On s'interroge aujourd'hui à l'Institut supérieur d'histoire de la Tunisie contemporaine, à La Manouba, sur les perspectives de l'écriture historique, à l'épreuve de la fabrique des images en cours. Bien que n'ayant pas le même rythme que les photographes, qui se sont tout de suite attelés au terrain de la révolution et de la transition, les documentalistes tunisiens ont pris à bras-le-corps certains événements post-14 janvier 2011, ou d'autres faits qui ont préparé les bouleversements politiques d'il y a cinq ans. Douz Doc Days, puis Djerba Doc Days, des journées du cinéma documentaire ont d'ailleurs été créées par le cinéaste Hichem Ben Ammar dès la fin de l'année 2011 pour donner à voir la multiplicité des regards sur cette matière vivante qu'est l'actualité politique et sociale. Or, ces images de manifestations, de sit-in, de mouvements sociaux, ces histoires de bloggeurs, de citoyens activistes, d'anciennes victimes de la dictature n'intéressent pas que le spectateur lambda. Elles peuvent constituer un riche corpus d'archives non écrites et peu classiques pour ceux qui vont traiter, dans les années à venir, ces événements avec toute la distance et la rigueur exigées par leur discipline, les historiens. Cette problématique intéresse particulièrement une historienne, spécialiste de l'histoire des intellectuels tunisiens, qui s'est faite également chroniqueuse après la révolution, Kmar Bendana. Son idée de créer un cycle de projections de films documentaires à l'Institut supérieur d'histoire de la Tunisie contemporaine (Ishtc), à la Manouba, avec comme toile de fond cette interrogation : «Films et images sur la révolution tunisienne : sources futures pour l'historien ?» a généré un projet d'ateliers sur ce thème. C'est autour du film de Hichem Ben Ammar : «La Tunisie vote. Chronique d'une journée particulière», que s'est tenue le 9 novembre dernier journée de scrutin américain (pur hasard du calendrier !), la première projection. Kmar Bendana présente ainsi l'atelier sur les films et images de la révolution : «Il s'agit d'engager une réflexion méthodologique sur l'élaboration du jugement scientifique. Depuis la nature des sources jusqu'au découpage chronologique, en passant par les conditions de production, cette accumulation en cours pose des questions essentielles pour l'historien et pour les sciences sociales. On choisit d'y réfléchir en croisant les lectures de reconstitutions immédiates qui circulent et façonnent déjà les approches "scientifiques"». Parmi ces questions, elle cite «la définition de l'événement», «l'objectivité», «les sources de première main», la distinction entre «le vrai et le faux»... Dans cette série d'ateliers, la pluridisciplinarité semble privilégiée. Y seront conviés des historiens, des chercheurs d'autres disciplines, des journalistes, des spécialistes de l'image et de l'audio-visuel. L'idée consiste à préparer une réflexion sur les règles, les ingrédients et les perspectives de l'écriture historique, à l'épreuve des transformations en cours. Sous réserve d'avoir l'accord de leurs auteurs, le programme des prochaines semaines prévoit la projection des documentaires «Une plume au gré du vent», de Selim Gribaaâ, «7 et demi», de Néjib Belkhadi, «Wled Ammar», de Nasreddine Ben Maati, «Maudit soit le phosphate», de Sami Tlili, «C'était mieux demain», de Hend Boujemaa et «Pousses de printemps», d'Intissar Belaid.