cruautés et ses rigueurs. «Vaine destination L'autre côté de soi-même Et ce corps et ce mât battus par les vents Le rivage de l'étranger est dans ce miroir embrumé Les mots s'enflamment au feu de l'exil La parole intronise le silence froid L'ancre entre deux terres Disperse les deux dernières Senteurs de jasmin …Entre deux visages» Feuilletis est un condensé de feuillets magnifiant et sublimant une tendance où l'auteur dépeint la destinée humaine comme étant un voyage à partir d'une source en direction à un rivage à bord d'un vaisseau naviguant dans la lumière rutilante et aveuglante d'un soleil à son zénith et l'hypogée souterrain d'une nuit sans lune. C'est ainsi qu'il exhorte le lecteur à se dévisager dans son propre miroir, osant de la sorte exalter et magnifier l'espoir en sa résurgence. Les rivières nues charrient deux syllabes de cristal Felouques aux rames d'argent Façonnant nos corps, nos cœurs Nos cris de liesse Au bout des calames de feu et de flammes Le jaillissement des mots, l'embrasement L'ivresse ! E le poète de conclure : L'homme, le front au ciel Le regarde une dernière fois Avant de renaître De ma vie je n'ai revu La douce dune Qui m'a vu naître Pourvu que résiste Ô la fenêtre bleue Qui m'a vu un jour partir La poésie du docteur Ahmed Ben Mahmoud nous donne à partager, précise-t-il, une parole qui nous engage et qui est profondément humaine et belle. —————————— * Feuilletis, poésie de Ahmed Ben Mahmoud, L'Harmattan, Paris 2010.