Première en Tunisie post-révolution, un dialogue euroméditerranéen des médias s'est ouvert, hier matin, dans la capitale, dont la séance d'ouverture a été retransmise en direct via satellite. Ainsi, les travaux se sont déroulés en grand pompe auxquels ont pris part journalistes, structures professionnelles du secteur, organisations civiles La rencontre se veut une opportunité d'échange nord-sud et du débat franc sur les maux d'une profession qui se cherche une place au soleil, se targuant d'une liberté d'expression qui n'est pas souvent respectée. Mais reste, quand même, un acquis irrévocable. Pourquoi un dialogue euro-méditerranéen des médias ? Patron de « Telvza tv », initiateur de la manifestation, M. Zouhir Latif a pris le soin de le présenter à ses invités. En quelques mots, il s'agit d'un nouveau terrain conquis, où doit s'établir un pont de communication qui s'ouvre sur l'autre rive, sur un monde qui nous ressemble jusqu'à la différence. Selon lui, c'est un dialogue auquel la corporation a fait appel, depuis une Tunisie ayant à son actif une expérience reconnue exceptionnelle en art de dialogue. Cette expérience fort appréciée fut récompensée par le Nobel de la Paix fin 2015. Voilà pourquoi ce choix d'événement a été aussi motivé. Et là, M. Latif a voulu profiter de la présence de la mère «militante» de Nadhir Ktari, photographe disparu en Libye, il y a plus de deux ans, pour rendre un vibrant hommage à tous les journalistes martyrs de l'information qui sont tombés sur l'autel de la liberté d'expression dans les zones de conflits. Un rendez-vous incontournable A l'ouverture, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), Néji Bghouri, a bien composé avec les raisons d'un tel premier dialogue médiatique nord-sud. Sans, pour autant, oublier de se référer, dans ses analyses, à la transition démocratique d'exception survenue à l'ère du Printemps arabe. « Et c'est tant mieux de nous voir présents dans cette rencontre qui vient nous édifier sur nos faux pas et nos erreurs pour qu'elles ne se reproduisent plus», admet-il. Un rendez-vous, enchaîne-t-il, qui se tient, aujourd'hui, à la merci de la liberté de la presse, en tant qu'acquis aussi cher de la révolution. Grâce à quoi, les médias se sont, particulièrement, retrouvés au-devant de la scène, ils ont dû, à ses dires, plaider en faveur de la stabilité et de l'apaisement des tensions (sit-in du départ au Bardo). « Après les élections 2014 et la mise en place des instances constitutionnelles, il y a eu des initiatives de réforme du secteur qui n'ont pas abouti, en raison de certaines tentatives d'instrumentalisation et de musellement des libertés d'expression», rappelle-t-il encore. Il a cité, ici, la loi de lutte contre le terrorisme, comme cadre juridique contraignant. Et le président du Snjt de conclure que ce dialogue euro-méditerranéen intervient au moment opportun, dans la mesure où tant de questions liées à la protection des journalistes méritent d'être posées. Tout dans le cadre de vraies garanties pour la préservation des libertés médiatiques. «On doit se féliciter de la tenue, sous nos cieux, d'une telle manifestation qui doit dégager tous nos soucis et nos questionnements sur la profession», c'est en ces termes que Mme Amel Mzabi, présidente du Syndicat tunisien des directeurs des journaux (Stdm), a entamé son allocution. Et de s'interroger, sans y répondre : «Sommes-nous parvenus à réaliser ce qu'il faut réaliser ? Est-ce que le public en est vraiment satisfait ? Nos médias deviennent-ils des acteurs influents aussi bien localement qu'internationalement ? A-t-on pu sortir des sentiers battus ? Jusqu'où le professionnalisme peut constituer un souci majeur propre à nous ?». Pour elle, la réponse semble, plutôt, mitigée. Ni oui ni non ! «Que cette rencontre puisse apporter le plus », espère-t-elle, proposant, à titre d'exemple, une stratégie pour un média transparent. L'utilité du rendez-vous doit également se traduire par le renforcement du principe de la liberté de presse et d'édition, indique M. Jamel Msallam, président de la Ltdh. « Autrefois, le paysage médiatique était de même couleur, souffrant sous le joug de la dictature», rappelle-t-il, insistant sur la protection des journalistes, comme préalable d'une presse libre et épanouie. Lui aussi n'a pas oublié d'ouvrir une parenthèse sur l'affaire «Sofiène et Nadhir», deux journalistes tunisiens enlevés en Libye, depuis septembre 2014. Et jusqu'à ce jour, l'on ne connaît rien sur leur sort. «Toutefois, cette liberté, on la voit encore fragile et menacée», juge M. Taieb Zahar, président de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux (Ftdj). Une nouvelle initiative s'offre au pays La parole a été, ensuite, donnée à M. Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des relations avec les Instances constitutionnelles, la Société civile et les Droits de l'homme, dont intervention a été faite au nom du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Le ministre a, d'emblée, commencé par inscrire ce dialogue médiatique dans le cadre d'une initiative qui tient à la vocation du pays, qualifié comme terre de paix et de dialogue. «La Tunisie de la révolution, de l'espoir, de l'avenir», a-t-il voulu la présenter ainsi à ses invités. Et d'ajouter que la réussite de la Tunisie doit rayonner sur tous les peuples de la région. « Les médias sont appelés à instaurer un nouveau discours plus rationnel et modéré, à même de s'ouvrir sur l'autre», préconise-t-il, soulignant que le renforcement des capacités du secteur demeure, plus que jamais, légitime et nécessaire. La liberté de la presse, dit-il, doit être consacrée, au niveau de l'esprit que dans la pratique. Selon lui, l'essentiel est dans la régulation, son institutionnalisation est aussi de taille. Et M. Ben Gharbia de relever que le gouvernement d'union nationale s'est pleinement engagé dans l'appui et l'accompagnement de cette liberté. «Il n'y aura plus avenir sans des médias ouverts, libres et constructifs», estime-t-il. De même, leur indépendance est visiblement constatée, à travers la Haica et le prochain conseil de la presse, comme mécanisme d'autorégulation. Médias et transition démocratique, quel rôle ? Sur ce point, M. Sadok Hammami, universitaire et président du Capjc, a tenu à articuler son intervention sur trois axes principaux. Sur le plan professionnel, il y a des pas franchis. Et le rôle des médias a été, visiblement, important, notamment en ce qui concerne leur position face à eux-mêmes et face aux menaces terroristes. C'est que, précise-t-il, la profession a redoré son image, laquelle est propre à elle. Au niveau du système médiatique, il y a pas mal de changements à caractère législatif et institutionnel. La Haica, les décrets 115-116, le futur conseil de la presse sont autant d'acquis qui ont pu reconfigurer le paysage médiatique. Toutefois, s'est-il rétracté, la question de la transparence pose encore problème. De même, ajoute-t-il, l'écriture journalistique n'a pas trop changé, elle s'est limitée à l'informatif, plutôt qu'à l'investigation. Le troisième axe concerne les médias eux-mêmes. Leur fonctionnalité prête à la diversité idéologique qui fait, elle aussi, partie de «la spectacularisation» du dialogue sur les plateaux TV. Donc, « la diffusion de la culture démocratique dans les médias..», déduit-il en conclusion.