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Sur l'islamisation, l'obscurantisme et «l'expectative des laïcs» : Contre le fondamentalisme laïc
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 09 - 2016


Par Mounir Kchaou
Dans son édition du 1er septembre 2016, le journal La Presse a publié une tribune signée par Monsieur Faouzi Ksibi, membre de sa rédaction semble-t-il, intitulée «l'inquiétante expectative des laïcs» dans laquelle il déplore la passivité des laïcs tunisiens et la mollesse de leur réaction face à ce qu'il considère le projet d'une «islamisation» de la société et aux tentatives des partisans de ce projet de dilapider les «avantages acquis» de la Tunisie. Quatre événements, qui ont défrayé la chronique ces derniers mois, sont venus, selon lui, illustrer le constat inquiétant d'une posture d'expectative dans laquelle semblent résolument se complaire les laïcs plutôt que de s'engager dans un combat pour contrecarrer le projet dit «obscurantiste». Les deux premiers ont été une réussite partielle pour le camp des laïcs alors que les deux autres ont été un échec. Le premier concerne l'accord conclu entre le ministère de l'Education et le ministère des Affaires religieuses en vue d'organiser une campagne d'apprentissage du Coran par cœur aux élèves pendant les vacances scolaires d'été, le deuxième concerne l'accord conclu entre le ministère des Affaires religieuses et le ministère des Affaires sociales stipulant que cette dernière s'engage à ouvrir les portes des centre sociaux aux prédicateurs, mandatés par le ministère des Affaires religieuses, pour y répandre la piété. Ces deux accords ont été finalement abandonnés ou suspendus et l'opposition des laïcs y a été sûrement pour quelque chose. En revanche, la nomination récente de l'actuel ministre des Affaires religieuses dans le nouveau gouvernement de Monsieur Chahed ne peut être considérée qu'un revers essuyé par les laïcs puisque ce ministre a déclaré sans ambages depuis 2011 son allégeance au projet de l'Islam politique et son opposition aux projets de société promus par les libéraux, les laïcs et les gens de gauche. Le second événement sonne également comme un échec et une compromission de la part d'une frange des laïcs avec le projet obscurantiste. Il s'agit de la position de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme vis-à-vis de ce qu'elle a considéré comme atteintes à la liberté personnelle dont se sont rendus coupables les hôteliers ayant interdit aux femmes de se baigner toute vêtues dans les piscines de leurs hôtels.
Pour notre part, nous considérons qu' il y a bel et bien, en effet, des raisons de s'inquiéter d'une éventuelle dérive de l'Etat tunisien vers une forme d'Etat religieux ou quasi religieux et nous partageons avec l'auteur de l'article susmentionné cette inquiétude. Néanmoins nous nous démarquons de la violence des propos qui y sont tenus, propos inappropriés, à notre avis, à une presse publique, et de certains arguments qu'il fournit pour appuyer ses positions. L'inquiétude de Monsieur Ksibi est d'autant justifiée, selon nous, que nos élites politiques et intellectuelles semblent préférer des solutions politiques,essentiellement sécuritaires, pour contrecarrer la déferlante islamiste jihadiste plutôt que de situer le combat sur le terrain des idées et de s'engager dans la défense des valeurs de la modernité et en particulier les idées de liberté,d'autodétermination individuelle, d'égalité, de citoyenneté et de pluralisme. En revanche, dans l'analyse du rapport entre le religieux et le politique en Tunisie après la Constitution de 2014 et sur la manière de préserver les acquis de la Tunisie, nous croyons déceler des erreurs d'appréciation importantes et même des incohérences dans la démarche de Monsieur Ksibi.
