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« Maximiser la sensibilisation des blouses blanches, des associations et du public » Interview du Pr Rafika Bardi, immunologue et directrice générale du Centre national pour la promotion de la transplantation d'organes (CNPTO)
La transplantation d'organes se heurte à moult obstacles dont les plus culminants s'avèrent être, sans doute, le manque flagrant des donneurs d'organes décédés et l'obstination des familles des éventuels donneurs décédés, en situation de mort encéphalique, à refuser de sacrifier un organe pour sauver une vie. Le défi est loin d'être relevé. Mais il n'y a pas de vie sans espoir ni persévérance. Interview du Pr Rafika Bardi, immunologue et directrice du Cnpto. Quel est l'état des lieux de l'activité de transplantation d'organes ? Je tiens avant toute chose à rappeler l'historique de cette activité. La transplantation d'organes a démarré, en 1986, avec la première greffe de rein réalisée par des compétences nationales. En ces temps-là, les organes étaient essentiellement prélevés auprès de donneurs vivants, notamment les parents ou les enfants, pour sauver des vies de malades souffrant d'une insuffisance organique vitale. La création du Centre national pour la promotion de la transplantation d'organes (Cnpto) en 1998 avait donné un nouveau souffle à cette activité, par le biais de l'élargissement de la liste des éventuels donneurs. Cette décision a été prise par le Conseil scientifique dans l'optique de pallier les cas des malades n'ayant ni parents ni enfants. Désormais, des proches, comme les frères et sœurs mais aussi comme le mari ou la femme comptent parmi les donneurs vivants éventuels de priorité. Quelle est l'évolution que connaît cette activité médicale ? Actuellement, nous effectuons, en moyenne, une greffe par semaine. Cette activité aurait pu être plus importante dans le cas où des donneurs décédés ou encore les familles des donneurs décédés auraient autorisé l'acte de prélèvement. Or, dans les unités de soins intensifs, où l'on enregistre annuellement près de 600 cas de morts encéphaliques, — une condition fondamentale au prélèvement des organes —, la réponse par la négative résonne comme un son de cloche. Une personne en situation de mort cérébrale, je précise, et qui est en situation de réanimation, est soumise à des examens qui confirment ou infirment sa mort. Puis, un bilan est réalisé pour trancher sur l'état infectieux de cette personne et, par conséquent, de la possibilité ou non d'en prélever un organe. Là, aborder la famille sur ce point est toute une science. Il faut que le consentement soit explicite. Or, le taux de refus est monté d'un cran surtout après les événements du 14 janvier 2011. Les gens n'ont plus confiance en le système de la santé et surtout dans l'activité de la transplantation d'organes. L'on soupçonne même des actes de trafic. Ces doutes ont été renforcés par la diffusion d'émissions télévisées dans lesquelles des informations mensongères ont été avancées au public. L'on avait même parlé de prélèvement de cœur auprès d'un donner vivant ce qui est absurde et illégal. On ne tue pas une personne pour donner la vie à une autre. Les prélèvements des organes sur des donneurs vivants sont, certes, fréquents dans des cas bien déterminés, notamment pour les greffes de reins, des poumons, du foie et des tissus et de la moelle osseuse. Quel est le taux de refus des familles ? En 2012, il avait atteint les 90%. Heureusement que cette position commence à fléchir puisqu'en 2016, l'on a réussi à effectuer six prélèvements ; le taux de refus étant ainsi chuté pour se situer à 68%. Six prélèvements sur des donneurs décédés en une année n'arrange pas les choses et ne résout pas le problème vital des personnes en insuffisance organique. On estime que la liste d'attente de ces malades s'amplifie d'année en année. Combien compte-t-elle de malades ? Les insuffisants rénaux, dont le nombre total s'élève à 9.600 malades endurant les sévices du traitement par hémodialyse, la liste d'attente compte 1.500 malades. Certains patientent depuis plus de dix ans... Entre-temps, ils agencent leur quotidien entre des séances de dialyse épuisantes et des jours de repos inéluctables. Pour ce qui est de la liste d'attente de la greffe du cœur — laquelle greffe se fait strictement auprès de donneurs décédés —, nous comptons une cinquantaine de malades. Quant à la transplantation du foie, l'on compte une centaine de malades en instance. Faute de donneurs décédés, nous orientons nos choix- contraints- vers les donneurs vivants. Dans le cas d'absence d'un donneur apparenté, nous optons pour le don entre mari et femme. Et ce sont surtout les femmes qui s'adonnent au don d'organe, et ce, dans 80% des cas. Par quels moyens envisagez-vous de renouer le contrat de confiance entre les familles des éventuels donneurs décédés et le système de santé ? Nous allons maximiser notre travail de sensibilisation. En première ligne, il est nécessaire de sensibiliser les blouses blanches. C'est bien le cadre médical et paramédical qui est le plus indiqué en cas de morts encéphaliques survenues dans les unités de soins intensifs, de passer le message et de sensibiliser les familles quant à l'importance vitale de l'acte du don d'organe. Il faudrait aussi que le cadre médical et paramédical puisse convaincre les familles qu'il n'y a pas de trafic d'organes mais que la pénurie d'organes, en revanche, risque de déclencher le trafic. Pour être franche, le trafic d'organes prospère dans plusieurs pays. Certains de nos malades — et faute de donneurs décédés — recourent à ces pays pour acheter des organes et se faire greffer. Ils rentrent en Tunisie aussitôt opérés