M. Youssef Chahed, chef du futur gouvernement d'union nationale désigné, a du pain sur la planche. Bientôt trois semaines qu'il rame pour concevoir son gouvernement, sans pouvoir se départir de la mainmise des partis politiques. En fait, il semble tout faire pour faillir. Désigné par le président de la République le 3 août 2016, il dispose d'un mois pour former son cabinet. Or, il aurait dû fixer les règles du jeu dès le départ. Comme allouer aux partis le strict minimum au niveau des portefeuilles ministériels. Et le faire savoir à large échelle, quitte à prendre l'opinion à témoin. Or, M. Youssef Chahed a préféré s'en remettre aux partis en leur demandant de lui présenter des listes de personnes ministrables: «Ce faisant, je mets la pression sur eux», m'a-t-il déclaré la semaine dernière. Or, il l'ont noyé de centaines de noms, réclamant chacun plusieurs portefeuilles et menaçant d'une manière à peine voilée de faire capoter son gouvernement lors du nécessaire vote de confiance devant le Parlement. Les jours défilant à une allure de politicien pressé, la pression change de fusil d'épaule. M. Youssef Chahed se retrouve d'une certaine manière dans une position inconfortable et périlleuse, dos au mur. «Les portefeuilles ministériels à la carte ou l'échec», lui murmure-t-on volontiers entre les dents. Autrement, la bourse ou la vie. Et les prétendants ministrables sont précisément nombreux et portent plusieurs casquettes. C'est dire si Youssef Chahed se retrouve en présence d'un choix cornélien. Subir le diktat des partis au risque de commencer là où son prédécesseur avait failli, ou prendre son destin en main. Jusqu'ici, il ne s'est pas ouvertement prononcé. Mais il semble plutôt enclin à céder aux partis politiques, Nida Tounès et Ennahdha en prime. Et il risque de reconduire un gouvernement Habib Essid bis. Une autre manière de ne pas ressortir de l'auberge de la partitocratie et de l'échec. Ce dont le pays a besoin, c'est d'un véritable gouvernement de sauvetage. Des pans entiers de l'économie et des institutions s'écroulent et menacent ruine. Les clignotants sont au rouge, partout. Les finances, la dette publique, les infrastructures, l'électricité, l'eau, le pouvoir d'achat sont sinistrés ou en panne. Les hautes expertises sont plus que nécessaires. Or, que proposent les partis politiques sinon, encore une fois, des segmentations tribales ? De quels grands noms disposent-ils, eu égard aux urgences et priorités ? Et puis qui diligente les partis politiques proprement dits ? Nous sommes en plein registre pathologique et kafkaïen. Les mauvais archets jouent les premiers violons dans le concert de la politique politicienne. On floue, on accapare, on brade. Youssef Chahed joue à quitte ou double, sur fond de roulette russe. Ou il prend le taureau par les cornes et met en place un gouvernement de compétences alimenté par une infime représentation partisane, ou il sombre dans les méandres des segmentations partisanes. Il n'a pas d'autre choix. Dès le début, un one way ticket pour la déchéance ou la gloire. En d'autres termes, ça passe ou ça casse. Les prochains jours seront décisifs. Youssef Chahed devrait faire une adresse à la nation, pour faire le point de la situation et prendre à témoin l'opinion. Il n'a rien à perdre et tout à gagner. Et il lui appartient de jouer win win ou à qui perd perd. Il est encore jeune, il peut se transcender. Tout comme il peut attraper une espèce de sénilité politique précoce. Jeunesse fougueuse vaut mieux que sénilité pathologique, dans tous les cas de figure.