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« Les politiques avaient peur de la danse, peur du corps »
Entretien du Lundi -Syhem Belkhodja
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 05 - 2017

Après le documentaire, place à la danse ! Entretien avec Syhem Belkhodja, fondatrice de «Doc à Tunis» mais aussi de «Tunis, capitale de la danse», prévue dans deux jours. Retour sur un rendez-vous artistique et culturel qui soufflera, cette année, sa 16e bougie.
«Tunis, capitale de la danse» fête, cette année, ses 16 ans. Quel est votre bilan ?
Un bilan très positif. Cette année, la manifestation entame sa 16e édition. Il faut savoir qu'on a pu ramener pas moins de 300 compagnies étrangères. Presque toutes les compagnies du monde entier sont passées en Tunisie : on a vu Akram Khan, on a apprécié Sidi Larbi Cherkaoui, même à ses débuts. Sans oublier Maguy Marin, venue une dizaine de fois et devenue notre marraine. Anjelin Preljocaj, notre parrain. Abou Lagraâ, notre enfant et notre ami, etc. Je suis réellement satisfaite, parce que, si on se rappelle bien, à partir de 2002 jusqu'en 2012, l'année où a été organisé le festival «Extra» en collaboration avec Salvador Garcia, j'ai été toujours obligée de programmer de nombreuses compagnies étrangères avec trois rendez-vous africains très forts, grâce à «Danse l'Afrique, danse !», des moments forts où toute l'Afrique et venue danser en Tunisie grâce à l'Institut français. Et aujourd'hui, depuis trois ans, j'ai la chance de programmer trois grandes compagnies françaises, américaines ou anglaises et une quinzaine de compagnies tunisiennes. Et c'est cela le résultat ! C'est-à-dire, qu'aujourd'hui, on a trois générations de chorégraphes : la génération d'Imed Jemâa, Nawel Skandrani, Malek Sebai, Imen Smaoui, Najib Khalfallah, une 2e génération, celle de Hafiz Dhaou, Aicha M'barek, Kais Chouibi, et aujourd'hui, il y a surtout les jeunes de 22 à 30 ans, comme Oumaima Manai, Marwen Rouine, Wael Marghni, Nour Mzoughi, Hamdi Dridi, etc. Une génération pétillante. Donc, aujourd'hui, on peut dire au ministère de la Culture, qu'on a trois générations de danseurs. Et j'en suis fière.
Pouvez-vous expliquer ce sentiment de fierté ?
Parce tous les politiques n'ont pas pensé à la danse et avaient peur de la danse, peur du corps : sous Bourguiba, sous Ben Ali... Et ça continue ! C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'université où l'on enseigne la danse. De nos jours, il y a autant d'universités dans tous les arts (cinéma, théâtre, arts plastiques, etc.) sauf la danse, pas même un centre professionnel de danse ou pas même une école professionnelle de danse. On s'est battu pour qu'il y ait un diplôme reconnu par l'Etat. Donc, toute cette sauce-là, s'est formée spontanément avec des artistes chorégraphes militants : une première génération qui a trouvé un désert incroyable, sans oublier, Samir Mahfoudh, Ismahen Chaâri... Aujourd'hui, on n'a toujours pas de conservatoires de danse, et on n'arrive toujours pas à imposer comme il se doit cette discipline, à cause de cette peur du corps, ce malaise. Mais aujourd'hui, le ministère répond présent ! Je dis bien «aujourd'hui». Le budget de la danse est de 250.000 dt de création sur une quarantaine de jeunes chorégraphes, ce qui est ridicule ! A comparer avec le théâtre ou la musique, qui est d'un milliard 200 mille, ou de 4 ou 5 milliards, pour le cinéma. La danse reste négligée... Malgré cela, les danseurs d'aujourd'hui dansent partout dans le monde. On a des conventions signées à l'étranger. Malgré cela, ça bouillonne de créativité. C'est pétillant ! Et le travail a été fait par les jeunes chorégraphes qui ne cessent toujours de s'imposer. Mais, actuellement, j'espère que grâce à l'actuel ministre et avec l'ouverture prochaine de la cité de la culture, il va y avoir une vraie réflexion sur le ballet national tunisien contemporain, sur le ballet national folklorique pour qu'on ne perde pas nos bases, sur une école supérieure de danse, où on forme des danseurs professionnels. Prochainement, il va y avoir l'ouverture de 11 conservatoires de musique avec le label «musique et danse» dans les régions et ça, c'est très important ! Donc, aujourd'hui, je pense qu'on commence à avoir «une politique de la danse», et je pense également qu'ils ont compris que face à l'obscurantisme et à tous les maux de la société, la danse peut être aussi une solution efficace.
