Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), une organisation internationale militant pour la sécurité des professionnels dans le monde entier, s'inquiète du recul de la liberté d'expression en Tunisie Le monde des médias est-il en train de sortir de la torpeur dans laquelle il est plongé depuis un demi-siècle ? Cinq ans après la révolution tunisienne, le secteur journalistique, déjà, en crise se cherche encore une place au soleil. Une chose est sûre, le combat pour une presse libre, indépendante et prospère est loin d'être fini. Mais la liberté d'expression ne suffit pas à elle seule. Sans réelle protection, ce bien acquis demeure, lui aussi, sérieusement en danger. Pire encore, il risque d'être confisqué, sous l'emprise des influences politiques et de toutes autres convoitises de la sphère économique. C'est, en quelque sorte, le constat dressé par la Commission de protection des journalistes (CPJ), une organisation internationale militant pour la sécurité des professionnels dans le monde entier. Preuve à l'appui, son récent rapport sur l'état des lieux médiatique en Tunisie qui a été présenté lors d'une conférence de presse tenue, hier, dans la capitale. Sur la tribune, une équipe de quatre membres de la CPJ a, tour à tour, donné un aperçu sur une réalité post-révolution qui fait, d'ailleurs unanimité. Et le rapport l'a bien confirmé comme un véritable fait saillant : « La liberté de la presse a régressé sous nos cieux, sur fond de craintes sécuritaires ». Une vérité, certes, dérangeante, mais sans grande surprise. Le cours des événements nous l'édifie sur cette actualité brûlante, sous le regard vide d'un pouvoir qui continue sa fuite en avant. Et pourtant, relève M. Chérif Mansour, coordinateur du projet de la région Mena au sein de la CPJ, la Tunisie a vécu une révolution exceptionnelle qui avait, très largement, suscité la considération du monde entier. Ses suites ont fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le monde relayant la presse nationale. Mais ce vent de changement n'a pas soufflé sur certaines entreprises médiatiques. Il semble que les témoignages livrés par certains de nos confrères, journalistes et photographes, du Snjt, de la Haica, du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp) et d'autres structures professionnelles ont rapporté le même topo sur des craintes et des inquiétudes ainsi justifiées. La page n'est pas tournée Sur ce plan, Safa Ben Said, jeune journaliste rédactrice dudit rapport, rentre dans les détails de la crise d'un secteur qu'on croyait avoir repris un second souffle. On pensait, alors, que le temps de la censure et de la répression n'était plus qu'un lointain souvenir. Or la page, semble-t-il, n'est pas tournée. Les atteintes et les agressions policières contre les journalistes persistent encore, lit-on dans le même rapport. Rappelons la couverture des émeutes dans les régions, lors des manifestations de protestation ou au cours d'une simple prise de photos d'événements, l'intervention des forces de l'ordre fut assez musclée. La mémoire de ces faits vécus devant les caméras est encore vive. S'y ajoutent les menaces terroristes à n'en plus finir et dont la liste des victimes potentielles s'allonge au fur et à mesure. Les actes législatifs et l'arsenal des projets de loi soumis à l'ARP font encore peur. L'on cite, à titre d'exemple, le retrait du projet de loi sur le droit d'accès à l'information, celui relatif à la répression des atteintes à l'encontre des forces armées, et bien d'autres déjà adoptés tels que la loi antiterroriste. Le rapport indique que la guerre contre le terrorisme se mène au détriment des libertés d'expression et d'opinion, sous prétexte de l'état d'urgence qui a été décidé pour museler les plumes et faire taire les voix libres. Et d'ajouter que l'affaire des deux journalistes Sofiène Chourabi et Nadhir Guetari, kidnappés en Libye, il y a plus d'une année, n'a cessé de défrayer la chronique. Face à ce triste tableau chargé de révélations inquiétantes sur l'avenir des médias, le gouvernement en place n'a pas bougé le petit doigt. Impuissant, il suit, dans l'inaction, le cours des événements, sans retenir les leçons du passé. M. Mohamed Krichen, journaliste tunisien à la chaîne qatarie « Al Jazeera » et membre du conseil des secrétaires de la CPJ, est intervenu pour mettre les choses au clair. Selon lui, le but de ce rapport est plutôt le renforcement de la protection des journalistes, tout en préservant les libertés journalistiques acquises. De même, le soutien de la société civile nationale dans ce combat éternel. « D'ailleurs, nous aurons, aujourd'hui, une rencontre avec le chef du gouvernement Habib Essid, ainsi qu'avec M. Kamel Jendoubi, ministre délégué chargé de la relation avec la société civile, afin de les interpeller sur ce sujet », déclare-t-il, annonçant qu'un rendez-vous similaire est prévu avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Les recommandations émises, à cet effet, consistent à fournir la protection aux journalistes, leur garantir la liberté d'expression, loin de toute forme de pression et rompre avec la culture de l'impunité. Autre recommandation non de moindre importance : la solidarité avec nos collègues Nadhir et Sofiène, appelant le gouvernement à y apporter une réponse.