Six mois après sa nomination, Mohamed Zine El Abidine pense qu'il a un projet de réforme essentiel. Il ne s'agit pas de suivre, mais d'être porteur de ce qui doit être fait pour la culture en Tunisie, proclame-t-il bien haut... L'opinion publique a du mal aujourd'hui à assimiler le concept des «places des arts». Elle pense entre autres que ce n'est que de l'événementiel... Ce que je trouve étrange, c'est que l'intelligentsia et les artistes n'arrivent pas ou ne veulent pas comprendre le concept de l'appropriation symbolique d'un espace public pour la culture. Sincèrement, je me pose la question et je n'arrive pas à comprendre qu'une intention aussi noble, aussi citoyenne, aussi réactive, aussi participative que le fait de concevoir un espace public pour les arts ne soit pas bien assimilée. Il s'agit de l'appropriation morale d'un espace public et de sa restitution au citoyen comme prétexte et comme possibilité d'expression de liberté d'action. Je précise que ce n'est pas un espace épisodique ou événementiel. C'est un espace qu'on voudrait pérenne pour permettre aux artistes de s'exprimer, c'est un peu l'espace qu'on retrouve dans les pays développés et démocratiques et qui peut s'apparenter à une volonté de la société civile ou d'un porteur de projet. C'est aussi un espace qui est lié à la présence du ministre... C'est plutôt un espace qui survit à la présence du ministre, qui continue à exister au-delà de toutes les présences possibles et imaginables. Cet espace est lié à l'engagement du citoyen pour exprimer tout ce qu'il a envie d'exprimer. Et pour ce qui est de l'événementiel ? L'événementiel, il en faut ! Parce que pour habiter l'espace, il faut des programmes et des événements, mais l'essentiel, c'est que ces événements ne soient pas dictés, mais le fruit d'une initiative libre. C'est vrai qu'au moment d'inaugurer ces espaces, il y a l'aspect solennel, il est tout à fait normal que nous envisagions des concerts et des présentations. Mais au-delà de tout cela il y a soixante places pour la culture, soixante espaces d'art et d'expression. Je pense qu'avoir ce nombre de places des arts dans les campagnes, villes et délégations au bout de six mois d'exercice, c'est quelque chose d'important, et je peux vous dire qu'une bonne partie de ces places s'occupent par la volonté des citoyens. Nous avons accordé des subventions pour que les citoyens puissent habiter ces espaces. Ils sont payés et rémunérés pour cela d'ailleurs. Et ces espaces commencent à porter leurs fruits avec des programmations hebdomadaires entre autres sans la moindre présence formelle de la politique. Quand on voit le budget des maisons de la culture dans les régions, on s'étonne que cela soit aussi dérisoire... Nous essayons de pallier cette carence justement par le concept novateur des places des arts. Nous avons fait cela dans les régions et même à l'intérieur des régions. Nous avons baptisé parfois des campagnes comme celle des cités des arts. Le programme Cités des arts avec des subventions supplémentaires pour permettre aux jeunes, aux associations et porteurs de projets indépendants de se réaliser. Il y a donc un budget de plusieurs milliards de dinars qui est réservé à ces projets dans les régions. La réalité des régions est en train de changer, et si ce n'est pas visible, c'est parce que les régions n'ont pas toujours la répercussion médiatique des autres grandes villes. Après la nomination de M. Mohamed Hédi Jouini, que nous promet la Cité de la culture en termes de contenu ? Nous sommes en train de travailler sur les contenus avec le directeur général de la gestion par objectifs, en l'occurrence M. Mohamed Hédi Jouini, qui est en train d'assurer la direction des projets de cette cité. Pour la cinémathèque, Hichem Ben Ammar est en train de travailler sur le contenu. Imed Jemmâ s'occupe du ballet national, Hafedh Makni et Rachid Koubaâ travaillent, quant à eux, sur la restructuration de l'Orchestre symphonique de l'Opéra de Tunis. Pour le musée des arts modernes, nous sommes en train d'inventorier et de numériser les acquisitions de l'Etat quant aux œuvres artistiques... Tous nos projets sont en train d'avancer, mais personnellement, j'ai toujours préféré le travail à la parole...Donc, je peux annoncer au public qu'il aura la belle surprise de découvrir des programmes intéressants à