Comment fonctionne la structure d'organisation de «Tunis, capitale de la danse» ?
Sincèrement, il ne s'agit pas seulement de «Tunis, capitale de la danse». C'est les rencontres chorégraphiques de Carthage, c'est le printemps de la danse, et c'est «Tunis, capitale de la danse». Autant de slogans pour dire qu'en Tunisie, on va danser : je danse, tu danses, nous dansons et on ne lâchera pas. La structure est faite par, en moyenne, une vingtaine de bénévoles. Certains ont commencé à danser chez moi, à l'âge de 3 ans et Dieu merci, sont devenus artistes, cinéastes avec un bac+... Il y a ceux aussi qui sont payés par leur propre structure et qui viennent vraiment gratuitement, travailler au sein de l'association. Nous sommes tous bénévoles, y compris moi. On gagne notre vie soit par notre compagnie, soit par les cours. L'organisation est fondée sur la gratuité mais soutenue par un lobby européen et africain très fort pour nous permettre, notamment d'obtenir des visas et partir à la découverte du monde. Et grâce à ce soutien, on parvient à ramener le monde vers nous.
On a, également, un grand nombre d'ambassadeurs un peu partout dans le monde : comme Magui Marin ou encore Nicole Saïd. C'est une chance ! Un ancien directeur de cabinet de M. Frédéric Mitterrand, travaille gratuitement pour l'association. A part les 30 Tunisiens, je peux vous garantir que sur la planète «danse», j'ai à peu près, une quarantaine, munis de leur téléphone, mail, connexion qui forme le bureau «Tunis, capitale de la danse», et c'est uniquement cela, ma force.
Et c'est ainsi que vous pouvez découvrir, lors de l'ouverture, Abou Lagrâa et Angelin Preljocaj, qui vont participer gratuitement à cette 16e édition. Sans oublier, Pierre Rigal, venu tout droit de Toulouse, et Hela Fattoumi. Plusieurs partenaires dont Monia Triki, Neal Peterson et la productrice de télévision Isabelle Siri, font la réussite du festival. Mon amitié de longue date avec Olivier-Poivre d'Arvor, bien avant qu'il ne devienne ambassadeur de France, a été le maître à penser des mots. Des gens qui me guident, me conseillent, me montrent la voie et m'engueulent quand il le faut. François Niney, me tirait les oreilles durant les «Doc à Tunis» chaque fois que je me gourrais. Je ne manque pas aussi de citer mon grand ami feu François Mitterrand. Je leur suis à toutes et à tous reconnaissante.
La gratuité de vos festivals a posé problème ou, au contraire, a eu un impact positif sur leur déroulement ?
Ça reste, en effet, un problème très grave ! C'est-à-dire que, pour moi, la gratuité est obligatoire. Nombreux sont ceux qui n'ont pas les moyens de payer 10 ou 20 dt pour assister à un spectacle de danse. Comme ils n'ont pas de visa pour partir, je voulais ramener l'ailleurs chez moi, c'est le cas de Magui Marin, par exemple, qu'on a ramené gratuitement. Les conditions ? C'est qu'ils respectent le théâtre, qu'ils viennent à l'heure, et qu'ils ne sortent pas en plein milieu du spectacle. Ce n'est pas un truc de zapping : il y a un deal. L'université populaire de Michel Onfray m'a permis de comprendre pour quelle raison je faisais cela : l'école ne suffit plus pour former un bon citoyen. L'université non plus. C'est l'art et la culture, avec cette gratuité qui compte.
Mais notre but ultime reste d'atteindre davantage de régions : la culture n'a jamais été exclusivement rentable. C'est une arme, un pouvoir politique qu'on doit décentraliser.
«Tunis, capitale de la danse» fait certainement partie de tout un réseau de rendez-vous pour la danse dans le monde (plus précisément en Afrique et en Europe), quel genre de rapport entretenez-vous avec les festivals et les centres chorégraphiques étrangers ?
