Par Abdelhamid GMATI Encore une route nationale bloquée. Cela s'est passé à Fernana (gouvernorat de Jendouba). Des protestataires ont bloqué, vendredi, la route nationale numéro 17 reliant Jendouba à Tabarka. Ils revendiquent le droit de la délégation au développement et à l'emploi et expriment leur solidarité avec le propriétaire d'un café, Wassim Nasri, qui s'est immolé devant le siège de la municipalité de Fernana. Un appel à la grève générale a été lancé et suivi pendant deux jours. Un membre de la famille de Nasri a déclaré que ce dernier «a été admis à l'hôpital des grands brûlés de Ben Arous, et souffre de brûlures de 3e degré. Wassim a subi des pressions de la part de la municipalité de Fernana qui lui avait interdit d'exploiter le trottoir comme terrasse de café». De son côté, le président de la délégation spéciale de la municipalité de Fernana, Houssine Jaziri, a indiqué que la municipalité n'a pas exercé de pressions sur le propriétaire du café, ajoutant que son rôle est d'appliquer la loi dans la zone municipale. En fin de compte, le propriétaire du café n'a pas versé ses taxes et n'applique pas la loi et ne trouve comme solution que de s'immoler. Cela a suffi pour que quelques habitants aient recours à la rue et bloquent une route nationale. Qu'espèrent-ils obtenir ? Et ils ne sont pas les seuls à recourir à «la loi de la rue» pour imposer leurs revendications. Jeudi dernier, des adolescents de la cité Ennour à Kasserine, ne dépassant pas les seize ans d'âge, ont procédé au blocage de la route au niveau de la Cité El Karma, pour exiger... du travail. Alors qu'ils sont trop jeunes pour ce genre de revendications. Au début de cette semaine, à Ben Guerdane, une vague de protestations a été déclenchée à la suite du décès d'un contrebandier tué par l'armée nationale dans la zone tampon. Des actes de violence et de vandalisme ont été commis, causant des dégâts importants, notamment des camions et autres matériels utilisés pour la construction d'une route. L'Union locale du travail de Ben Guerdane a dénoncé, dans un communiqué, les actes de violence qu'a connus la région ces derniers jours, réitérant le droit des habitants de la région à l'emploi et au développement. Que faut-il penser? Des contrebandiers se consacrent à des activités illégales, faisant passer dans notre pays toutes sortes de produits dont des armes et des drogues, n'obtempèrent pas aux ordres des forces de sécurité et militaires, sont protégés par quelques habitants de la région sous prétexte de chômage. Faut-il les laisser faire et alimenter le terrorisme et le trafic pour satisfaire les protestataires ? Là aussi, une illustration du recours à cette «loi de la rue» pour contourner les lois en vigueur. Autre nouveauté, introduite depuis 2011 : le chantage par le suicide. 14 agents de police sont montés, jeudi dernier, sur le toit de la direction régionale de la Garde Nationale à Gabes et ont menacé de se suicider sous les cris de leurs femmes et enfants qui se trouvaient sur place. Les agents menaçaient de se suicider, après 40 jours de protestations au sujet de leurs demandes de mutations et face au mutisme des autorités. Depuis janvier 2016, le Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous a accueilli 16 immolés qui ont des revendications sociales. D'après le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), en 2015, 302 personnes se sont suicidées et 247 ont tenté de mettre fin à leur vie. 105 personnes se sont immolées dont 56 sont âgés de 16 à 35 ans. Dans un rapport, l'Observatoire social tunisien s'alarme de l'évolution du phénomène : entre 2014 et 2015, le nombre de suicides et de tentatives de suicide a augmenté de 170 %. Depuis janvier 2016, cette tendance se poursuit : 56 personnes se sont suicidées ou ont tenté de le faire, dont 22 par immolation. À l'hôpital des grands brûlés à Ben Arous, on affirme que le suicide par immolation s'explique par «cette illusion de devenir héros, de trouver un travail et de sauver sa famille de la misère. Il faut leur dire que rien de tout ça n'est vrai. La personne qui le fait se trouve, après, dans une situation encore plus dramatique». La présidente de la commission technique pour la lutte contre le suicide auprès du ministère de la Santé, Fatma Charfi, explique : «Les personnes souffrantes et fragiles qui ont accès à ce type d'information peuvent s'identifier au suicidé, surtout si elles sont issues de la même catégorie sociale et ont les mêmes problèmes économiques et sociaux. Ainsi, elles peuvent passer à l'acte par mimétisme, surtout si le suicide a été décrit en termes positifs comme le courage, un passage à la télévision de la famille ou une rencontre avec un haut responsable de l'Etat». On indique qu'à Kasserine et à Gafsa, par exemple, les jeunes chômeurs ont fait une sorte de mise en scène d'un suicide collectif. Ça ne veut pas dire qu'il faut prendre cette théâtralisation à la légère ou encore la stigmatiser. Ce qu'il faut réellement faire est de trouver des solutions réelles aux problèmes économiques et sociaux, explique la sociologue. En fait, tout cela relève du chantage : tous ces mouvements (sit-in, grèves, et autres menaces) dépassent de loin les revendications légitimes. Et ils sont souvent commandités par parties étrangères à la question qui veulent atteindre leurs objectifs en voulant imposer la «loi de la rue». Or la rue n'est pas la démocratie. Notre pays a choisi d'être une démocratie représentative. Le peuple détenteur de la souveraineté l'exerce par ses représentants qu'il choisit librement lors des élections. Tout le reste, y compris cette «loi de la rue», n'est que gabegie et mène au chaos.