Dans «Every-Body-Knows-What-Tomorrow-Brings-And-We-All-Know-What-Happened-Yesterday», Mohamed Toukabri a interpellé son public sur la scène des Hivernales–Cdcn d'Avignon durant 10 dates successives : l'œuvre transcende les frontières et s'adresse à l'humain dans sa dimension multiple... avec l'appui de mots «Coups de poing». La Presse —La danse, c'est ce langage du corps qui peut s'avérer encore plus expressif que la parole. Cette performance de 50 min, signée par le chorégraphe tuniso-belge reste en partie hybride, car elle dose texte engagé, écrit par la metteur ure en scène et dramaturge Essia Jaïbi et les mouvements scéniques justes de l'artiste danseur. Une performance renforcée par la pertinence des paroles et expressions, lues à haute voix, parfois affichées. Des phrases trilingues, tantôt complètes ou fragmentées surgissent en anglais, en français et en langue arabe. L'arabe qui est à l'honneur en 2025 au festival d'Avignon en tant que langue vedette, révélatrice des origines tunisiennes de l'artiste chorégraphe. Une esthétique parlante de la danse Ce solo oscille entre danse contemporaine et hip-hop, en référence à la formation de l'artiste, ses précédents accomplissements, ses origines. Sensible à l'appropriation de l'espace urbain par l'art, Mohamed Toukabri cerne à quel point la danse, spécialement l'«Urban dance», peut faire écho chez les jeunes ou chez un public plus large tout en questionnant souvent la citoyenneté, l'autorité, l'affranchissement des barrières. La danse comme arme de résistance, de lutte, d'expressions, prend son sens dans ce récit chorégraphique, qui reste singulier et qui s'inscrit dans une histoire commune, collective. L'importance de la mémoire collective et sa transmission sont l'axe central de l'œuvre. Le titre long en langue anglaise est révélateur d'une narrative. «Chacune et chacun sait ce que demain apporte et nous savons tous ce qui s'est passé hier». Titre qui titille les mots et leur sens, évoque une temporalité longue en interrogeant le présent, en partant du passé tout en tentant (En vain ?) de se projeter dans un avenir forcément brouillé. Le mot «Every body» exprime, à la fois, la pluralité mais peut signifier aussi «Chaque corps», si on le divise. Dans cette temporalité, c'est la place de la danse, son évolution, son appropriation au fil des générations qui est questionnée. L'esthétique de la performance suscite l'intérêt, de par sa musique, celle du «Sampling», ou le fait d'écouter des sons rythmés et décomposés. Un travail sur le son, qui a été minutieusement orchestré par Annalena Fröhlich. Les habits travaillés et arborés par l'artiste au fil de sa performance renforcent la dimension esthétique. Les costumes sont signés Magali Grégoir. Ce qui est perceptible et visible à l'œil nu est accentué par la noirceur du lieu, ses murs sombres, son écran, reflet d'écrits éphémères. A travers cette dernière création de Toukabri, une chronique de la danse— son histoire, son évolution, sa perpétuelle transmission— est narrée. L'art dansant du chorégraphe peut puiser dans une époque, celle d'un pays, un contexte précis, tout comme il peut tracer le personnel : un parcours frayé, entre deux rives, ses aléas, et sa complexité. La question du corps archive reste centrale. La création fait partie de la sélection IN du prestigieux festival d'Avignon et s'est jouée à guichets fermés.