Sincèrement, on a commencé notre premier festival de danse en 2002, et on a commencé fort, parce que depuis, je n'arrêtais pas de dire que la Tunisie changeait un peu. Et quand il y a eu l'attentat de Djerba, tout comme ce qui se passe actuellement, j'ai insisté pour que nos partenaires actuels viennent. Une manière radicale de lutter contre l'intégrisme rampant. Ils étaient certains que la Tunisie du Jasmin était invulnérable et que cela allait perdurer. Et bien, non ! Sous Bourguiba, elle l'était peut-être, mais peu à peu les mauvaises herbes ont commencé à reprendre le dessus. Et l'extrémisme a plané un peu partout dans le monde... Honnêtement, depuis 2002, j'ai été tenace et les plus grandes compagnies ont répondu présent : les centre chorégraphiques suisses, allemands, italiens, africains, maghrébins ... si j'avais connu des Danois, je les aurais ramenés... Le résultat est satisfaisant : 17 compagnies tunisiennes postulent de nos jours pour la compétition, même à quelques jours du début de l'édition. Le ministère de la culture est là : il paye les cachets de tous les danseurs participants. Je tiens à laisser de vraies institutions derrière moi. Je suis heureuse de présenter au marché international, aux 60 programmateurs, des spectacles qu'ils pourront acheter, afin que ces troupes en lice puissent sillonner les villes européennes.
Pourquoi l'Europe en particulier ?
Parce que c'est là où il y a l'argent. Quand on fait une résidence en France, on est entre 20.000 et 30.000 euros, le cachet de spectacle est à 8.000 euros. A Tunis, il est à 2.000dt. Mais toutes les propositions de danse dans le monde sont les bienvenues : on sera prochainement en Turquie, en Corée du sud et à Shangaï... sans oublier nos danseurs qui sont déjà à Avignon, Bruxelles, etc. On bouge beaucoup, mais on communique peu.
Peut-on en savoir plus sur le financement et le soutien du public ?
Aujourd'hui, j'ai le soutien considérable du ministère de la culture. Je suis bien évidemment satisfaite, mais je veux plus. Le ministère du tourisme nous soutient aussi énormément : plein de fondations et de compagnies étrangères sont derrière nous et s'intéressent à notre travail. Tunisair est le partenaire privilégié grâce à qui je peux ramener nos invités de différentes nationalités. Ces derniers seront, par la suite, nos ambassadeurs dans le monde.
Que nous réserve cette 16e édition ?
L'intégralité du programme sera annoncée lors d'une conférence de presse prévue demain à 11h au 4e art. Les points forts, c'est les Battle exceptionnels et on travaillera même le dimanche : Imen Smaoui, Abou Lagrâa, Angelin Preljocaj, Rochdi Belgasmi, etc, sont au programme. Le jury est trié sur le volet : la directrice de la culture, de l'Institut du monde arabe, Pierre Rigal, Nasira Ben Lazaâr, Maya Ksouri, Lassad Jamoussi. Il y aura beaucoup de spectacles, en une semaine. Un temps record, c'est peu mais soyez au rendez-vous à partir de 16h00. L'opération feu rouge a été maintenue. Les rues accueilleront aussi des spectacles de danse très variés.
Quel regard portez-vous sur la création tunisienne ?
Je suis impressionnée par les propositions des gens, qui sont différents et qui sont issus de deux écoles, au moins ! De jeunes chorégraphes, proposés par Chouaïeb, Nawel Skandrani, Malek Sebaï. Et je suis très heureuse du résultat final : pas un seul ne danse comme l'autre. Ils se distinguent ... C'est sûr qu'on manque cruellement de formation, de dramaturgie, qu'on a besoin d'ateliers chorégraphiques.
Que peut apporter la danse pour une Tunisie post-révolutionnaire et peut-elle aider à changer notre regard sur nous-mêmes, notre identité et notre corps ?
En tous les cas, cette liberté d'esprit ne peut venir qu'avec cette liberté du corps, dans tous les sens du terme. J'ai vu avec Aïcha M'barek, Chouibi, Toukebri et toute cette génération, ce que la danse leur a apporté. Affronter le regard de la famille, et de la société entière, dire qu'on existe pour danser. Ils se sont affranchis et aujourd'hui, plus que jamais, on doit rester debout et marcher, regarder dans les yeux et affirmer haut et fort : «je n'ai pas honte de danser, c'est mon métier, c'est la danse ! Et Je danserai partout où il faut !» Et si vous avez honte de ce que j'ai fait, je vous montrerai que c'est le meilleur des métiers. Aujourd'hui, s'il y a autant de politiques et de journalistes européens qui arrivent pour voir autant de danseurs qui dansent, c'est fantastique ! Avec «Fabrica», j'ai dix régions avec 100 danseurs. A Kasserine, on a des lieux de danse : à Sfax, à Mahdia, à Tozeur, Gabès, Gafsa... C'est extraordinaire à quels points ces filles et ces garçons ont pu se surpasser et sont parvenus à s'approprier la danse pour en faire un projet politique et social.


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