Une première édition qui réussit sous haute surveillance L'idée qui habitait l'esprit des organisateurs de cette première édition de Sicca Jazz était «il vaut mieux continuer à vivre qu'avoir peur» malgré le sombre nuage qui planait sur nos têtes. Deux jours après l'attaque du musée du Bardo, Ramzi Jebabli et son équipe étaient plus que déterminés à continuer cette aventure. Les yeux braqués sur le poste de télévision, on attendait le discours du président... il n'y a pas eu proclamation d'un deuil national. Il fallait donc maintenir le festival, la décision est prise : Sicca Jazz aura lieu... Au Kef, tout est prêt, des centaines de mains mettent en place la scène, la sono, les chapiteaux... les commerçants revoient leur stock... les petits hôtels aussi ont fait peau neuve, sorti leurs draps fraîchement blanchis... les tables se dressent pour des restaurations chaleureuses... la sécurité aussi sera d'autant plus renforcée... Le Kef se prépare à accueillir tous ceux qui viendront, défiant la peur pour célébrer la vie et non pas la mort. Les artistes aussi, Karim Ziad, Aziz Sahmaoui et l'Américain David Murray n'ont pas hésité un seul instant à maintenir leur rendez-vous au Kef. Excepté N'gûyen Lê, ils étaient tous là pour Sicca Jazz, pour Le Kef et pour la Tunisie... Un signe fort de la part d'artistes mondialement connus, qui contribuera, un tant soit peu, à rassurer tous les amoureux de la Tunisie qui comptaient venir chez nous passer quelques jours de détente et qui, aujourd'hui, hésiteraient à venir. Sicca Jazz a lieu, dans la douleur, certes, mais aussi dans l'amour de la vie...Trois jours durant, une grande foule affluait à l'entrée de la Kasba, leurs tickets en main. On venait de tout bord, du Kef et des alentours, de Tunis et d‘ailleurs. Pour certains, c'était la première fois qu'on visitait la ville. Un jeune couple et leurs deux filles ont fait le trajet depuis Sousse nous ont déclaré : «Si on cède une fois à la peur, on arrêtera très vite de vivre». A partir de 17h00, ça commence à grouiller du côté de Boumakhlouf, le saint patron du Kef qui a veillé d'un œil bienveillant sur la ville, ses habitants et ses invités. On dirait que l'étendue verte de la vallée du Kef a fait fuir la peur bleue. On vient siroter un thé ou un café sur les marches du café, acheter ses billets et prendre tous les renseignements nécessaires sur le festival dans la « Boutique », un bureau d‘accueil et de renseignements assuré par deux jeunes Keffoises d'une vingtaine d‘années. Les forces de l'ordre, de leur côté, assuraient une sécurité renforcée mais bienveillante, jamais on n'a été aussi content de les voir aussi nombreux autour de nous. Ils ont réussi à communiquer au public ce précieux sentiment de sécurité et de protection. Dans le Sicca Jazz, il n'y avait pas que les concerts et les artistes. Dans les circonstances actuelles, c'est l'esprit jazz qui a rayonné. Le jazz qui est la lutte, la résistance, la vie, la liberté et la joie de faire de la musique et de donner du bonheur à ceux qui écoutent. Une armada de jeunes, la vingtaine à peine entamée, portait des tee-shirts « Sicca Staff», une armée chapeautée par Ghofrane Bechaouch (elle aussi la vingtaine) qui dirige comme les grands professionnels de l'organisation l'auraient fait. Son équipe assurait tout, les coulisses, l'accompagnement, l'accueil et plein d'autres tâches encore. Nour El Hayet Ben Abdallah assurait, de son côté, toute la coordination entre Tunis et Le Kef, billetterie, départ, arrivée, transport... Avec une aussi jeune équipe, Sicca Jazz a réussi ses paris les plus essentiels. Et réussir ce festival dans sa première édition était un vrai défi. Le Sicca Jazz 2016 est déjà en route, sa programmation est bouclée à 80%, a déclaré Ramzi Jebabli lors de la clôture. Le Sicca Jazz cède la place aux 24h de théâtre, Le Kef accueillera les gens du 4e art, on fêtera la Journée mondiale du théâtre et même si les explosions de mines dans les montagnes de Ouergha continuent à prendre au dépourvu nos soldats, même si les prises d'otages du Bardo nous donnent encore froid dans le dos, les Tunisiens commencent à apprendre à vivre avec la terreur, à tenir à la vie, et à ne plus avoir peur. Ils sortiront faire la fête au Jazz à Carthage, reviendront au Kef dans un mois pour «Le Kef chante la Tunisie», iront à la découverte du Sud tunisien pour le festival des Ksour et se laisseront bercer par les flots pour le festival du poulpe de Kerkennah...