A l'ordre du jour de l'atelier consacré, à Sfax, au climat des affaires, organisé par la Chambre de commerce et d'industrie de Sfax (Ccis), en collaboration avec l'Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq) et le Centre d'affaires de Sfax (Cas), figure la communication intitulée : «Pourquoi les investisseurs en capital ne jouent pas pleinement leur rôle ?», de Hanen Baklouti-Trabelsi, sous-directrice à l'Itceq. Devant un groupe de femmes et d'hommes chefs d'entreprise, de représentants de la Banque centrale et de bureaux d'études, ainsi que d'experts comptables et de représentants de l'administration, l'auteure de la communication a exposé les résultats d'une enquête menée en 2013, par l'Itceq, auprès des deux protagonistes principaux, à savoir les entreprises et les investisseurs en capital : «L'enquête a concerné un éventail de 1.100 entreprises non financières privées réparties sur tout le territoire tunisien et opérant dans l'industrie et les services, dont 770 entreprises ont répondu, et ce, dans le but de connaître leur perception de ce mode alternatif de financement qu'est le capital-investissement (CI). Elle a été également conduite auprès de 36 investisseurs en capital (Sicar et fonds de gestion), dont 27 ont répondu», a précisé Hanen Baklouti-Trabelsi. De prime abord, un constat : en dépit des contraintes sévères liées au financement bancaire, le recours à l'alternative de la finance directe, laquelle ne se limite pas seulement au marché financier, mais peut se faire également en faisant appel au capital-investissement (Private equity), le bilan du capital-investissement en Tunisie est mitigé : «Non seulement, l'examen de la structure de financement des entreprises tunisiennes laisse déduire que le recours à la finance directe reste limité et que les encouragements et les incitations mis en place n'ont pas permis d'améliorer la contribution du marché financier dans la mobilisation de l'épargne et dans le financement de l'économie, mais qui plus est, le taux de financement des investissements privés qui était tangent à 12% en 2009, a chuté à 9,2% en 2014», fait-elle remarquer. De quoi étonner quand on sait qu'en Tunisie, l'activité du capital-investissement (CI) est née en 1983 et qu'on compte aujourd'hui près d'une centaine de véhicules de capital-investissement : «Le marché tunisien compte 96 véhicules de capital-investissement à la date du 31 décembre 2014 qui se répartissent en 56 sociétés d'investissement à capital-risque (Sicar), 35 fonds communs de placement à risque (Fcpr) et 5 fonds d'amorçage (FA)», note la sous-directrice à l'Itceq. Il est donc clair, au vu de la structure de financement des entreprises tunisiennes, que le crédit bancaire et, dans une moindre mesure, le leasing constituent les modes de financement externes à l'entreprise les plus sollicités, contrairement aux autres modes de financement, en l'occurrence les Sicar et les Fcpr, qui sont très peu utilisés. Des entraves Le constant a de quoi interpeller et inciter à une recherche approfondie des entraves au recours à la finance directe en Tunisie qui, selon le rapport du forum économique mondial de Davos, est passée de la 35e place avec un score de 3.1 en 2011 à la 111e avec un score de 2.3 au niveau de la disponibilité du capital-risque, ce qui dénote l'existence d'obstacles au niveau de ce mode de financement alternatif. Il ressort de l'exposé présenté que les sociétés d'investissement à capital risque (Sicar) demeurent peu sollicitées par les chefs d'entreprise. A ce propos, les résultats de l'enquête auprès des chefs d'entreprise ont montré que seuls 8% déclarent avoir recouru aux Sicar pour le financement d'un investissement. De plus, les bénéficiaires sont des entreprises majoritairement de grande taille ou celles qui se considèrent compétitives. Ceci concernant les effets. Mais qu'en est-il des causes qui font que l'investisseur en capital ne joue pas pleinement son rôle. ? Il y a lieu, d'abord, d'énoncer une évidence : le développement de ce métier requiert nécessairement des préalables qui ne semblent pas être réunis pour le cas tunisien. Pour deux raisons essentielles : certains préalables sont liés à l'esprit entrepreneurial même du chef d'entreprise et d'autres sont liés au mode de prestation de l'investisseur en capital. L'enquête menée par l'Ifceq a permis de connaître les explications aussi bien des entreprises que celles des véhicules d'investissement. Pour les chefs d'entreprise et pour 70% des investisseurs en capital, enquêtés, le faible recours aux Sicar est principalement dû au cadre réglementaire régissant ces véhicules d'investissement, accusés d'être peu adaptés malgré les réformes déjà entamées principalement depuis 2009 et 2011. La deuxième explication partagée a trait aux difficultés de sortie. 35% des entreprises interviewées font état des conditions juridiques afférentes au mécanisme de sortie et 15% seulement des investisseurs en capital interviewés déclarent avoir réalisé une ou deux sorties sur la bourse. Promouvoir la Private Equity Ces difficultés ont inévitablement conduit à la solution du portage, pratique pourtant interdite par la loi 2008-78 du 22 décembre 2008, sachant que l'enquête auprès des investisseurs en capital montre que 38% des interviewés pensent que le portage continue d'être pratiqué car les entreprises elles-mêmes le réclament. Ce constat est de nature à susciter pas mal d'interrogations sur la clarté et la pertinence de la loi régissant le portage. Le diagnostic étant établi, la question est de se pencher sur la remédiation à préconiser. En d'autres termes : «Comment promouvoir le private equity en Tunisie ?», s'est interrogée Hanen Baklouti-Trabelsi. Le handicap majeur se situant au niveau de la compréhension, les professionnels du métier recommandent de soigner la vulgarisation simultanément auprès du secteur privé et de l'administration publique, elle-même non suffisamment avertie du mode d'intervention du CI, ce qui peut se traduire par une formulation équivoque des lois régissant ce secteur. Sur un autre plan, 55% des investisseurs en capital, jugeant qu'il n'y a pas de projet viable, préconisent aussi comme solution d'entreprendre des actions ciblant le développement de l'esprit entrepreneurial et du marché boursier. A cet égard, l'Atic propose d'enrichir la palette d'instruments financiers au niveau du marché boursier, tels que les actions de préférence, les bons de souscription d'actions ou les stocks options. Les recommandations portent également sur la promulgation d'une législation simple, sans ambiguïté ni marge d'interprétation, sachant que 70% des investisseurs en capital ont formulé des griefs à l'encontre du cadre règlementaire, facteur portant préjudice à leur compétitivité,. D'ailleurs, une bonne proportion juge que le cadre juridique en vigueur est limité aussi bien au niveau des conditions d'emploi des ressources (53%) qu'au niveau des délais d'intervention (59%) afin de pouvoir accompagner plus d'entreprises tout au long de leurs stades d'évolution. Les investisseurs en capital appellent aussi au développement des deux bouts de la chaîne de financement, en l'occurrence, le capital amorçage et le capital transmission et retournement.