L'institution judiciaire a franchi, hier, un pas de géant sur la voie de la consécration de son indépendance réelle et effective. En élisant les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats se libèrent définitivement de l'état de soumission que leur imposait le pouvoir législatif Hier, dimanche 23 octobre, la grande famille de la magistrature a vécu, à travers l'ensemble du pays, une journée particulière à l'occasion de l'élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Les magistrats judiciaires, administratifs et financiers, les avocats, les huissiers de justice, les experts-comptables, les enseignants chercheurs de droit public et privé et de comptabilité publique (composant les 14.000 électeurs des prochains membres du CSM) ont investi les 106 bureaux de vote installés pour départager les 179 candidats au Conseil supérieur de la magistrature. Et la journée est à considérer comme «un événement marquant dans l'histoire de la Tunisie» et un nouveau «pas en avant vers le parachèvement du processus de transition démocratique», comme l'a souligné le chef du gouvernement, Youssef Chahed, dans un message adressé à la famille judiciaire et publié sur la page officielle de la présidence du gouvernement. L'élection du CSM constitue, en effet, un événement historique puisque c'est la première fois dans l'histoire de la magistrature tunisienne que la grande famille du pouvoir judiciaire, les magistrats en premier lieu, assument la charge de choisir, par eux-mêmes, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, lequel conseil assumera la mission de gérer la profession au niveau du mouvement annuel des mutations, de la promotion professionnelle des magistrats et de la décision des sanctions à infliger aux magistrats enfreignant les lois régissant la profession. C'est aussi un moment historique dans la mesure où l'on va rompre définitivement avec une malheureuse tradition instaurée depuis l'indépendance, celle de voir le Conseil supérieur de la magistrature dirigée par le chef de l'Etat qui présidait l'ouverture de l'année judiciaire et décidait des promotions à accorder et des sanctions à infliger et aussi des mutations qui étaient le plus souvent un moyen de pression sur les magistrats contestataires. Aujourd'hui, le cordon ombilical qui mettait le pouvoir judiciaire sous la coupe du pouvoir exécutif est coupé définitivement et les magistrats seront dirigés par des collègues qu'ils ont choisis eux-mêmes. Il est à souligner que depuis 2014, le Conseil supérieur de la magistrature a été remplacé par l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire (Ipoj), qui officiait en matière de mutations, de promotion et de sanctions en attendant l'adoption par le Parlement de la loi organique portant création du Conseil supérieur de la magistrature. Cette loi — faut-il le rappeler — a fait l'objet de deux recours pour anticonstitutionnalité auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois et elle a été, par la suite, promulguée par le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Maintenant que les membres du Conseil supérieur de la magistrature sont élus (en attendant l'annonce par l'Instance supérieure indépendante (Isie) des résultats définitifs), la voie est balisée pour l'instauration de la Cour constitutionnelle dans la mesure où la loi organique portant sa création prévoit qu'elle soit impérativement composée de quatre membres qui seront choisis par le Conseil supérieur de la magistrature aux côtés des huit autres membres de la Cour dont le choix revient au président de la République et au président de l'Assemblée des représentants du peuple.