Les photos en noir et blanc défilent et la montrent petite fille en robe mini, à Sousse, sa ville natale, jeune fille en fleur à Paris, une caméra sous les yeux et des rêves plein la tête, professeur de français au Lycée de la rue du Pacha et du Lycée Montfleury, femme de culture reconnue et entourée de ses amis, nombreux, mais aussi d'hommes politiques, d'intellectuels, d'artistes et d'écrivains tunisiens et étrangers... Le diaporama monté par le cinéaste Hichem Ben Ammar et projeté dimanche dernier sur le mur de la Galerie de la médina, à l'occasion de l'hommage qui lui a été rendu par ses amis et sa famille, a su narrer, avec beaucoup de délicatesse et de doigté, le roman de vie de Sophie El Goulli, disparue à l'âge de 84 ans, le 10 octobre dernier. Les témoignages de Hichem Ben Ammar, de Ridha Kéfi, de Raouf Medallgi et de ses proches brossent le portrait d'une femme pleine de pudeur et de modestie, qui a su impulser dans la vie culturelle tunisienne de ces années 60, 70, 80 et 90 beaucoup de son énergie, de son intelligence et de sa culture. Jamais femme n'a été autant le miroir de son siècle que Sophie El Goulli. Née le 4 février 1931 dans une famille de la bourgeoisie citadine de Sousse, elle fait des études coraniques au koutteb, avant de suivre des études primaires et secondaires à l'Institut Emilie de Vialar, à Tunis-Belvédère. Elle a dû ressentir très vite l'esprit d'émancipation des femmes et des peuples qui balayait ce vingtième siècle. Le savoir, qu'elle dévore à pleines dents, lui sert de tremplin pour concrétiser des rêves qui l'emportent vers d'autres cieux. Le cinéma, art des lumières, dont elle aimera à transmettre sa magie à travers son rôle joué dans la création de la cinémathèque en Tunisie et ses articles, la fascinera jusqu'au bout. Maîtrisant à la fois le français, le latin, le grec ancien, l'anglais et l'italien, elle décroche un baccalauréat philo-lettres en 1950-1951, avant de poursuivre des études supérieures à l'Institut des hautes études de Tunis, à la Faculté d'Aix-en-Provence et à la Sorbonne, à Paris. Diplômée d'anglais, de lettres modernes et de littérature comparée et titulaire d'un certificat d'études théâtrales et d'un doctorat d'art et d'archéologie, elle enseigne le français et l'anglais dans les lycées de Tunis, avant d'intégrer le ministère des Affaires culturelles comme responsable de la division du cinéma et de la documentation puis comme chef de service des arts plastiques. Elle décroche en parallèle un Doctorat de troisième cycle en histoire de l'art et enseigne à partir de 1980 à l'ITAAUT, tout en collaborant au journal Le Temps. Prix national de la critique en 1992, Prix national Tunisie-France pour les arts plastiques en 1999, Prix de la poésie française du XXe siècle du Credif, auteur de plusieurs recueils de poésie, de contes, de romans et d'une monographie sur Ammar Farhat, on lui doit également la mise en place de la cinémathèque tunisienne en 1958, qu'elle animera pendant plusieurs années. Sophie El Goulli laisse derrière elle beaucoup d'amis, qui longtemps encore vénèreront son souvenir.