et recourent à nos structures nationales pour les soins postopératoires. C'est dire la difficulté qui domine cette activité vitale faute de donneurs décédés. Ce qui est encore plus intrigant, c'est que les Tunisiens qui recourent à l'achat d'organes auprès des pays dont je vous ai parlé sont de plus en plus nombreux. Revenons à la sensibilisation qui, outre celle des blouses blanches, devrait impliquer les associations œuvrant dans l'encadrement et l'accompagnement des malades. Il conviendrait aussi de relancer la mention de «donneur d'organe» dans la Carte d'identité nationale. Jusqu'à nos jours, nous ne disposons que de 13 mille donneurs déclarés et volontaires. Aussi, allons-nous reprendre ce moyen de sensibilisation en collaboration avec le ministère de l'Intérieur mais aussi avec la police technique qui doit livrer un imprimé à remplir et permettre aux donneurs volontaires de légaliser leurs signatures au sein même du poste de police pour leur éviter le déplacement jusqu'à la municipalité. D'un autre côté, il faudrait instaurer un registre d'opposition pour cerner les personnes qui s'opposent catégoriquement à cette activité, comme c'est le cas en France Le Cnpto a instauré, en outre, des unités de coordination hospitalières au sein des hôpitaux agréés pour le prélèvement et la transplantation d'organes afin de dynamiser davantage la coordination avec ces établissements. Jusqu'à nos jours, des unités ont été implantées à Tunis, notamment au CHU Charles-Nicolle, à Nabeul et à Sousse. Nous œuvrons pour en instaurer d'autres au CHU La Rabta, à Monastir et à Sfax. Vous avez dit que nous comptons 13 mille donneurs volontaires affichant dans leurs CIN la mention «donneur». Cela ne résout pas une partie de la pénurie d'organes ? La transplantation d'organes obéit à tout un processus médical. Dans le cas où nous avons un organe à prélever, il y a des examens à faire pour savoir si le taux de réussite serait optimal. Le principal examen est celui de l'ABO. Cet examen consiste à déceler la compatibilité des antigènes du groupe sanguin. Il est impératif que la compatibilité soit croisée pour que la greffe soit autorisée. Il est important de souligner le rôle déterminant que joue l'immunologie dans l'activité de transplantation d'organes. Notre souci consiste à greffer des malades non immunisés. Les greffés sont par la suite dans l'obligation de recevoir, à vie, un traitement immunodépresseur afin d'éviter toute réaction contre l'organe greffé. Quels sont les critères de désignation des malades prioritaires d'une greffe d'organe ? Comment gérez-vous la liste d'attente ? Tous ces examens sont décisifs dans le choix du malade à greffer. Il y a aussi d'autres facteurs qui entrent en jeu et qui sont systématiquement traités par le système informatisé du Centre. Dès que nous avons un organe prélevé, nous introduisons les données scientifiques et les résultats des examens dans le système informatisé. Et c'est ce système neutre qui décide des malades prioritaires en fonction du taux élevé de compatibilité avec l'organe en question mais aussi en fonction de l'âge et de la durée de l'attente. Je tiens à souligner que le choix des malades prioritaires se fait dans la neutralité et en toute transparence, mais aussi — et surtout — dans l'anonymat total. Sinon, j'aurais pu greffer mon frère avant de le perdre... Je tiens aussi à indiquer que chaque organe prélevé doit impérativement être greffé, ce qui est recommandé, d'ailleurs, par la loi en date de 1992. Quels sont les cas qui, selon vous, sont plus prioritaires que d'autres ? Tous les malades sont dans l'attente d'un espoir, d'une vie saine. Mais nous avons remarqué que les enfants qui sont sur la liste d'attente d'une greffe du foie meurent faute de don d'organe. Notre objectif pour l'année 2017 consiste à commencer à greffer le foie à partir de donneurs vivants qui sont généralement les parents. Il s'agit de prélever un petit fragment de foie auprès de l'un des parents qui sera transplanté chez l'enfant. Le foie est très difficile à manipuler. Certes, mais à l'échelle internationale, l'on ne cesse de promouvoir la greffe du foie chez les enfants, laquelle est plus réussie par des prélèvements sur des donneurs vivants que par ceux faits sur des donneurs décédés. Les enfants hémodialysés sont, eux aussi, prioritaires. Leur score de priorité est multiplié par deux en comparaison de celui d'un adulte. S'agissant de la greffe des poumons à partir des donneurs vivants, il faut disposer de deux donneurs pour greffer un malade en insuffisance pulmonaire vitale. Et ce sont généralement les frères et sœurs qui sont les plus sollicités pour cela. Pour la greffe de la cornée, nous collaborons avec la médecine légale. Cette greffe est effectuée à Sousse et à Nabeul. Elle est, de surcroît, la seule greffe permise dans le secteur privé. Cela dit, la Tunisie importe des cornées des USA faute de cornées disponibles. Quels sont les nouveaux challenges du Cnpto en matière de gestion et de promotion de l'activité de transplantation d'organes ? Le centre assure la gestion et la transparence de cette activité vitale. Il garantit aussi le financement des équipes et des ONG partenaires. Nous avons signé une convention avec le ministère de l'Education pour des actions de sensibilisation auprès des jeunes dans les établissements scolaires. Nous coopérons, à l'échelle internationale, avec l'Agence Bio-médecine de France, une coopération axée sur la formation approfondie et spécifique en faveur des compétences tunisiennes. Je tiens aussi à annoncer que la Tunisie abritera les 7 et 8 avril, les travaux du Colloque France-Maghreb à Sousse, cette rencontre spécifique est organisée tous les deux ans.