Habib Guiza, président de la Confédération générale tunisienne du travail, appelle Youssef Chahed à obliger les millionnaires et les milliardaires post-révolution à payer leurs impôts à l'Etat Youssef Chahed, chef du gouvernement d'union nationale, multiplie les déclarations depuis début d'octobre dans le but de faire la promotion de son projet de loi de finances et de convaincre les Tunisiens que les dispositions que ce projet contient, plus particulièrement celles relatives à la lutte contre l'évasion fiscale ainsi que les sacrifices qu'on est appelé à consentir pour sauver le pays, ne se feront, en aucune manière, aux dépens des salariés de l'Etat ou des catégories sociales dites vulnérables: «Les sacrifices seront équitablement partagés et personne n'aura plus le sentiment qu'il paye pour les autres». Sauf que les syndicalistes, dont en premier lieu ceux relevant de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), demeurent inflexibles en s'opposant à la proposition du gouvernement sur le gel des augmentations salariales jusqu'en 2019 et appellent plutôt à la concrétisation des accords déjà signés avec le gouvernement Habib Essid. Ils considèrent, selon les déclarations de leurs principaux dirigeants, que la détérioration continue du pouvoir d'achat des salariés impose une augmentation régulière des salaires. Et jusqu'ici, les Tunisiens écoutent — mobilisation médiatique aidant — presque exclusivement la voix de l'Ugtt et de ses ténors (obligés, qu'ils le reconnaissent ou non, de suivre la rue et ses exigences du fait qu'ils sont en pleine campagne préélectorale en prévision du congrès national de l'organisation syndicale ouvrière prévu fin janvier 2017). Seulement, il existe en Tunisie d'autres organisations syndicales ouvrières dont la Confédération générale tunisienne du travail (Cgtt) dirigée par Habib Guiza, le syndicaliste de Gabès qui a tenu tête à feu Habib Achour quand il gérait comme un général l'Ugtt dans les années 80 du siècle dernier et à Ben Ali quand il a réussi à mettre sous sa coupe l'Ugtt, dirigée successivement par Ismaïl Sahbani et Abdessalem Jerad. Habib Guiza milite aujourd'hui pour l'élaboration de ce qu'il appelle «un nouveau plan syndical pour la défense des droits économiques et sociaux des salariés et des catégories vulnérables». Et ce plan devra émerger, confie-t-il à La Presse, d'un débat national avec la participation de toutes les parties concernées. Nous estimons que le gel des salaires n'est pas la solution idoine pour sortir le pays de la crise et renflouer les caisses de l'Etat. Dans l'action syndicale, l'essentiel ne réside pas dans l'augmentation continue des salaires. C'est plutôt la préservation du pouvoir d'achat du salarié qui importe le plus. Quand on sait que ce pouvoir d'achat a baissé de 40% depuis fin 2010, on comprend que les majorations salariales successives n'ont plus aucune importante et on découvre aussi que les syndicalistes de l'Ugtt, les seuls avec qui traitent les gouvernements post-révolution, comme si la Cgtt qui compte 80 mille abonnés n'existait pas, ont choisi la politique de la fuite en avant, tout en sachant que la surenchère à laquelle ils se livrent ne peut mener le pays qu'à la faillite et au chaos». 6.500 millionnaires et 70 milliardaires post-révolution Mais que faire, comme disait Lénine dans son célèbre fascicule posant les conditions de la réussite de la révolution bolchevique ? Habib Guiza ne se dérobe pas à la question même si le grand Lénine et ses idées n'ont plus bonne presse auprès des révolutionnaires avant que la mondialisations ne les oblige à «évoluer et à épouser les exigences de leur époque». Il préfère aligner les chiffres les plus alarmants : «Depuis fin 2010, le taux d'endettement a dépassé 60% du PIB, le dinar a perdu 50% de sa valeur d'échange par rapport à l'euro, le pouvoir d'achat a régressé de 40%, le déficit de la Caisse générale de compensation a atteint 7 milliards de dinars et les caisses sociales enregistrent un milliard de dinars de déficit et brandissent la menace de ne plus payer les pensions aux affiliés». Il poursuit : «En parallèle, la Tunisie post-révolution compte aujourd'hui quelque 6.500 millionnaires et 70 milliardaires dont la fortune est équivalente à 38 fois le budget de l'Etat et cet argent est bien en Tunisie, alors qu'on dépense un argent fou dans le but de récupérer des miettes de ce que Ben Ali et les membres de sa famille ont placé à l'étranger. Et le malheur est que l'Etat est incapable d'obliger ces millionnaires et milliardaires à payer leurs impôts. Dans cette situation, l'Etat se trouve dans l'obligation d'emprunter auprès du Fonds monétaire international dont la présidente ne cesse de tirer la sonnette d'alarme sur l'inflation considérable que connaît la masse salariale générale qui est passée de 6,7 milliards de dinars en 2010 à 13,4 milliards de dinars en 2016 pour régler les salaires de ses fonctionnaires». «Les chiffres qui font froid dans le dos ne devraient pas, toutefois, pense Habib Guiza, nous faire oublier les grandes avancées enregistrées dans les domaines des libertés civiles et politiques. Mais aujourd'hui, nous sommes dans l'obligation de mettre en œuvre une approche de gestion de nos affaires à même d'assurer l'équilibre, d'une part, et les droits sociaux et économiques d'autre part. On ne vit pas uniquement de liberté et de plateaux radio et TV où toutes les langues se délient à volonté». Et c'est bien à l'issue d'une lecture sereine de la situation du pays sur les plans politique, économique et social que la Confédération générale tunisienne du travail appelle «à la révision de la stratégie revendicative actuelle du mouvement syndical en adoptant une nouvelle approche qui prend en considération les changements qu'a connus notre pays au cours de la dernière décennie. L'approche que nous proposons se fonde essentiellement sur le refus du monopole exercé par une seule organisation syndicale ouvrière en matière de négociation avec le gouvernement. Les temps du syndicat unique sont bien révolus. Aujourd'hui, la révolution technologique et numérique ainsi que la mondialisation imposent aux différentes organisations syndicales tunisiennes de renouveler leur conception de l'action syndicale et de moderniser leur méthode d'action. L'objectif principal est de parvenir à l'éclosion d'un syndicat citoyen basé sur le partenariat et à se transformer en une force de proposition et d'édification en rompant avec la mentalité revendicative excessive». Habib Guiza, qui porte aussi la casquette de président de l'Association Mohamed Ali pour la culture travailliste, conclut en appelant les partis politiques à une trêve «de leurs divisions interminables pour proposer des solutions pratiques aux problèmes économiques auxquels est confronté le pays». Il est à indiquer que l'Association Mohamed Ali organise le 14 janvier 2017 un séminaire sur le thème : «Repenser la transition démocratique».