IL fut un temps où la spéculation n'était qu'un mot, un bruit de couloir, une pratique souterraine confinée aux marges de l'économie. Aujourd'hui, elle s'est muée en hydre multiforme, avalant la farine et la pomme de terre avec la même voracité, transformant les chambres froides en coffres-forts clandestins. Oui, la spéculation n'est plus un délit marginal : c'est une véritable guerre de tranchées contre l'Etat social. Sept mille deux cents tonnes de farine saisies à l'Ariana ! Ce chiffre n'est pas une statistique sèche: c'est le symptôme d'un mal enraciné. Ces tonnes ne viennent pas d'un silo unique mais d'une logistique parallèle, huilée, financée par une économie de l'ombre qui se joue des frontières et des saisons. Le spéculateur, tel un banquier sans visage, diversifie son portefeuille : farine, pommes de terre, huile, denrées avariées mais rentables. L'important n'est pas de nourrir mais d'affamer, pour mieux encaisser. Kaïs Saïed l'a martelé : cette guerre est existentielle. Elle ne vise pas seulement à réguler un marché, mais à restaurer une souveraineté. Car la spéculation, derrière son apparente cupidité, poursuit un objectif politique : miner la cohésion sociale, semer la défiance, déstabiliser l'Etat en frappant là où ça fait mal : l'assiette du citoyen. C'est pourquoi la création de la brigade municipale contre la spéculation ne doit pas être lue comme une simple mesure technique. Elle incarne une rupture. Elle institue une culture nouvelle, où l'on ne se contente plus de sanctionner mais où l'on prévient, où l'on responsabilise, où l'on refonde la commercialisation sur le civisme et non sur le cynisme. C'est un changement de paradigme : passer de l'Etat pompier à l'Etat stratège, du bricolage réactif à la régulation anticipée. Mais ne soyons pas naïfs : une brigade, si aguerrie soit-elle, ne gagnera pas seule cette guerre. La traçabilité des produits, la régulation du marché informel, la coordination entre les acteurs, le soutien à l'investissement productif: voilà les autres fronts de bataille. L'ennemi est mobile, il faut donc un Etat mobile, souple et implacable à la fois. Dans cette guerre, l'enjeu dépasse le simple panier de la ménagère. Il s'agit de réhabiliter un modèle: celui de l'Etat social, garant de la dignité et de la sécurité alimentaire. Les spéculateurs ont cru pouvoir transformer la faim en levier politique; l'Etat leur oppose désormais un contre-feu: le pain comme symbole de souveraineté.