• Un brouhaha civilisationnel derrière le silence monumental Kairouan, la ville blanche, s'inscrit dans la lignée des cités pétries d'histoire et de piété. En effet, La ville sainte de Tunisie est depuis toujours associée à sa grande mosquée Oqba Ibn Nafaâ. Toutefois, au cœur de la vieille ville, s'élèvent tant d'édifices chargés d'histoire. Le puits Barrouta en est une franche illustration. Pour y accéder, il faut suivre les ruelles sinueuses de la Médina. En franchissant la Porte des Martyrs (Bab Echouhada) construite en 1772, l'on se trouve dans l'artère principale qui traverse la vieille ville du nord au sud. C'est la rue AliBelhouane, une artère bordée d'une rangée de boutiques de tapis, de commerces de makroudh (pâtisserie locale) et d'objets de cuivre gravé. Au fil d'une marche contemplative, à ne pas manquer, d'une subtilité visuelle pour apercevoir les quartiers d'habitations, typiques de la Médina et ses monuments défiant l'usure du temps délimités par la rue principale. Dans le voisinage, figure la zaouia de Sidi Abid El-Ghariani, un mausolée élisant domicile au cœur de la seconde ruelle à droite. Dans cette zaouia datant du XIVe siècle, persistent les restes d'un saint, d'origine libyenne dit-on. Ensuite, on prend, juste en face, la rue Bouras. Puis, à gauche, la rue des Cuirs, une venelle peuplée de tailleurs et de tisserands. En face, parmi les demeures couvertes de belles couches de chaux, se trouve la maison qui abrite le puits Barrouta. Au premier étage, dans une pièce surmontée d'une coupole, un dromadaire aux yeux bandés actionne une noria. Au fur et à mesure de son mouvement circulaire, des gargoulettes bordant le contour de ladite noria et remplies d'eau fraîche et sainte versent dans de grandes jarres en argile crue leur contenu. Selon la légende, la source qui alimente ce puits serait la même qui a, autrefois, jailli sous les sabots du cheval de Oqba Ibn Nafaâ (fondateur de la Grande Mosquée de la ville en l'an 62 de l'Hégire). Elle communique, également, avec Zemzem, la source sacrée de la Mecque. On dit, par ailleurs, que le visiteur qui boit de l'eau de ce puits est assuré de revenir à Kairouan. Force est de constater, au fil d'une méditation sur la typicité architecturale de cet édifice, qu'il est aménagé de deux niches contenant un abreuvoir couronné par des robinets en marbre. De l'autre côté de la façade, s'élève une plaque votive exposant un poème qui exalte l'instauration de la fontaine en l'an 1100 de l'Hégire (1700 ap. J.-C., environ). Saisie en écriture naskhi (une écriture cursive apparue vers le Xe siècle, qui ne contient pas de caractères anguleux et prend de nombreuses formes différentes), la rhapsodie dont il est question s'entame ainsi (comme nous le traduisons) : «Quelle superbe fontaine par le Dieu généreux ! Sa beauté se manifeste aux spectateurs dans sa majesté merveilleuse et splendide, sa forme unit l'élégance à l'éclat». De surcroît, conformément à certaines répliques transmises d'une génération à l'autre, tout ce que le cœur désire peut toujours se réduire à la figure de l'eau du puits Barrouta, vu la sécheresse que connaît la ville durant la saison estivale. Cela dit, l'eau et la fraîcheur des lieux s'avèrent un souverain remède contre une soif trompée après une marche d'été. Mais il faut boire de cette eau claire et fraîche au bon moment. Là où autochtones et visiteurs désirent une eau pure face à un paysage frais, un puits qui intériorise une eau sachant tout réunir. Un rassasiement de l'homme et une purification de la ville. C'est au demeurant le brouhaha civilisationnel d'un puits, d'un monument grandiose et silencieux.