Laïcité et constitution
En effet, Monsieur Ksibi semble être attaché à l'idée selon laquelle sans laïcité et sans conversion totale des élites aux valeurs laïques point de démocratie et point de modernité. Seule une constitution laïque est à même, à son avis, d'assurer l'égalité citoyenne et la démocratie, revendications de la révolution de 2011, comme il l'a longuement expliqué dans un article précédent publié le 1er janvier 2016 dans lequel il soutient que la constitution de 2014 est minée, dès le départ, par son article premier qui fait de l'Islam la religion de l'Etat tunisien et lui subordonne de fait les institutions étatiques faisant ainsi de l'Etat tunisien un Etat théocratique. Et pourtant dans son article du 1er septembre 2016, Monsieur Ksibi parle des acquis de la Tunisie que les laïcs ne semblent malheureusement pas assez prompts à défendre jusqu'au bout. Et si nous comprenons bien son raisonnement, ni la Constitution de 2014, ni son aînée de 1959 ne peuvent compter parmi «les avantages acquis» des Tunisiens puisque l'article 1, dans ces deux Constitutions, est le même. La Tunisie aurait donc vécu 57 ans sous le règne d'un Etat théocratique adossé à deux Constitutions faisant de l'Islam sa religion. Et pourtant cet Etat a pu, selon Monsieur Ksibi, générer, tout de même, des acquis que les laïcs devraient considérer les leurs et s'engager à protéger et à défendre. La question qui se pose alors est la suivante : la Tunisie n'a-t-elle pas ainsi su montrer au monde que l'on peut faire de l'Islam une religion officielle de l'Etat sans toutefois entraver le développement d'aspects d'une vie moderne pouvant être comptés parmi les avantages acquis dont devraient se satisfaire les laïcs à juste raison ? N'est-ce pas là un démenti de l'idée selon laquelle lorsqu'une religion est établie par une constitution comme religion d'Etat, elle entraîne inexorablement une dérive vers une forme de théocratie ?
Laïcité, pourquoi ?
Quant à la laïcité, qui semble être le modèle idéal de l'Etat démocratique et moderne, pour Monsieur Ksibi, nous tenons à préciser qu'elle doit être envisagée moins comme une fin en soi que comme un moyen au service de fins qui lui sont supérieures. Ce qui signifie que, dans certains contextes politiques, sociaux et historiques, où il s'avère possible de réaliser ces fins sans passer par la voie de la laïcité, il serait tout à fait raisonnable de privilégier d'autres solutions. C'est ce qu'a fait la Tunisie, une démocratie naissante, et également d'autres démocraties bien établies, qui ont préféré d'autres voies que celle de la laïcité. Mais quelles sont ces fins que la laïcité tente de réaliser ?
La première est l'égalité citoyenne. La neutralité de l'Etat vis-à-vis des religions et la séparation de l'Eglise et de l'Etat a eu pour but dans les démocraties laïques d'assurer la neutralité de la fonction publique et de l'école publique conformément aux exigences de l'égalité et du principe de non-Sdiscrimination religieuse. La seconde est la liberté de conscience, l'exigence que la constitution soit libre de toute obédience religieuse vise à déconnecter la citoyenneté de toute croyance religieuse particulière afin de protéger le droit à la liberté de conscience et, bien entendu, le droit de croire ou de ne pas croire sans que la liberté individuelle et les droits civiques des citoyens soient menacés. La troisième est la tolérance, la neutralité de l'Etat vise à consacrer l'idée de tolérance, d'égale acceptation de toutes les religions et la reconnaissance du pluralisme des visions du monde et des conceptions du bien religieuses et non religieuses.
Certains pays, dont notamment la France et les Etats-Unis, ont choisi la voie de la séparation, d'autres ont fait le choix de l'établissement, dans leur constitution,d'une religion ou plus comme religion d'Etat tout en protégeant la liberté de conscience et les droits des autres religions. Nous pouvons citer à cet égard Malte, Etat membre de l'Union européenne, où le catholicisme est constitutionnellement la religion de l'Etat, le Danemark où l'église anglicane luthérienne représente la religion de l'Etat, la Finlande qui reconnaît deux religions officielles de l'Etat, luthérienne et orthodoxe, la Grèce, l'Islande et la Norvège également ne sont pas des pays constitutionnellement laïcs. En Angleterre, malgré l'absence d'une constitution écrite, la loi et la coutume accordent à l'église anglicane et presbytérienne de l'Ecosse le statut de représentantes des deux religions officielles de l'Etat et font du roi le chef de l'église anglicane. En Allemagne, bien que la loi fondamentale de 1949 ait repris les dispositions de la constitution de Weimar 1919, stipulant que l'Etat n'a pas de religion et qu'il garantit à chacun la liberté de choix en matière de culte, cette neutralité confessionnelle de l'Etat n'a pas empêché l'existence d'une coopération étroite entre les deux grandes églises, catholique et protestante, et les pouvoirs publics. Cette coopération se manifeste surtout sur le plan financier. L'Etat permet aux confessions religieuses d'utiliser ses services pour prélever l'«impôt d'»glise» en vue de financer leurs besoins. L'Etat allemand contribue, en plus de ce service, à hauteur de 90 % au financement des établissements scolaires, hospitaliers et caritatifs appartenant aux églises.
Ces exemples montrent, à notre avis, de manière éloquente que le traitement de la relation entre le religieux et le politique est loin d'être monolithique dans les démocraties est qu'il peut cheminer dans des voies autres que celles de la laïcité et de la séparation institutionnelle.
