Nous continuons la publication des textes ayant participé au récent concours organisé par La Snipe La Presse-Essahafa et ses partenaires «Plume d'or pour la jeunesse». Cette semaine nous vous proposons le texte d'Aymen Hacen, lauréat du 3e Prix. Qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir ? Comment le devenir ? — Questions poignantes qui nous empoignent, certes non sans brutalité, mais qui ne nous empoignent que parce qu'elles nous concernent, bien que risquer d'y répondre soit déchirant et menace de déchirer le temps (le passé, le présent et le futur tous azimuts), ainsi que la conscience. Jeunes, nous le sommes incontestablement. Nous sommes jeunes et du fait de cette jeunesse même, nous ne faisons que nous poser des questions auxquelles il nous arrive de trouver des réponses, même si nous feignons de ne jamais en trouver. C'est que nous ne daignons pas sacrifier à la facilité que nous pensons être l'apanage des adultes. Ceux-là, nous disons-nous, aiment à trancher et à jouer aux moralistes. Certes, les adultes se posent des questions : Où est notre jeunesse, se demandent-t-ils ? Que fait-elle, s'interrogent-ils ? Et tant d'autres. Qu'est-ce toutefois que la jeunesse ? En existe-t-il une définition, un tant soit peu précise ? Quels en sont les synonymes ou les antonymes ? Est-elle vraiment ce « temps de vie entre l'enfance et la maturité », avancé par les dictionnaires ? Ou nous faut-il biaiser, pis encore chercher la quadrature du cercle en nous attardant vainement sur les mots enfance et maturité ? Comme si la jeunesse n'existait, entre autres dans les dictionnaires, qu'en tant que concept. Ainsi, tout ce qu'un artiste — qu'il soit poète, musicien ou peintre — peut exprimer à propos de la jeunesse n'est possible que lorsque celle-ci se trouve ancrée dans un « temps de vie» virtuel qui met fin à la vie tout entière et achève la jeunesse avant qu'elle ne commence. Même si tout laisse à penser que Rimbaud, qui écrit : «On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans», était parfaitement conscient de son génie, tel un météore de sa lumière. De son côté, La Rochefoucauld, en dépit ou à cause de son pessimisme, écrit dans Les Maximes: «La jeunesse est une ivresse continuelle, c'est la fièvre de la raison». Cela dit, ces états d'euphorie, qui mettent en branle le sérieux et insistent sur le mouvement permanent, prouvent que la maturité est possible avant vingt ans comme l'enfance l'est à la soixantaine. On pense que la jeunesse court les rues, fréquente les établissements scolaires, hante les stades, organise des galas, chante, danse, suit la mode, bref : elle vit. Ou plutôt, elle a l'impression, non elle donne l'impression de vivre. Si l'on observe de plus près certains phénomènes inhérents à la jeunesse, on sera terrifié par la ténacité de l'illusoire qui se fait visiblement jour dans sa vie. Le virtuel occupe d'une façon étrange la place du réel. Celui-ci devient le prolongement des fictions audiovisuelles, il ne dépend plus que des vidéoclips, séries et shows. Certains oseront même dire, ne serait-ce que par parenthèse, que les copies de leurs étudiants en sont la preuve irréfutable, aucune culture, nulle trace de livres lus ni de dictionnaires consultés et encore moins de films dignes de ce nom vus et pourquoi pas vécus n'étant au rendez-vous. Ils diront que c'est le désert, un désert réel, un désert inquiétant et désespérant. Peut-être est-ce ce même Désert dont parle Nietzsche : «Le Désert gagne : malheur à qui porte en soi des Déserts‑!». Or il est légitime de s'interroger sur ce tournant obscur qu'est le virtuel qui, comme tout l'indique, accapare la jeunesse. Est-ce cette industrie du divertissement, d'ailleurs beaucoup plus proche du proxénétisme que de la culture, qui rabote les différences, tentant de faire de nous tous une unique et même personne‑? Sans doute, puisqu'il ne s'agit désormais plus que «d'un esprit [qui] anime mille corps» (La Fontaine), un esprit malsain dans des corps apathiques, si bien que nul n'ose espérer, encore moins croire en la jeunesse. Sans doute, pense-t-on, la jeunesse doit-elle alors de son côté cesser de voir la vie à travers le prisme de la facilité, cette nouvelle forme d'indifférence, de passivité et d'inaction, pour ne pas dire de quiétisme. Est-ce pourtant le cas ? Rien n'est moins sûr, dans la mesure où nous avons le mérite d'avoir accès, plus que nos aînés et nos parents, à l'information par le truchement, justement, des outils et gadgets que tous nous jalousent. C'est à travers ces outils et gadgets que nous sommes entrés en contact — et parfois en conflit — avec nos contemporains des autres pays dits « évolués », alors que, comme tout l'indique, les générations précédentes, nos aînés et nos parents, avaient du plomb dans l'aile parce qu'elles n'avaient pas accès aux technologies aujourd'hui démocratisées et libres d'accès partout dans le monde, pour peu qu'on sache s'en servir. Que nous n'en fassions pas le meilleur des usages, c'est bien possible, mais la terre entière sait désormais que nous existons, que nous avons lieu d'être et que nous pouvons aller de l'avant. Il fallait naguère compter, par exemple, sur une coupe du monde de football pour savoir que tel pays ou tel autre existe et qu'il se trouve dans tel continent ou tel autre. Aujourd'hui, ce qui se passe de l'autre côté du globe terrestre circule plus vite encore que l'effet papillon, pour reprendre une métaphore ô combien scientifique. Soudain quelques évidences, nées des propres interrogations de la jeunesse. Le monde, pour ainsi dire, n'est ni bon ni mauvais. Le monde est simplement ce qu'on a voulu qu'il soit avant nous. Tout comme la jeunesse et les outils dont elle dispose au quotidien. Le monde n'est somme toute que ce qu'on nous a légué. Il nous faut juste le vivre — non le subir, l'endurer ou le souffrir — ou tout juste nous appliquer tantôt à dialoguer avec lui, tantôt à nous quereller avec lui, comme celui qui vit et cherche à aller plus loin encore dans l'exercice d'exister. Un peu à la manière de Candide qui conclut en ces termes son apprentissage de l'existence : «Il faut cultiver notre jardin».