Voici un feuilleton qui cartonne sur les chaînes arabes, un vrai succès : «El Haiba» de Samer Al Barkaoui. Son directeur photo n'est autre que notre compatriote Mohamed Maghraoui qu'on a déjà connu dans ses œuvres télévisuelles arabes comme «Omar El Khattab», «Nisf youm», entre autres, mais il a signé aussi de son empreinte plus d'un film tunisien, dont les derniers en date : «Fleur d'Alep», de Ridha Béhi, et «Jayda», de Salma Baccar. Entretien. Quelles sont les raisons du succès du nouveau feuilleton «El Haiba» selon vous ? A mon avis, c'est dû à l'intelligence pratique, au flair et au savoir-faire du producteur Sadok Essabeh et du chef de projet Zied El Khatib qui ont misé sur ce feuilleton et senti qu'il allait être un grand succès. Il y a aussi l'écriture, le sujet du feuilleton et l'apport du réalisateur Samer Al Barkaoui. C'est un sujet sensible tiré de la réalité et qui traite entre autres des tribus au Liban. Le personnage «Cheikh El Jabal» existe réellement au Liban. Un sujet grand public qui se laisse regarder par toutes les catégories sociales sans exception. C'est un phénomène semblable à celui de «Bab El Hara». C'est aussi l'histoire d'une ville qui vit de toute sorte de trafics, entre autres celui des armes. L'originalité du sujet, c'est qu'il fait découvrir la vie très ordinaire de ces criminels et de ces contrebandiers. Le sujet nous transporte très loin du cliché du criminel ou du mafieux classique. On découvre qu'ils sont très respectueux de la vie familiale alors qu'à l'extérieur ce sont de vrais caïds. Le feuilleton a exploré le côté humain de ces gens-là au lieu de s'orienter vers l'action. Et si on le comparait au feuilleton de l'année dernière, «Nisf youm», qui réunit le même casting ? Il était plutôt dans la réflexion, «Al Haiba» offre une lecture beaucoup plus facile pour le téléspectateur. C'est du spectacle très accessible et très fort et c'est ce qui fait son succès. Le côté divertissement est très important, qu'on le veuille ou pas, ce n'est pas comme au cinéma. «Wahet El gouroub» est, par exemple, un feuilleton extraordinaire, et l'une des meilleures productions de cette année, mais qui n'a pas eu le même succès que «Al Haiba» parce qu'il n'a accordé aucune part au divertissement. En Tunisie, nous tirons également nos feuilletons de la réalité et pourtant ils ne sont pas toujours réussis... Le problème c'est qu'en Tunisie on veut raconter une histoire en lui rajoutant des «épices» à l'américaine entre autres. Le point faible des feuilletons tunisiens réside dans leur traitement et dans la manière dont ils transmettent l'information aux téléspectateurs. Je cite l'exemple de «Awled Moufida». C'est un feuilleton qui décrit la réalité dans certains quartiers tunisiens mais personnellement j'ai des réserves concernant son traitement et sa manière de travailler le niveau de langage. Les feuilletons qui réussissent, qui marquent et font une carrière dans le monde arabe disent tout mais travaillent sur l'élégance du langage. Ils sont particulièrement sensibles à l'audience familiale car après tout cela reste de la télévision et la télévision pénètre chez toutes les familles... il y a aussi une certaine habileté dans le traitement qui fait que le feuilleton soit un divertissement mais de très haut niveau et pas de la pacotille. C'est ce qui manque à nos productions. On n'est pas non plus obligé de donner des leçons quand on réalise un feuilleton... Par quoi expliquez-vous la baisse de niveau de la production des feuilletons par la télévision nationale? Je trouve que la télévision nationale a perdu beaucoup de ses compétences à cause d'une pratique qu'on trouve rarement dans le monde qui est celle de mettre à la retraite ses élites. Un artiste ne part jamais à la retraite... Je n'invente rien en disant cela ! Or c'est là le problème ! Cette mesure purement administrative a fini par avoir raison de nos meilleurs talents aussi bien réalisateurs que techniciens, pour ne parler que de ceux-là. La preuve, c'est que depuis le départ de certains réalisateurs comme Hammadi Arafa, Haj Slimame ou Slaheddine Essid à la retraite, on n'a pas vu de feuilletons assez costauds sur le petit écran national ! Je ne parle pas bien sûr des productions externes telles que Naouret El Hwa de Medih Belaïd. Sur un autre plan, la télévision tunisienne a perdu quelques bons réflexes tels que celui qu'elle avait acquis il y a quelques années et c'était l'âge d'or de la télé d'ailleurs. A l'époque, l'institution produisait des téléfilms qu'elle déléguait à des réalisateurs comme Hammadi Arafa ou de l'extérieur comme Khaled Barsaoui, Moncef Dhouib qui a réalisé «Talak Inchaa» ou Abdellatif Ben Ammar «Khouta Tahta Essahab». Pourquoi ne pas réduire le budget d'un feuilleton pour produire des téléfilms pendant l'année. Oui, mais il faut également donner la chance à la nouvelle génération... Malheureusement, ceux à qui on a donné la chance n'ont pas réussi à être au niveau de leurs prédécesseurs, mis à part pour le feuilleton de cette année où j'ai noté le travail du directeur photo qui vient de l'établissement de la télévision et qui était entouré d'une bonne équipe. De toute façon, j'ai senti que cette année il y avait la volonté de la part de tout le monde de faire réussir ce feuilleton. Mais le problème n'est pas de donner une chance ou pas, il faut acquérir de nouveaux réflexes de production. A mon sens, toute la logique de production des feuilletons télé doit être revue. Regardez les production en Orient ! Ils ont trouvé de nouvelles stratégies de production qui leur font économiser du temps et de l'argent, tout en étant souples. Je peux en parler parce que je travaille sur ces productions. Là-bas, on est appelés à faire un épisode tous les deux jours au rythme de vingt minutes par jour. Comment arrivent-ils à faire cela? Parce que les acteurs se préparent d'une manière professionnelle avant d'arriver sur le plateau aussi bien que les réalisateurs et les directeurs photo. Ils appliquent également à la lettre le concept de l'anticipation et de la préparation de la part de la production. J'ajouterai également que le style du découpage effectué par les réalisateurs est différent et permet de gagner du temps, ce sont des réflexes que nous sommes également appelés à acquérir. Le but du jeu c'est de créer un très bon produit qui se laisse regarder et qui soit techniquement réussi avec une bonne trame. Pour «El Haiba», par exemple, le plan de travail était établi sur 80 jours et on a fini le travail après 77 jours. C'est un exploit parce que la production a bien préparé son travail mais les acteurs étaient aussi prêts. En Tunisie, on ne peut plus faire de feuilletons dont le tournage dure entre 140 et 150 jours pour 15 épisodes... C'est ce qui arrive quand on commence à préparer le feuilleton juste quelques mois avant Ramadan. Au Liban, par exemple, ils sont déjà en train de préparer celui de l'année prochaine.