Obscurantisme et réislamisation de la société
Contrairement à la démarche de Monsieur Ksibi, dans l'article intitulé «l'inquiétante expectative des laïcs», qui procède d'une vision «idéal-typique» de la laïcité et qui conclut à l'inaptitude de la Constitution de 2014 de la Tunisie à fournir une base pour évaluer les politiques publiques selon qu'elles contribuent ou non à promouvoir les acquis modernes de la Tunisie, nous considérons que cette Constitution est à même de répondre à cette tâche et qu'elle sera renforcée dans son rôle une fois dotée d'une cour constitutionnelle. Et si nous contestons des politiques et nous nous opposons à des pratiques, des décisions ou des projets de sociétés, ça ne peut être que sur la base de la Constitution actuelle et des possibilités de contestation et d'opposition qu'elle nous offre. C'est pourquoi l'accord conclu entre le ministère de l'Education nationale et le ministère des Affaires religieuses pour organiser pendant la saison estivale dans les institutions scolaires des séances pour faire apprendre par cœur le Coran aux jeunes élèves, nous a semblé inapproprié au moment actuel mais non contraire à la constitution comme prétendent certains. En effet, à la position soutenue par Monsieur Ksibi, qui rejette catégoriquement une telle initiative, nous n'y trouvons aucune menace pour le caractère civil de l'Etat tel que énoncé dans l'article 2 de la Constitution tunisienne. Seulement, nous jugeons nécessaire, en ce moment, de patienter avant de s'engager dans un tel projet du fait que la culture et la formation des cadres et des prédicateurs du ministère des Affaires religieuses est encore loin, à notre avis, d'être en phase avec l'esprit de la constitution de 2014 et des valeurs qu'elle promeut. Nous ne voyons pas dans l'organisation de telles séances d'apprentissage par cœur du Coran le signe d'une islamisation forcée de la société et d'une renonciation au principe de la liberté de croyance. Apprendre le Coran par cœur par des jeunes élèves n'augure rien quant à leur évolution future. Beaucoup de nos camarades de classe, du temps où nous étions élèves, ont excellé dans la mémorisation et la récitation du Coran, sous l'œil vigilant du professeur de l'éducation islamique, et ils ne sont pas devenus pour autant, arrivés à l'âge adulte, des fanatiques ou des obscurantistes. Certains d'entre eux ont même quitté la religion pour adhérer à des idéologies séculières opposées à la religion, comme le marxisme par exemple. L'apprentissage par cœur du Coran, au-delà des considérations d'identité et de spécificité culturelle, apportera sûrement un plus aux élèves sur le plan de la maîtrise de la langue arabe et du développement de la mémoire.
Sur le deuxième et le troisième point, nous partageons l'avis de Monsieur Ksibi que l'accord conclu entre le ministère des Affaires sociales et le ministère des Affaires religieuses pour permettre l'accès des prédicateurs aux centres sociaux de protection des enfants en difficulté et en mal d'intégration était une erreur et l'opposition de la société civile à un tel accord nous semble être tout à fait justifiée. Ces enfants ont besoin d'assistance de la part de psychologues, de pédopsychiatres, d'éducateurs sociaux pour faciliter leur réintégration et pour qu'ils redeviennent de bons citoyens plutôt que de prédicateurs leur apprenant comment être de bons musulmans. Sur le troisième point, Monsieur Ksibi a vu également juste, à notre avis, et il a tout à fait raison de s'inquiéter pour l'avenir de l'Etat national et civil tunisien tel qu'il figure dans les articles 1 et 2 de la Constitution suite à la nomination du nouveau ministre des Affaires religieuses dans le gouvernement Chahed. Ce ministre a déclaré sans ambages depuis 2011 son allégeance au projet de l'Islam politique qu'il voit conquérant devant le reflux des courants libéraux, nationalistes, laïcs et dans lequel il met ses espoirs de construction de l'unité du monde musulman. Il aurait mieux fallu, à notre avis, nommer à la tête de ce ministère, dont le rôle est crucial dans cette phase transitoire que nous vivons, une personnalité morale et religieuse dont les choix idéologiques et politiques ne soient pas aussi prononcés.