la Cité de la culture. Le gouvernement d'union nationale a prévu un budget qui sera alloué à la Cité de la culture pour lui permettre de mettre en place ses programmes. Quelle est la situation à l'INP (Institut national du patrimoine). On parle entre autres de mauvaise gestion et de mauvaise entente après la démission du directeur général... M. Fethi Bahri, qui était directeur général de l'INP, s'est absenté pendant deux mois pour des raisons de santé, je compatis et je lui souhaite un prompt rétablissement. Ces raisons de santé et d'autres raisons, qui sont justement dues à ces absences, se sont répercutées de manière néfaste sur le travail. Je pense qu'il y a eu beaucoup de retard et un cumul incroyable d'insuffisances, ainsi qu'un nombre important de réclamations concernant le patrimoine, l'archéologie, la préservation des sites et leur exploitation. Tout cela a généré beaucoup d'insuffisances qui ont poussé le ministère à changer le directeur général de l'INP. Maintenant, M. Fethi Bahri a toute sa place à l'Institut du patrimoine où il est chercheur, mais la direction, c'est autre chose, c'est une manière de mettre les gens à l'aise et de les sensibiliser pour qu'ils puissent atteindre leurs objectif de croissance et de développement. Où en est le projet «culture contre le terrorisme» ? Notre slogan est «la culture partout et pour tous». Si nous cultivons cette culture de proximité, cette culture de quartier, si nous donnons aux entrepreneurs culturels, et surtout les jeunes d'entre eux, les moyens de réaliser leur projet c'est justement dans cet objectif. C'est aussi une forme de Partenariat public-privé. Pour 2017, nous avons prévu la création de 200 espaces culturels indépendants à part la mise à niveau des espaces culturels publics. C'est une mouvance réelle qui va créer la culture de cité, la culture de quartier partout et pour tous. Le ministère n'a jamais autant soutenu les associations les plus lointaines à établir un plan d'action pour la culture. On n'en parle pas beaucoup parce que c'est notre travail après tout mais le ministère est très présent dans les régions. Il y a également l'autre projet des cités des civilisations dont le principe est de faire des sites et des monuments anciens une source pour informer les Tunisiens sur leur passé. Bien plus que cela, nous comptons en faire des espaces pour des événements à l'échelle internationale à Sbeïtla, Bulla Regia, Kasbet El Kef, Béja, Dougga. Expositions, théâtre, cinéma, danse, toutes les expressions seront de mise dans les cités anciennes de Tunisie. C'est une certaine manière de contrer l'extrémisme par cette culture de la société civile soutenue par le ministère. Amel Moussa a démissionné du Festival international de Carthage entre autres parce que la direction financière était trop influente. Quelle marge de manœuvre aura Mokhtar Rassaâ ? Monsieur Rassaâ sera libre de gérer ce qu'il a à gérer, libre de concevoir son programme. Et généralement le ministère n'intervient pas dans la programmation de ces grands événements. Nous ne sommes pas intervenus dans les choix de M. Chokri Mabkhout ni dans ceux de Ibrahim Letaïef, Lassad Jamoussi ou Hamdi Makhlouf. Ce n'est pas la vocation du ministère d'interférer dans le travail, ne serait-ce que d'un comité de réflexion. Nous donnerons à M. Mokhtar Rassaâ toute la latitude de pouvoir exprimer ses choix, sa vision et son projet. Ça sera la session du comité directeur du Festival international de Carthage dirigé par Mokhtar Rassaâ. Oui mais le directeur financier va-t-il continuer à intervenir dans les choix et décisions ? Nous continuons à gérer la débâcle de certains ordonnancements par rapport à des dépassements de budget pour les JCC, les JTC les JMC, etc. et nous avons à peu près un passif d'un milliard deux cents qui sera résorbé au titre de 2017. Ces passifs financiers ne sont pas normaux pour moi. Le festival international de Carthage que j'ai géré par exemple a réellement de l'actif et dire qu'il,était essentiellement un festival culturel (avec une programmation non lucrative) et pas uniquement commercial. Maintenant au-delà du projet que porte le comité de direction sous la houlette d'un directeur, le côté financier est important. Cela dit quand il s'agit de calomnies de la part de certaines personnes qui ont d'autres ambitions que la