Entre mai 2016 et mai 2017, quelque 180 journalistes ont été renvoyés abusivement et 480 autres ont souffert du non-paiement ou du retard de paiement de leur salaire, outre les multiples pressions et poursuites judiciaires qui ont visé plusieurs journalistes tunisiens. Le gouvernement est par ailleurs pointé du doigt au sujet du dossier de Nedhir Ktari et Sofiane Chourabi, disparus en Libye depuis le 8 septembre 2014... Lors de la célébration — loin d'être festive — de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), Neji Bghouri, a appelé le gouvernement Youssef Chahed à honorer ses engagements, entre autres, par rapport à l'accord signé avec la présidence du gouvernement portant sur la régularisation de la situation d'un certain nombre de journalistes de la Télévision tunisienne, de la radio nationale et de l'agence Tunis-Afrique Presse, dénonçant un blocage dans la mise en œuvre de cet accord. Bghouri s'est étalé, hier lors d'une conférence de presse au siège du Snjt, sur la situation précaire des journalistes, notamment ceux relevant du secteur privé. Aussi a-t-il dénoncé les poursuites judiciaires et les interrogatoires par les brigades antiterroristes engagées contre les journalistes, ainsi que les tentatives de mainmise sur les médias. Le président du Snjt, qui a présenté les résultats du quatrième rapport annuel du syndicat sur la liberté de la presse en Tunisie, s'est, à cette occasion, alarmé de la volonté, d'une part, du gouvernement et notamment du ministère de l'Intérieur de restreindre la liberté de la presse et, d'autre part, celle de certains hommes d'affaires de manipuler des journalistes et des médias pour leur compte. Bghouri a, en outre, déclaré que le syndicat n'est pas satisfait du cadre législatif dont notamment le décret-loi 116 , indiquant que le Snjt a travaillé sur le décret-loi 115 et qu'un projet de loi est fin prêt ayant l'accord de la société civile et du ministère chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme. Il a souligné que ce dernier a travaillé sur la nouvelle version du 116 sans consulter ses partenaires dont le Snjt et les organisations professionnelles. Il a formulé des craintes quant à cette nouvelle version qui serait répressive, alors que le gouvernement, selon lui, est en train de faire mainmise sur la presse et notamment celle étatique et audiovisuelle... 30% des journalistes ne bénéficient pas de la couverture sociale « La liberté de la presse est en recul ! La situation demeure fragile, les agressions répétitives et la précarité persistent. C'est un climat qui n'encourage plus les médias indépendants et ne favorise pas l'instauration d'une presse libre !», a lancé le président du Snjt, en se référant à la 97e position de la Tunisie, sur 180, dans le classement mondial en la matière qui a été publié par Reporters sans frontières (RSF) le 26 avril dernier. Bghouri a ajouté : « Rien qu'au mois de mars, on a enregistré 41 attaques policières et de responsables du gouvernement contre des journalistes et c'est très grave ! C'est un contexte qui n'est pas du tout favorable à la liberté d'expression et celle de la presse et c'est un retour des pratiques policières visant à terroriser les journalistes. Il y a quelques mois, on avait lancé avec RSF la campagne « La liberté de la presse ne tient qu'à un fil !» et actuellement on peut dire que la liberté de la presse est en danger; un vrai danger ! Aujourd'hui, on a publié des chiffres alarmants dont des centaines d'agressions et d'attaques policières contre des journalistes et des cameramen. Aussi, sur le plan professionnel, on a enregistré le licenciement de centaines de journalistes et d'autres travaillent dans des conditions précaires ». D'après lui, plus que 30% des journalistes ne bénéficient pas de la couverture sociale. Ces journalistes travaillent sans contrat, sans salaire fixe, et certains n'ont pas perçu leurs salaires des mois durant ! « C'est une situation de pauvreté, s'est indigné Nejib Bghouri contre cette situation qui dure, notamment dans le secteur privé ce qui va à l'encontre du journalisme de qualité et équilibré. D'après lui, ce climat favorise la présence de l'argent douteux dans la sphère médiatique en cette période de transition démocratique en Tunisie. « Il ne peut y avoir de démocratie sans liberté de la presse ! », a-t-il matraqué. Projet de convention collective Toujours selon Bghouri, plus de 80% des journalistes travaillant dans le secteur public sont dans une situation « normale », alors que dans les médias audiovisuels et électroniques, elle est catastrophique. Le Snjt, d'après lui, va continuer à lutter contre cette situation et lors de son prochain congrès, 19-21 mai, un projet de convention collective sera présenté pour adoption. «Jusqu'à maintenant, nous avons un vide juridique, mis à part le code du travail qui comporte des articles assez vagues dans leur formulation. Nous avons besoin d'une convention collective pour lutter contre cette précarité des conditions de travail des journalistes, et avoir ainsi un climat sain et favorable à une presse libre», a-t-il ajouté. Par ailleurs et lors de la dernière assemblée générale du comité exécutif de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), tenue à Moscou fin avril dernier, la Tunisie a été choisie pour abriter son prochain congrès, prévu en 2019. Le Snjt a estimé que cette annonce vient confirmer le souci des syndicats et des organisations internationales par rapport à la situation de la liberté de la presse en Tunisie...