Par Mohamed MEDDEB Quoique rien de vraiment sérieux n'ait filtré des déclarations et contre-déclarations initiées par l'ex-président de la République au sujet de l'affaire de l'Ambassade US de 2012, il est difficile de trouver les mots justes pour qualifier cette initiative médiatique, venant comme toujours de l'étranger et livrée à un média étranger. S'agissant de l'Etat, de «président de la République» et de très hautes autorités du pays, à qui était confiée la sécurité du pays, ces comportements relèvent « d'une très grande irresponsabilité et d'une insouciance totale des intérêts de la nation», pourtant comportements venant de gens « supposés être de très grands responsables» ! Loin de vouloir appuyer ou incriminer l'une ou l'autre des thèses présentées par les différentes parties impliquées et en tant que simple citoyen, je voudrais attirer l'attention sur la nature même du problème posé par cette affaire et sa signification profonde en rapport avec le concept de «l'Etat», de sa sécurité et de ses intérêts : D'abord, les événements évoqués ne datent que de 2012, pour une nation c'est encore de l'actualité brûlante, les acteurs sont encore en vie, cela n'est certainement pas de l'Histoire, comme certains protagonistes veulent le faire croire; Enquêter sur la véracité des faits, les défaillances et manquements éventuels et leurs responsables revient à la Justice et à elle seule. Et compte tenu de la gravité de l'affaire et de ses conséquences sur le pays, conséquences d'ordre interne et de relations internationales, je pense que la justice ne manquerait pas à s'en saisir. Les informations objet des déclarations ont plusieurs caractères qui font d'elles,sans aucun doute,des données relevant de la sécurité nationale et du « secret» d'Etat. D'abord, celles-là traitent d'événements sécuritaires touchant à une représentation diplomatique étrangère dans notre pays et semble-t-il d'éventuelles demandes d'intervention de forces militaires étrangères sur le territoire national, donc elles engagent les relations de sécurité et défense du pays, la Tunisie, avec un autre pays, les USA. Par ailleurs, ces données mettent en exergue certains dysfonctionnements de l'appareil de l'Etat et mettent en cause des institutions et des autorités sécuritaires et politiques nationales du plus haut niveau: présidence, ministères de l'Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères et qui sait encore... La nature et la classification de ces données exigent de toute personne, quels que soient son niveau et sa qualité, y comprises les plus hautes autorités, à prendre toutes les mesures nécessaires pour les protéger et n'en faire part qu'à celui qui est qualifié pour et a besoin d'en prendre connaissance, et ce, uniquement pour les besoins du service. Ce devoir de protection des «secrets» de l'Etat, associé à l'obligation de réserve, très familière entre autres aux politiciens, diplomates, militaires et sécuritaires, n'échappe à personne et ne tombe jamais en désuétude tant que l'information concernée n'a pas été déclassifiée. La France à titre d'exemple, même après plus d'un demi-siècle,n'a encore pas déclassifié de très nombreux dossiers relatifs à la période de la décolonisation de la Tunisie et d'autres pays, tout simplement pour sauvegarder les intérêts français dans ces pays et leurs relations bilatérales. Ainsi, il est clair que nous sommes en face d'un cas de divulgation, plutôt d'étalage des «secrets de l'Etat», sur la place médiatique internationale par des personnages à qui on avait confié les destinées du pays, ils en ont fait une affaire tout à fait personnelle. Allons-nous, encore une fois, laisser bafouer les fondements les plus rudimentaires de «l'Etat» au sens communément admis ? Allons-nous continuer à permettre à certains de jouer, à leur plaisir, quelquefois aux «héros» d'autres aux «victimes» même au détriment de la sécurité de l'Etat et de l'intérêt général ? Ont-ils évalué au moins l'impact de leurs déclarations sur les relations futures avec le pays concerné, les USA ? Sur le regard de l'étranger sur notre pays ? Sur sa crédibilité sur la scène internationale ? Sur les cadres des institutions militaires et sécuritaires ? Sur l'idée déjà écorchée que se fait le citoyen de son «Etat» et de son élite politique ? Avec de tels comportements, de si hauts responsables, comportements indignes et inacceptables même d'un petit fonctionnaire, il ne faut surtout pas s'inquiéter de la méfiance du citoyen vis-à-vis de l'Etat et de son indifférence à l'égard du fait politique en général, puisque tout est, comme il se dégage de cette affaire, pourri et n'inspire ni sérieux, ni confiance, ni transparence, ni espoir. Au contraire, un manque flagrant du sens de l'Etat et de la responsabilité chez un bon nombre de notre élite (!) occupant, pourtant, des postes de très hautes responsabilités mais qui n'arrivent pas à distinguer la chose publique de ce qui est personnel et établir le bon ordre des priorités. Que cela soit clair, aujourd'hui la vraie question ne porte pas sur le contenu même des déclarations et sur les responsabilités des dysfonctionnements éventuels, cela étant du ressort de la Justice, mais porte plutôt sur le fait que de très hautes autorités chargées des destinées du pays ont doublement et lamentablement failli à leurs devoirs. Elles ont failli, une première fois, à sécuriser le pays, y compris l'ambassade en question, et à préserver les intérêts nationaux; et une deuxième fois, en divulguant publiquement des informations relevant du secret de l'Etat alors qu'elles ont la mission de protéger, mettant ainsi en péril, outre la paix sociale, la sécurité et les intérêts de la nation. Et par cela, chargés de construire l'Etat de la nouvelle République, les voilà qu'ils participent, et de quelle manière, à la déconfiture de ce qu'il en reste ! Il est vraiment impérieux que tout le monde se ressaisisse et assume pleinement sa responsabilité et ses obligations envers ce pays dont l'Etat se trouve en danger réel. Pour le cas d'espèce, arrêter tout de suite cet étalage d'informations relatives à la sécurité du pays et ses intérêts sur la voie publique. Au lieu de continuer cette guéguerre nuisible au pays et aussi à ses autorités, et à s'échanger les accusations les plus graves à travers les médias et détourner l'attention du peuple de ses réels et graves problèmes, que les courageux parmi vous, messieurs les protagonistes, saisissent la Justice. De toutes les façons, et contrairement à ce que vous pensez, de tels comportements, Messieurs, ne vous grandissent nullement, au contraire, ils ne vous attirent que mésestime et dédain aux yeux de vos compatriotes, de l'étranger et certainement de l'Histoire aussi. Par ailleurs, le bon sens veut qu'on ne puisse pas témoigner d'une époque de l'Histoire, où on a été l'acteur et le responsable principal avec un rôle loin de faire l'unanimité, l'Histoire ne vous écoutera pas ! Laissez d'abord la justice, ensuite les autres et l'Histoire témoigner pour vos réalisations. C'est plus sage, plus modeste et plus crédible. Que Dieu garde la Tunisie