La visite qu'effectue le chef du gouvernement aux Etats-Unis d'Amérique intervient à un moment crispé et mouvant de la diplomatie mondiale Les relations internationales subissent, depuis quelque temps, des métamorphoses significatives. L'Europe est profondément en crise. Elle n'en finit pas de s'enliser dans une logique de forteresse cadenassée. Pis encore, effritée. Le Brexit, souverainement consenti depuis quelques mois par les Britanniques, est comparable à une énorme épine au pied d'une Europe qui s'apparente de plus en plus à un colosse inanimé, sur un socle d'argile. En ce qui concerne l'espace euroméditerranéen, le topo n'est guère reluisant. Le processus de Barcelone, initié en grande pompe en 1995, est figé. L'Union pour la Méditerranée est une coquille vide. Et le Dialogue 5+5 fait du surplace. Les peuples du sud de la Méditerranée perdent espoir. Ils n'y croient plus guère. Même la zone de libre-échange prévue entre l'Union européenne et la Tunisie, le fameux traité dit Aleca, semble mort-née. Elle est davantage perçue comme une nouvelle forme de dépendance, d'échange inégal institutionnalisé et de libre circulation des seuls capitaux et services européens sous nos cieux. En revanche, l'accession de Donald Trump à la magistrature suprême aux USA n'en finit pas de provoquer remous et redéploiements diplomatiques d'envergure. Malgré tout ce qu'on peut légitimement craindre d'un Donald Trump chauvin et va-t-en- guerre, largement soutenu par le complexe militaro-industriel du sud des Etats-Unis d'Amérique. Sa dernière longue virée diplomatique, au Proche-Orient et en Europe notamment, en est témoin. Il y a reconduit les fondamentaux plutôt musclés de la politique américaine; avec sa préférence indéfectible à la suprématie israélienne, la mise au pas des régimes arabes, toutes obédiences confondues et la diabolisation outrancière de l'Iran. La Tunisie tente de s'adapter, tant bien que mal. Surtout que notre diplomatie a subi de sérieux revers après la révolution de janvier 2011. Cela a été on ne peut plus manifeste durant le règne de la Troïka, de 2011 à 2014. Notre engagement, dépendant et subalterne, en faveur du Qatar et de la Turquie a été corollaire de notre soutien aux groupuscules terroristes en Syrie et l'organisation, dans nos murs, du fameux congrès dit des Amis de la Syrie. Du coup, les constantes et fondements de la diplomatie tunisienne au fil des décennies ont été dilapidés. Ajoutons-y la déferlante terroriste, les affres de la transition bloquée, les dérèglements économiques et l'enrayement soutenu de la croissance économique et sociale. Un faisceau d'éléments et de conditionnements qui ont tôt fait de nous reléguer au rang de pays en voie de sous-développement. Pour maints observateurs, l'avènement de Donald Trump signe un nouveau chapitre du vertige mondial. Et il faudra s'y adapter. Pour l'instant, malgré son soutien affiché au régime tunisien, l'administration US a drastiquement réduit son aide à la Tunisie pour l'exercice 2018. La Maison-Blanche veut réduire l'aide étrangère des Etats-Unis de plus de 30% par rapport à l'exercice 2016, de 23,2 millions $ à 15,4 millions $. Elle veut faire des coupes claires dans le financement des activités du Département d'Etat américain pour le ramener de 55 milliards $ en 2016 à 40 milliards $. C'est paradoxal en fait. Un soutien affiché mais des coupes drastiques ordonnées. Pour Sophien Ben Nasr, Tuniso-Américain, résident aux USA depuis 34 ans, expert dans le lobbyisme américain, «Donal Trump veut changer la doctrine établie depuis une cinquantaine d'années dans la politique étrangère américaine. Il remet en cause toutes les institutions onusiennes multilatérales comme les Nations unies, l'Otan et il lorgne même du côté de la Ligue des Etats arabes. Il remet en cause aussi tous les accords multilatéraux comme Nafta (Canada, USA et Mexique), les traités d'intégration asiatiques, européens, etc. Donald Trump à déclaré ouvertement que son point de départ est America first. Ses partenaires privilégiés sont les industriels américains, les lobbies américains et la pensée conservatrice influencée par des think tanks comme the Heritage Foundation». Et d'ajouter : «La tendance des républicains, c'est de faire des coupes dans l'aide américaine étrangère. La seule exception c'est l'aide militaire à Israël, en constante progression. La Maison-Blanche a aujourd'hui une vision différente de celle des diplomates de carrière du Département d'Etat. Il n'y a pas une synchronisation visible entre la Maison-Blanche et le Département d'Etat». C'est dire que Youssef Chahed a du pain sur la planche à Washington. Son argument privilégié devrait s'articuler autour du statut de la Tunisie, partenaire privilégié de l'Europe et des Etats-Unis d'Amérique dans la lutte antiterroriste mondiale. Ce faisant, elle a droit à un traitement de faveur, notamment en matière économique, financière, technologique et éducationnelle. D'autant plus qu'on célébrera cette année le 220e anniversaire de l'établissement des relations entre la Tunisie et les USA.