En quoi consiste votre action culturelle dans le Nord-Ouest ? Ce qui se fait aujourd'hui dans cette région ce sont de petites initiatives ponctuelles. A partir du mois de mars de chaque année, nous avons lancé ces initiatives qui commencent petit à petit à prendre forme, et à mobiliser beaucoup de personnes au Kef. Pour le Sicca Jazz par exemple, nous sommes à notre troisième édition et on prépare la quatrième pour l'année prochaine. Nous avons aussi une autre association qui travaille sur d'autres thématiques, comme la citoyenneté, la violence à l'égard des femmes et des jeunes, et ce, depuis 2011. Le festival Sicca Jazz a débouché sur un magazine communautaire, Sicca Mag ? On a commencé en 2012 avec Anouar Brahem pour les rencontres culturelles du Kef. L'objectif était de monter des spectacles avec une certaine qualité technique et organisationnelle, et de montrer que les habitants du Nord-Ouest, en général, ont droit à une bonne qualité de spectacle. Les festivals dans la région subventionnés par l'Etat restent restreints et limités avec un choix artistique très pauvre. L'idée était de démocratiser la culture de qualité et on a choisi le jazz comme axe. Maintenant l'idée du magazine, on l'a eue avec Amine Ghazouani qui en est le rédacteur en chef. L'idée qu'il a eue depuis 2010 était de faire un magazine communautaire qui ne parle que du Kef et de ses délégations. Et comme il est passionné de théâtre, nous avons instauré des ateliers théâtraux dans toutes nos actions. On essaie d'utiliser la culture pour rapprocher les gens et créer ce terrain de confiance avec les citoyens pour pouvoir, après,parler de droits, de libertés, de constitutions, de vote et de plusieurs autres axes. L'idée du magazine est aussi de donner au citoyen l'information. Donc, le festival et le magazine, ainsi que toutes nos autres activités s'inscrivent dans tout un projet qu'on a au Kef. En tant que collectif, en tant que jeunesse (plus de 70 jeunes), on a pu se mobiliser et s'organiser en équipes pour créer un écosystème local et montrer que lorsqu'on a beaucoup de volonté et qu'on a des acteurs publics qui ont vraiment confiance en la jeunesse pour dynamiser le développement local, on peut réussir. Vous faites également un travail pour le patrimoine du Kef... Au fait, Le Kef est une ville qui a plein de ressources et où il y a cinq civilisations qui se sont succédé. Il y a plusieurs monuments historiques (il y en a 12, ne se serait-ce qu'au centre-ville) qui attestent de ce passage, ainsi qu'une synagogue unique avec un musulman qui est enterré dedans, une église, plusieurs mosquées et des cimetières pour chrétiens, juifs et musulmans. Mais il y a aussi le patrimoine immatériel, comme la musique kefoise, l'art culinaire entre autres. On essaie de valoriser tout ça à travers de petites initiatives qui donnent l'opportunité à des artisans du Kef de produire des choses à partir de ce patrimoine justement. Notre objectif principal est de montrer aussi que Le Kef a tout pour devenir une destination touristique alternative par excellence dans une économie où le balnéaire perd du terrain. Il y a 13 sources thermales au Kef par exemple, cela pourrait devenir une destination particulière. Avez-vous au moins «l'oreille» du ministère du Tourisme ? Je dirais qu'on commence à avoir l'oreille du ministère. On a passé les deux premières années tout seuls, mais là, on commence à avoir l'appui du ministère des Affaires culturelles pour Sicca Jazz, on a eu également l'appui de l'Ontt, ce qui nous a permis de progresser. Je pense qu'on a joué ce rôle de responsabiliser l'Etat. A mon avis, si l'Etat n'a pas eu cette responsabilité de lancer ces petites initiatives au Kef, il doit au moins les soutenir. Sicca Jazz est-il en train de devenir une vitrine pour le tourisme dans la région? A mon sens oui. Cette année, on a eu des artistes américains qui se sont produits dans ce festival, ils viennent pour la première fois en Afrique et au Kef, alors que Le Kef est classé zone rouge par plusieurs ambassades. Ce qu'on fait, c'est d'inviter des artistes dont les ambassades ont classé Le Kef comme zone rouge et ils acceptent, parce qu'on est un festival de résistance et on fait appel à des artistes engagés qui savent que cette initiative est portée par des bénévoles. Cette année, on a eu une cinquantaine d'artistes étrangers. Avec eux, on fait des capsules vidéos pour montrer justement que Le Kef est une destination touristique sécurisée et pour promouvoir la paix dans le monde. L'association s'appelle «Culture et développement» et on a réussi à travers elle à aider au développement au Kef. Toutes les autorités sans exceptions adhèrent à cette initiative. Ce festival est devenu le projet des Kefois. Et je suis particulièrement fière des Kefois qui ont ouvert les portes de leurs maisons pour les invités du festival, vu qu'on a un problème d'hébergement dans la région. Autre chose qui m'a émue, c'est lorsqu'on a ramené des groupes d'artistes dans l'hôpital régional du Kef. C'était un grand moment pour moi. Pour la quatrième édition, nous projetons de faire des spectacles en prison. Vu qu'on est des jeunes engagés et que nous menons un projet de résistance, notre festival est pour nous une responsabilité citoyenne. Où en est votre action pour les femmes dans la région du Kef? En fait, nous sommes actifs sur ce terrain avec l'association «Femmes et citoyenneté», dont je suis la vice-présidente. Mais, en fait, les jeunes du Kef et les deux associations travaillent en concert. Avec «Femmes et citoyenneté», nous avons créé un centre d'écoute pour les femmes victimes de violences. On a un numéro vert qui fonctionne sur toute la Tunisie (80 101 400) et où n'importe quelle femme qui subit une violence, quel que soit son genre, peut nous contacter gratuitement. Elles ont droit à une écoute active de la part d'une assistante sociale ou d'une conseillère juridique et une psychologue. On a également un centre d'écoute où on accueille les femmes chez nous ; on est au-delà de 300 dossiers. Dans cette approche globale, on respecte bien entendu la décision des femmes. Mais, en général, on accompagne la femme dans sa demande d'écoute jusqu'au lancement de son propre projet. Nous avons des fonds qu'on donne sous forme de don pour les projets de femmes qu'on accompagne grâce à des experts.