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«Les cinéastes sont obligés d'être des éveilleurs de conscience, quitte à choquer parfois»
Entretien avec... Salma Baccar
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 09 - 2017

Qui ne connaît pas Salma Baccar ? Une pionnière du cinéma tunisien, elle s'est illustrée en tant que constituante à l'ANC. Le timbre fluet et son parler truffé de mots français ne l'ont pas dissuadée d'élever la voix et taper du poing pour défendre les droits et les libertés et les acquis de la femme tunisienne, alors même que son groupe démocrate de l'opposition était largement minoritaire. La Presse l'aborde aujourd'hui pour raconter son dernier film, «Jaïda», mais aussi évoquer des souvenirs récents de ses combats. La cinéaste doublée de dirigeante politique du parti El Massar a laissé transparaître une pointe de regret, mais la flamme est intacte. Entretien...
Le tournage de «Jaïda» a pris fin, si vous nous racontiez d'abord l'histoire de la création du film ?
J'avais commencé par écrire le scénario seule. Ensuite, l'adaptation et les dialogues ont été mis en œuvre avec la collaboration de la comédienne Wajiha Jendoubi, et ce, entre 2007 et 2010. Nous avons pu également obtenir l'aide à l'écriture des autorités de tutelle. Ensuite, nous sommes passés en commission en vue d'obtenir l'aide à la production, sans succès. C'est seulement à la deuxième soumission que nous avons pu obtenir l'appui du ministère de la Culture pour la production en décembre 2010. Sur ce, survient la révolution, mon engagement politique à l'Assemblée nationale constituante a fait que le projet soit mis en veilleuse. En 2014, après avoir plus ou moins quitté la scène politique, j'ai repris l'écriture du scénario, et pour cause, le texte tel qu'il a été écrit éludait un aspect important de l'actualité. Comme l'œuvre évolue en même temps que son auteur et tout en gardant la même histoire, j'ai réactualisé des éléments relevant du champ de la réflexion et de la thématique.
A quelle période se situe l'histoire du film ?
Au départ, toute l'histoire se déroulait dans les huit derniers mois précédant l'Indépendance et une année et quelques avant la promulgation du code du statut personnel, CSP. Eu égard à l'expérience que j'ai acquise en tant que constituante, je ne pouvais plus soustraire toute cette période. En faisant la réécriture, j'ai pourvu le personnage d'une petite fille de plus de consistance. En 1955, elle avait dix ans, on la retrouve à la fin du film comme constituante à l'ANC et farouche défenseuse des libertés.
Vous vous êtes inspirée de votre propre parcours ?
Oui effectivement ! C'est cela le cinéma d'auteur. Sans que l'histoire soit réellement liée à nous, mais au niveau de la réflexion, on ne peut s'empêcher de parler de nos préoccupations. Après avoir vécu cette expérience à l'ANC, je ne pouvais plus raconter l'histoire de la même manière et me contenter de stopper mes héroïnes au retour de Bourguiba et à la promulgation du CSP, effacer de ma mémoire les événements qui ont eu lieu a posteriori. J'ai tourné une dernière scène du film au palais du Bardo. Le bonheur a été à son comble puisque j'ai eu comme protagonistes et autres figurantes, une grande partie des députées qui étaient du groupe démocrate et celles avec qui nous avions organisé le sit-in du Bardo. Le film s'achève par cette séquence unique et finale qui se déroule à l'ANC en 2012, lors des premiers débats portant sur la référence du Préambule de la Constitution à la charia. La présence du personnage de la petite fille devenue adulte et députée explique et justifie son refus total de la moindre référence aux textes religieux. L'explication est donnée par le film justement.
Quelle est la signification de «Jaïda» ?
«Jaïda» est la dame qui tient Dar Jawad. Avec son mari, un couple de dignitaires de la ville à qui on confiait des femmes mises en observation et quelque part en situation punitive par le Qadi chargé de juger les conflits familiaux. Généralement, c'est l'affaire de quelques mois, n'étant pas un jugement définitif. A la demande du mari, parfois de la femme elle-même, mais ce sont le plus souvent les maris, les pères, les oncles, les frères, tout homme qui dispose d'une autorité morale sur la femme en question peut porter plainte contre elle. En attendant de pouvoir arbitrer, le Qadi place la femme dans cette maison, que moi je qualifie de maison de redressement. La plupart des femmes ne tiennent pas le coup. Elles sont malmenées, avec beaucoup de contraintes à subir, dont la promiscuité. La vie y était très dure. Parmi les rôles de la «Jaïda» c'est d'écouter ce que les femmes se racontent entres elles pour le répéter au mari qui le rapporte à son tour au Qadi. Les jugements se faisaient généralement au détriment des femmes. Avec la promulgation du CSP, les Dars Jawad ont cessé d'exister, tout comme les tribunaux religieux. Je voulais montrer à quel point ce code a été important, vital même pour les femmes qui ont vécu cela et important également pour l'ensemble de la société. J'ai montré que la société allait changer, se réformer pour devenir moderne. Celle-là même que nous essayons de protéger aujourd'hui. D'où le lien que j'ai fait entre 55 et 2012 et les années qui ont suivi.
Quand est prévue la sortie du film ?
