«Mansuétude pour l'étranger. Culte de la contestation pour l'autochtone». En 90' lors d'un mémorable Angleterre-Argentine comptant pour le Mondial 86, l'arbitre international Ali Bennaceur est entré au Panthéon du football. Ce jour-là, Maradona, bondit à hauteur des mains de l'imposant Peter Shilton et envoie le ballon au fond des filets. On n'y a vu que du feu et le but est validé. Le contexte politique aidant (en marge de la guerre des Malouines), la prise de décision de notre compatriote a fait jaser dans les chaumières britanniques. Mais la bonne foi de l'arbitre n'a jamais été mise en cause. Mieux, les 100.000 spectateurs du stade Azteca sont restés stoïques à l'image d'un corps constitué. Il faut dire que les joueurs ont montré l'exemple. Quelques énergiques protestations de la part des Anglais, sans plus et dans la correction. Voilà pour ce focus sur l'incidence d'une faute d'appréciation du corps arbitral sans que la terre ne s'arrête de tourner ! Nous avons, bien entendu, pris attache avec Ali Bennaceur qui nous a apporté un éclairage concis sur l'arbitrage tunisien tout en déclinant toute « ingérence» étrangère pour officier lors des chocs de la saison: «Tout d'abord, je vous rappèle que si vous avez évoqué la «main de Dieu» du Pibe de Oro, il faut aussi mentionner d'autres fautes encore plus graves et non sanctionnées. Lors d'un décisif France-RFA en 1982 quand Harald Schumacher a joué les karatékas avec Battiston ! En 1966, l'Angleterre affronte l'Allemagne et devient Championne du monde lors des prolongations sur un but fantôme ! Lors de Brésil-Suède en 1978, l'arrêt du match est prématuré alors qu'il reste plusieurs minutes à jouer! En 2002, Italie-Corée du Sud est faussé par un arbitrage maison qui enrage l'Italie ! Et n'oubliez pas «Titi» durant France-Irlande de 2010. Pour Thierry Henry, je crois que c'était ‘hommage à Maradona ! Bref, des fautes comme s'il en pleuvait ont impacté l'histoire des uns et des autres. C'est le football avec tout ce qu'il englobe comme incertitude, variables endogènes et exogènes. L'erreur est humaine en football. Sinon ce sport perdrait son humanisme. Actuellement, nous avons de très bons arbitres en Tunisie à l'instar de Sadok Selmi, Said Kordi, Haithem Guirat, Haithem Kossai, Youssef Srairi, Slim Belakhouas, Amir Loussif, Nasrallah Jaouadi et j'en passe. Il faut les encourager et non pas les vilipender et les sacrifier sur l'autel des intérêts en tout genre. On n'arrête pas de suspecter, pointer du doigt, parler de complot et favoriser ce haro sur l'arbitre, l'homme à abattre ! Sur quoi se base-t-on, à terme, pour condamner ? Juste l'intime conviction. C'est inadmissible d'en arriver là. Il n'est bien sûr pas question de se dédouaner de telle ou de telle ou erreur fatale d'appréciation. Mais de privilégier tout d'abord la bonne foi. Or, l'on assiste à des procès en règle chaque semaine. Comme si l'arbitre était le premier responsable des échecs des uns et des autres. Un mea culpa si c'est le cas. Mais en aucune manière, l'arbitre a foulé la pelouse en vue de donner l'avantage à une partie par rapport à une autre. Pire encore, on ne parle plus d'erreur d'arbitrage mais de la responsabilité de l'infraction de cet homme en noir qui a faussé le résultat ! Cette fulgurance, cette dimension donnée aux faits va comme un gant aux dirigeants de tel ou de tel club qui piétine du point de vue résultats. Alors, on brandit l'arme suprême et on évoque la théorie du complot. Franchement, je suis peu enclin à entretenir cette légende qui veut que l'étranger soit meilleur que l'autochtone. C'est faux ! L'arbitre étranger bénéficie juste des circonstances atténuantes et d'une certaine mansuétude de la part du microcosme sportif local». «Le culte de la controverse» «Vous savez, je vais revenir sur un fait historique peu connu du grand public. Tout le long de ce fameux Angleterre-Argentine, je n'ai pas ménagé Maradona. Le jeu dur des Britanniques a fait son effet sur lui. Mais Diego en a rajouté une couche à chaque fois! Je l'ai remis à sa place car je ne permets aucune contestation. Et il a fini par comprendre. La suite homérique de ce match n'était en rien liée à la genèse de ce choc frontal entre l'Angleterre et la Grande-Bretagne. Fermons cette parenthèse de l'histoire et revenons à notre bonne vieille Ligue 1 et ses grands formats annuels. J'ai le souvenir impérissable d'erreurs arbitrales grossières de la part d'arbitres principalement européens qui ont officié dans nos contrées. Des Espagnols, des Français, des Scandinaves et même des Ecossais. Un penalty inexistant accordé lors de la dernière minute d'un derby, un jeu non pas musclé mais dangereux favorisé par l'arbitre écossais, une coup-franc indirect décrété mais exécuté directement dans la lucarne et accordé en faveur de l'un des plus grands joueurs tunisiens de l'histoire ! Des ratés, il y en eu. Pour revenir à cette dernière faute, si le club lésé avait émis une réserve, le match aurait été forcément rejoué ! Bref, il faut faire confiance à nos arbitre et ce n'est que justice de désigner un arbitre tunisien pour le prochain classico EST-ESS. Vous savez, la rudesse de la première division tunisienne est très formatrice. Nos stades sont des chaudrons et la ferveur qui y règne forge le caractère et forme la carapace de nos arbitres. Alors, quand ils officient en Afrique, ils sont comme un poisson dans l'eau. C'est justement cette caisse de résonance particulière que constituent nos stades qui vous permet de peaufiner votre apprentissage. Maintenant, nos arbitres doivent aussi apprivoiser la pression, cette arme à double tranchant. Ils doivent s'épanouir devant des fans surexcités. Je ne vous cache pas que cela dépend beaucoup des joueurs. Les relations joueurs-arbitres doivent être cordiales et empreintes de respect. Ce sont ces bons procédés qui construisent professionnellement et humainement la carrière de l'homme en noir. Malheureusement, chez nous, la difficile fonction d'arbitre est beaucoup trop vilipendée à mon goût. Il faut vraiment dépasser quelques idées reçues sur l'arbitrage et montrer de façon très concrète ce que c'est d'être arbitre et les prises de décision que cette fonction implique. Il faut travailler sur le discours et la méthode pour que l'arbitrage tisse des liens directs avec les acteurs. Prendre son bâton de pèlerin pour aller au contact des passionnés et des tenants du sport-roi. Je suis profondément attaché à l'interactivité, au contact entre les hommes. C'est primordial pour apaiser toute tension à l'avenir. Pour conclure, je souhaite vivement que les gens puissent juger par eux-mêmes ce que c'est que l'arbitrage, réaliser qu'il faut prendre des décisions parfois compliquées en moins d'une demi-seconde. Et ce, sans s'ériger en donneur de leçon» !