L'erreur d'appréciation de la Rabta
Le quatrième événement qui vient en appui de la thèse de la passivité des laïcs vis-à-vis des visées obscurantistes des islamistes tunisiens a été, selon Monsieur Ksibi, les propos attribués au président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme. Dans ces déclarations, le président de la Ligue charge les hôteliers ayant interdit aux résidentes de se baigner dans les piscines toutes vêtues et les accuse de porter atteinte à la liberté personnelle de ces résidentes. Selon Monsieur Ksibi, la Ligue aurait ainsi failli à la mission qui lui est dévolu, à savoir la défense des droits de l'Homme et de la laïcité dans la mesure où «au nom de la liberté, elle participe à la confiscation de cette liberté, car on voit mal, dit-il, comment une femme couvrant tout son corps, sous prétexte de respecter les préceptes religieux, pourrait être libre». Sur ce dernier point, nous exprimons à la fois un accord et un désaccord avec l'auteur de cette tribune. Bien évidement, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, en la personne de son président, s'est complètement trompée de cible et de combat en qualifiant la décision prise par les hôteliers d'atteinte à la liberté privée, car un hôtel n'est pas un espace public mais un espace privé régi par le code du commerce faisant partie du droit privé et non public. Certes, comme toute les activités commerciales s'exerçant en public et proposant des services moyennant une contre-partie matérielle, les hôtels sont tenus de respecter la règle de non-discrimination entre les clients pour des raisons de sexe, de couleur de peau, de religion, de mode vestimentaire ou autres, mais il est tout à fait de leur droit de soumettre l'accès à certains de leurs services à des normes d'hygiène, de propreté, de décence et de pudeur. Autant qu'il est de leur droit d'interdire à leurs résidents de fréquenter les piscines tout nus autant qu'il est de leur droit également de leur interdire de se baigner dans les piscines tout vêtus. Sur ce point, il nous semble que dans les propos du président de la Ligue, rapportés par la presse, il y a une confusion entre espace public et espace privé ouvert au public sous conditions. En effet, un espace public est un bien collectif et il participe des deux traits qu'associent généralement les économistes à la notion de bien collectif, à savoir qu'il est un bien non rival et non excluable. Un bien est dit rival si sa consommation prive les autres de son usage, profiter d'une plage publique pour se baigner, par exemple, ne prive pas les autres d'en bénéficier simultanément. Un bien est excluable si le propriétaire peut en réserver l'usage à ceux qui en paye le prix. La piscine d'un hôtel est un bien privé dans la mesure où il est rival et excluable contrairement à une plage qui est un bien public et collectif. Et l'erreur de la Ligue, si erreur il y a, — car n'ayant pas publié un communiqué sur le sujet, nous ne savons pas si son président s'exprime en son nom personnel ou au nom de l'organisation qu'il représente —, est d'avoir confondu bien public et bien privé à caractère commercial.
Non à un fondamentalisme laïc
Mais il nous semble que ce n'est pas là la ligne d'argumentation de Monsieur Ksibi car sa position est plus radicale que la nôtre et il pencherait plutôt vers une interdiction pure et simple du voile et des habits dit religieux sur les plages et les piscines d'hôtels. Les expressions qu'il utilise suent le mépris et la haine envers ces femmes portant le voile ou le burkini qui leur donnent, sur les plages, l'allure hideuse d'un «scaphandrier» émergeant du fond des mers pour venir gâcher le plaisir des estivants. Or Monsieur Ksibi semble ignorer que le choix du mode vestimentaire est aussi une liberté personnelle et que sa liberté à lui de ne pas être gêné par des femmes affublées d'habits religieux sur la plage ne doit en aucun cas interférer avec la liberté de ces femmes de s'habiller comme elles l'entendent tant qu'aucun trouble à l'ordre public n'a été commis de leur fait. C'est bien le droit qui régit l'exercice de la liberté et non les goûts et les appréciations personnelles des uns et des autres. Le Conseil d'Etat français vient récemment de bien en administrer la preuve en annulant l'arrêté d'une municipalité française interdisant le port de vêtements religieux sur les plages car, nous dit le Conseil d'Etat français, cet arrêté a «porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et de venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle».
La défense de la liberté religieuse et de la liberté de conscience est une condition pour construire une démocratie inclusive et une République juste qui protège les droits de chacun de ses citoyens contre tout abus et arbitraire, or la condition pour que ceci soit possible est le respect des différences et la reconnaissance du droit de chacun à faire l'usage qu'il souhaite de sa liberté personnelle tant qu'il n'enfreint pas la loi et qu'il n'en résulte aucun tort pour ses concitoyens. Autrement, on lutterait contre le fanatisme religieux par des moyens qui nous feront tomber sous l'emprise d'une autre forme de fanatisme ou de fondamentalisme non moins pernicieux que le premier que l'on peut qualifier de laïc.


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