Le but premier pour lequel les JCC ont été créées au milieu des années 60, c'était pour promouvoir d'abord le cinéma tunisien qui venait de vivre ses premières expériences, puis arabe et africain. Tous porteurs de thématiques importantes sinon vitales pour nos démocraties naissantes. Les cinéastes tunisiens ont toujours été fiers de soutenir par le cinéma des causes justes telles celles des Noirs sud-africains face à l'apartheid, des Palestiniens face au sionisme et bien d'autres luttes pour le droit à la vie, à la liberté et à la dignité. Mais aujourd'hui face aux dangers obscurantistes qui guettent notre société, les cinéastes tunisiens sont en droit d'attendre d'un festival international organisé depuis plus d'un demi-siècle en Tunisie de promouvoir avant tout des films qui posent des problématiques nationales, vitales pour l'avenir de notre pays. Aussi ai-je espéré voir mon film «Jaïda» faire l'ouverture des JCC 2017. La direction du festival en a décidé autrement et je ne peux que respecter ce choix et espérer que «Jaïda» puisse faire partie des 4 films qui représenteront la Tunisie à la compétition officielle de cette illustre manifestation que nous considérons comme le plus grand acquis du cinéma tunisien.
Le cinéma tunisien est resté prisonnier ou du moins cantonné dans le passé, d'après une partie de l'opinion. Chaque année des films reviennent sur des périodes du passé, à l'instar de celle qui précède l'Indépendance. Des époques déjà balisées, partagez-vous cette opinion ?
D'abord je dois dire que je n'aime pas la généralisation. Et objectivement, je ne trouve pas que tout le cinéma ou une grande partie du cinéma tunisien traite uniquement du passé. Moi, en revanche, je fais des films sur le passé et les assume. J'estime que si on ne sait pas d'où on vient, on ne saura pas résoudre les problèmes actuels. Ce film «Jaïda» en est l'exemple type, par le fil conducteur qui relie les années 55 aux années 2012-2013, il explique pour quelle raison une grande partie de la société civile tunisienne et presque toutes les femmes — sauf celles qui sont engagées dans des partis islamistes et qui œuvrent, à mon avis, contre leurs propres intérêts de citoyennes et de femmes — sont contre l'évocation de la charia. Les gens font la confusion entre le récit et la thématique. Un récit est au service d'un propos. Or, le propos, la réflexion et la thématique du film, même si l'essentiel des événements se déroule en 1955, sont d'une actualité cuisante. La preuve, nous sommes encore aujourd'hui en train de débattre si la femme est égale à l'homme, a-t-elle droit à sa part d'héritage intégrale ou est-elle considérée comme étant la moitié d'une personne ?
Vous avez déclaré une fois que toute jeune, au début de votre carrière, vous pensiez avec les jeunes cinéastes tunisiens pouvoir changer le monde par vos films, le pensez-vous encore ou bien le pragmatisme, pour ne pas dire autre chose, a pris le dessus ?
A travers la flamme de la jeunesse, on croyait que nous étions seuls à pouvoir changer le monde. Avec la maturité de l'âge on se rend compte qu'on fait partie d'un tout. La réflexion politique seule est insuffisante, les lois et la constitution le sont également, l'engagement des artistes n'est pas suffisant. Au contraire, l'agrégation de ces dynamiques en devenant une entité de réflexion et une force d'action peuvent faire évoluer la société. Tout doit avancer en harmonie. Le discours d'un président de la République, les mouvements féministes, les constituants se sont battus à mort pour faire prévaloir l'Etat séculaire, les droits de la femme, le droit du handicapé, les droits de l'enfant... Les différents intervenants, dont nous les cinéastes, représentent un élément non unique mais essentiel de cette dynamique. Par ailleurs, nous autres, avançons d'un pas en avant comparativement à l'évolution de la société.
Dans les sociétés primitives, le poète a toujours été considéré comme un visionnaire. Aujourd'hui, le poète moderne est incarné par l'homme de théâtre, par le cinéaste, le danseur. Nous sommes obligés d'être des éveilleurs de conscience, quitte à choquer parfois, et recevoir comme critique «pourquoi évoquez-vous telle question, c'est trop tôt». Nous sommes astreints également à être en avance par rapport au discours politique. Il reste néanmoins vrai que pour ce qui concerne la Tunisie après la révolution, ce sont non pas les artistes ni les hommes politiques qui ont tenu bon, mais la société civile qui a tout fait pour protéger les acquis de cette société et qui s'est impliquée totalement. C'est monsieur et madame tout le monde qui sont descendus dans la rue à chaque fois que la société civile tirait la sonnette d'alarme parce que les acquis de la femme et l'ensemble de la société moderne étaient en danger.
Avec le recul, quel est votre bilan de la révolution ?
C'est très mitigé. Je trouve que les choses sont beaucoup moins claires que les trois premières années que j'ai passées à l'ANC. A l'époque, les enjeux et les objectifs étaient définis. Chaque groupe avait un projet en tête et se battait pour que ce projet voie le jour. Je dois dire que je me suis battue contre les islamistes mais je nourrissais relativement à leur endroit du respect. Après tout, ils défendent leurs visions. Aujourd'hui je ne peux pas en dire autant. L'alliance qui s'est faite entre un parti qu'on croyait être le représentant de l'union de tout ce qui est progressiste, moderniste, laïc et démocrate et les islamistes a tout miné. Les conséquences de cet exercice du pouvoir mené par la Troïka, nous sommes en train de les subir encore aujourd'hui. Nous sommes en train de nager en eaux troubles.


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