« Tant que nos revendications ne seront pas prises au sérieux et tant que nous ne disposerons pas de solutions radicales aux problèmes socioéconomiques qui nous empêchent de vivre dignement, nous pérenniserons nos actions de protestation en passant la vitesse supérieure » : telle est la position des sit-inneurs de Sidi Bouzid, hommes et femmes, pour qui les conditions de vie discriminatoires et l'absence de toute visibilité à même de promettre des lendemains meilleurs sont devenues invivables, voire révoltantes. Ces jeunes ont été représentés, hier à Tunis, lors d'une conférence de presse tenue au siège du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) par leurs porte-parole respectifs Il faut dire que les soixante années d'indépendance et les six années de révolution et de transition démocratique n'ont toujours pas porté leurs fruits escomptés, du moins pour les Tunisiens habitant les régions défavorisées dont la région de Sidi Bouzid. Ce gouvernorat, qui compte pourtant 434,3 mille habitants, qui couvre une superficie de 7.405 kilomètres carrés dont 7.061 mille ha de domaines forestiers et 592,2 mille ha de terres agricoles, peine à s'aligner sur les régions les plus productives et les plus développées, et ce, faute d'une volonté politique, d'une infrastructure favorable à l'investissement et de perspectives susceptibles de tirer les jeunes du gouffre du chômage. Les derniers mois ont été marqués par une montée de la vague protestataire, menée aussi bien par les hommes que par les femmes, dans l'optique d'interpeller le gouvernement et de revendiquer le droit à vivre sur un pied d'égalité que les Tunisiens habitant les régions favorisées. Ils protestent depuis deux ans... A Menzel Bouzayen, Bir Lahfay, Regueb tout comme à Sidi Ali Bou Aoun, des sit-in sont organisés au seuil des rares institutions implantées dans ces lieux, à savoir le siège de la Commune et celui de la municipalité. « Notre sit-in perdure depuis 2015, ce qui en dit long sur notre insistance inlassable et notre détermination inébranlable. Nous ne demandons qu'à bénéficier de nos droits les plus légitimes. Grogne sociale, pauvreté, détérioration du niveau de vie, chômage ; voici en gros le résumé lugubre de la vie à Bir Lahfay », indique Saïd Jlili, représentant des sit-inneurs de Bir Lahfay. L'injustice sociale intenable a poussé les femmes à rejoindre les mouvements de protestation et à réclamer haut et fort le droit au développement, au travail, aux services administratifs et à un avenir à même de promettre des jours meilleurs aux futures générations. « Nous continuons à protester au seuil du siège de la commune, sans pour autant entraver le bon déroulement du travail des fonctionnaires. Ce qui ne nous épargne point les pratiques malsaines de pression et de harcèlement de la part des membres des partis Ennahdha et Nida. Pis encore : nous sommes soumises à un contrôle journalier de la part des agents de police », souligne Hédia Neïli, représentant le mouvement social féminin de Bir Lahfay. Pas de solutions à suggérer ! Prenant la parole, Adel Nasri, représentant le mouvement social de Menzel Bouzayène « Khaddamni », fait part du vécu des jeunes diplômés condamnés au chômage. « Menzel Bouzayène compte 1921 diplômés au chômage. Nous avons démarré notre sit-in le 26 janvier 2016. Depuis, nous avons débattu de nos problèmes avec trois ministres, en vain. Nous n'avons droit, à chaque fois, qu'à de la poudre aux yeux, rien de plus. Les responsables refusent de nous recevoir parce qu'ils n'ont pas de solutions à nous suggérer », indique-t-il, indigné. Il saisit l'occasion pour évoquer la question relative à un dossier épineux : les domaines agricoles de l'Etat. « Les domaines agricoles de l'Etat s'étalent sur 6.000 ha, répartis en quatre fermes majeures, lesquelles n'emploient que 68 ouvriers agricoles. Pourtant, le deuxième chapitre du Document de Carthage exige la garantie de l'exploitation des terres agricoles de l'Etat par les jeunes entrepreneurs de la région », rappelle-t-il. Adel Nasri prévient les responsables de l'accroissement prévisible des mouvements de protestation en l'absence, notamment, de traitement efficace des dossiers culminants. Les diplômées du supérieur ne sont pas des ouvrières agricoles ! La gent féminine brise le silence et réclame justice sociale et dignité. Fathia Ouled Nasr, coordinatrice du mouvement féminin à Menzel Bouzayène « Maâdech noskot » montre du doigt la discrimination sexiste infligée aux jeunes diplômées de la région. « Sidi Bouzid donne chaque année le plus grand nombre de diplômées. Ces dernières n'ont aucune chance d'intégrer la vie active conformément à leur niveau, faute d'institutions et d'administrations. Nous ne disposons, en vrai, que de deux prestataires de services, à savoir la Commune et la municipalité », indique-t-elle. Certes, le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance avait proposé de financer des projets en faveur des femmes de la région ; une solution qui a été déclinée pour des raisons plus que logiques. « Comment peut-on monter des projets alors que nous sommes dépourvues de l'infrastructure élémentaire à l'investissement ? », s'interroge-t-elle, ironique. Les sit-inneuses ont effectué une grève de la faim dix jours durant, laquelle grève a été suspendue pour des raisons de santé. « Nous nous battons pour la vie et non pour la mort », renchérit-elle, déterminée. Elle attire l'attention sur les seules issues de travail pour les femmes, à savoir le travail agricole et les innombrables défaillances sécuritaires et sociales d'un emploi plus précaire que dégradant. Les protestations iraient crescendo... De son côté, Sami Smari, représentant le sit-in « Al soumoud » à Menzel Bouzayène, dénonce le chômage des diplômés du supérieur. Les sit-inneurs ont tout tenté : une grève de la faim draconienne à laquelle ont pris part des jeunes mamans. « Nous avons été harcelés par le délégué de la région. Nous n'avons décelé aucune réaction positive de la part des responsables. C'est pourquoi nous sommes prêts à aller plus loin jusqu'à ce que nos droits soient acquis », prévient-il. Un avis que soutient Emna Zlidi : « Les responsables au pouvoir, qui continuent à faire la sourde oreille, finiront par assumer les répercussions fâcheuses de leur laxisme. Ils doivent savoir qu'en Tunisie, il y a des familles qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, des enfants qui n'ont jamais goûté à la viande, des parents qui sont dans l'incapacité d'acheter du lait pour nourrir leurs progénitures », souligne-t-elle, en haussant le ton. Quant à Hajer Hajji, représentant le sit-in « Al hasm », à Regueb, elle montre du doigt le sort désolant et injuste des diplômés du supérieur qui, aspirant à contribuer au développement de leur région, se trouvent contraints au travail agricole précaire. « La situation à Sidi Bouzid est le résultat de soixante ans de marginalisation. Il est temps que cela change, quitte à déclencher une deuxième révolution », prévient-elle.