culture, cela ne m'intéresse pas parce que je veux plutôt élever le niveau. Je préfère rester dans une certaine mesure que portent l'art, la culture, le civisme et surtout cette considération pour notre pays et ce qu'on peut lui apporter. Il y a des projets pour le statut de l'artiste qui n'ont pas encore abouti. Il y a eu deux projets : la mutuelle des artistes et là nous venons de fignoler le texte qui est déjà passé à la présidence du gouvernement. Je rappelle que c'était une proposition commune avec la société civile, les vrais intellectuels et les artistes d'une certaine teneur. Le ministère a retenu les leçons du 14 janvier dans le sens où la culture dirigée n'a plus sa place en Tunisie. L'autre texte relatif au statut de l'artiste et des métiers artistiques est aussi le fruit d'un travail commun avec la société civile. Là aussi, le texte est passé à la présidence du gouvernement. Il est en concertation entre les différents ministères impliqués, comme celui des Affaires sociales. On vous reproche également de ne pas être dans la continuité du travail fait par vos prédécesseurs. On peut dire ce qu'on veut. Il y a un cheminement pour ce qu'il y a à apporter sur le plan juridique et institutionnel et c'est très important de le faire par rapport à des objectifs et à des prérogatives. La question n'est pas de suivre mais de voir quels sont actuellement les textes urgents et prioritaires à défendre. Nous avons un projet de réforme juridique essentiel. Il ne s'agit pas de suivre, il s'agit d'être porteur de ce qui doit être fait pour la culture en Tunisie. Le plus important, pour moi, c'est le travail collégial et surtout de manière interactive avec la société civile et les jeunes. Je suis quelqu'un qui essaye de galvaniser des personnes, des volontés, des ambitions pour projeter quelque chose ensemble. La culture doit être au-dessus de cette controverse que veulent porter certaines personnes pour entraver ceux qui sont motivés par un élan culturel pour ce pays. Ils veulent nous interdire cet élan et nous empêtrer dans des considérations de bas étage, mais nous sommes là pour travailler. Qu'en est-il du rapport financier et moral des dernières JCC ? Est-il vrai qu'il y a des factures que l'Anep n'a pas encore payées ? Pour ce qui est de la gestion de ce festival, il y a le payeur qui est l'Anep et il y a encore des factures qui ne sont pas encore payées pour peut-être quelques petites réserves. Mais le plus important, c'est de faire confiance à l'Anep, au comité directeur pour assainir cette ambiance. Je pense qu'il n'y a plus de raison de s'inquiéter. Je suis sûr que l'Anep va prendre les mesures nécessaires pour pouvoir avancer. Peut-on espérer avoir un bureau fixe pour les JCC cette année ? La nomination de M. Néjib Ayed est pour deux ans, ce qui va lui permettre de travailler librement et aisément pour concevoir les programmes et créer ce bureau. Cette nomination pour deux ans devrait aussi conduire à une meilleure stabilité pour ce festival. Pour les JTC, nous avons un projet de partenariat avec le comité arabe du théâtre. Il y aura aussi la saison tunisienne du théâtre. Le problème, c'est qu'avec le dépassement des budgets de l'année dernière, nous devons trouver une juste mesure pour gérer tout cela. Le tournage des films étrangers en Tunisie, qui constitue une source importante de devises, est en nette baisse, quelle est votre stratégie pour attirer de nouveau les grandes productions étrangères ? Cette question dépend beaucoup de la sécurité avant tout. Ce recul s'explique comme tout le monde le sait par les derniers attentats qui ont visé la Tunisie. Mais, en fait, toute la région est visée. De ce point de vue, je pense que nous sommes en train de gagner du terrain en termes de sécurité. Mais au-delà de cette mesure sécuritaire, il faut faciliter les procédures de tournage comme au Maroc, qui aide beaucoup les productions étrangères, y compris l'acheminement du matériel et son transit par les aéroports par exemple, il y a aussi les incitations financières. Il y a toute une stratégie qu'il faut absolument voir, mais il faut également réunir toutes les parties prenantes et les ministères concernés. A mon avis, il y a un problème de bureaucratie à résoudre et notre ministère n'épargnera aucun effort pour travailler en concert avec toutes les parties prenantes.