Le non-lieu prononcé avant-hier soir par le tribunal de première instance de Sousse au profit des accusés dans l'affaire du meurtre de Lotfi Nagdh, coordinateur de Nida Tounès à Tataouine, a attisé de nouveau les ardeurs politiques. Un véritable pugilat verbal s'installe également sur la Toile pointant du doigt la justice. On appelle «les magistrats intègres à réagir» Encore une affaire qui fera couler beaucoup d'encre et de salive : les présumés meurtriers de Lotfi Nagdh, le chef de la coordination de Nida Tounès à Tataouine, sont purement et simplement acquittés par le Tribunal de première instance de Sousse. Les membres de la famille de Lotfi Nagdh, principalement sa veuve Houda Naguedh en son nom personnel et en celui de ses enfants mineurs et le ministère public disposent de dix jours pour ester en justice en introduisant une requête en appel demandant que le jugement rendu par les magistrats de Sousse soit révisé. Le ministère public a déjà introduit un appel à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de première instance de Sousse. Et comme l'on s'y attendait au vu des multiples reports qu'a connus l'affaire ainsi que la médiatisation considérable dont elle a fait l'objet depuis que le coordinateur de Nida Tounès et président de l'Union régionale des agriculteurs de Tataouine a été «lynché à mort» en 2012, le jugement est tombé comme un couperet divisant encore le paysage politique national, créant un choc parmi l'opinion publique, plus particulièrement celle se proclamant appartenir à la famille démocratique et reposant aussi, qu'on le veuille ou non, l'éternelle question de l'indépendance de la justice, pratiquement le jour où les membres du Conseil supérieur de la magistrature élus dans la transparence et la clarté (et l'Isie l'a confirmé en rejetant les oppositions exprimées par les perdants) ont prêté serment devant le président de la République. Et il était attendu également que l'affaire en appel soit reprise dans les radios, sur les réseaux sociaux et au sein des partis politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, chacun menant sa bataille à sa manière et selon son propre agenda. Que vaut réellement un rapport d'autopsie ? Hier, tout le monde, les sympathisants de feu Lotfi Nagdh, d'une part, et ceux, d'autre part, qui ont applaudi son agression sous les cris «Allahou Akbar» se sont mobilisés pour rejuger l'affaire médiatiquement, mais sans avoir à leur disposition les documents ou les pièces justifiant ou infirmant les accusations portées contre les présumés assassins de Lotfi Nagdh. Hier, Me Seïf Jaziri, l'un des membres du collectif des avocats défenseurs de la veuve de Lotfi Nagdh et de ses enfants, a abondé dans le sens du contenu du rapport d'autopsie établi par le médecin légiste à Tataouine où «il est écrit noir sur blanc que le corps du défunt a subi 57 coups provenant d'objets durs (bâtons, gourdins, etc.) causant la mort de Lotfi Nagdh». «Sauf, ajoute-t-il, que le médecin a introduit une petite phrase équivoque. Il a couché noir sur blanc : la mort est survenue à la suite d'un arrêt cardiaque. Et c'est là que réside la discorde. Lotfi Naguedh est-il mort suite aux coups qu'il a reçus ou suite à une crise cardiaque?» Quant au transfert du dossier du tribunal de première instance de Tataouine à Sousse «bien que le juge d'instruction en charge de l'affaire à Tataouine ait accompli sa mission dans les règles et soit parvenu à accuser les présumés assassins de violence ayant entraîné la mort par préméditation, nous nous demandons toujours pourquoi le dossier lui a été retiré pour être transféré au tribunal de première instance de Sousse. On ne sait pas jusqu'à aujourd'hui par quel miracle, à Sousse, la préméditation a disparu de l'acte d'accusation pour se contenter de «la violence ayant entraîné la mort». Pour ce qui est de la vidéo montrant les assassins molestant la victime, elle n'est pas prise en considération. Mais quand on se rappelle que Noureddine B'hiri faisait la loi en 2012 et 2013 au ministère de la Justice et guidait, en 2014, Nadir Ben Ammou, à la baguette, on n'a plus besoin d'un dessin pour comprendre», conclut-il. L'épreuve de l'indépendance de la magistrature Faut-il se contenter de la plaidoirie médiatique de Me Jaziri pour conclure à «une erreur judiciaire» ou à «un jugement dicté d'en haut»? Pour le moment, on prend toutes les précautions possibles dans le but d'éviter d'accuser ouvertement nos magistrats d'obéir aux ordres. Mais à lire les communiqués publiés par certains partis politiques à l'issue du verdict (en première instance, il faut bien le préciser) acquittant les présumés assassins de Lotfi Nagdh, on a le sentiment «que l'indépendance de la magistrature et l'intégrité des juges ne sont pas toujours acquises». Ainsi, le parti Al Massar, dont le secrétaire général Samir Taïeb occupe le poste de ministre de l'Agriculture, considère-t-il dans une déclaration dont une copie est parvenue à La Presse que «les affaires des martyrs de la liberté et de la dignité ne peuvent faire l'objet d'aucune forme de deal ou de marché trouble au nom du consensus» et demande à la présidence de la République et au gouvernement Youssef Chahed «d'appliquer strictement le Pacte de Carthage et d'accélérer le dévoilement de la réalité sur les assassinats politiques en signe de garantie de la crédibilité du gouvernement et de la restauration de l'autorité de l'Etat». On lit également dans la même déclaration : «Les magistrats intègres sont appelés à faire front pour rendre justice aux martyrs du pays, être fidèles à leur mémoire et réformer le système judiciaire dans son ensemble». On attend maintenant la réaction de l'AMT et les révélations de Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim), le magistrat retraité qui a sous la main les dossiers relatifs aux affaires en cours d'instruction et peut-être les éléments qui «blanchiraient définitivement les présumés assassins de Lotfi Nagdh».