Yosr Ben Ammar, qui a choisi d'être une galeriste hors galerie et de jeter l'ancre dans des endroits insolites et imprévus pour peu qu'ils la séduisent, a toujours su surprendre son public. Il faut beaucoup de courage, de confiance et une dose certaine de joie de vivre pour se lancer dans l'organisation d'une telle exposition. Le duo de choc, Yosr Ben Ammar et Ymen Berrhouma, l'a fait. Demander à des artistes venus d'horizons différents, de techniques et d'influences diverses de se fédérer autour d'un même thème, la peur, n'est certes pas anodin. Et pourtant. Est-ce le lieu, insolite, joyeux, convivial, qui désarme ce qui aurait pu être glauque, opaque et morbide n'importe où ailleurs ? Yosr Ben Ammar, qui a choisi d'être une galeriste hors galerie et de jeter l'ancre dans des endroits insolites et imprévus pour peu qu'ils la séduisent, a toujours su surprendre son public. Là, c'est sur la colline de Gammarth, dans un espace généralement consacré à l'art de vivre et de recevoir, aux plaisirs plus terre à terre de l'art... culinaire, qu'elle a planté ses cimaises. Et qu'elle présente, avec la complicité de Ymen Berrhouma un aréopage d'artistes dont certains peu connus, sous une même bannière : celle de l'étrangeté, qu'elles appellent, de façon plus exotique «uncanny». Uncanny, nous dit-on, est un terme anglais qui désigne l'Etrange. Ou l'inquiétante étrangeté. Un sentiment qui surviendrait de la peur de l'ordinaire et du familier, une émotion anxieuse face à la réalité, au quotidien. Nos artistes, que l'on pensait hédonistes et bons vivants seraient donc tous atteints par ce syndrome ? Ymen Berrhouma le confirme, du moins pour ceux qu'elle a sélectionnés. «L'objectif (de cette exposition) serait donc d'examiner ce phénomène d'omniprésence de la peur dans la vie contemporaine qui se voit de plus en plus flottante et sans ancrage». Il est vrai que depuis la révolution, les gens sont moins gais et les artistes plus sobres. Mais dans ce lieu entre ciel et terre, face à la mer toujours renouvelée de tous les poètes du monde, dans une maison qui s'appelle «Emotion» (oui, cela ne s'invente pas), il est difficile d'adhérer et d'être «uncanny». Même la guillotine dressée dans le gazon ne réussit pas à être macabre. Bien sûr, à travers l'exposition, au rythme de ces cimaises atypiques, se dégage la sensation que certains des artistes ont voulu, et réussi à faire passer : celle d'un autre univers, de succubes ou d'incubes, d'un monde parallèle que seules certaines âmes sensibles détectent et expriment, d'un temps autre que le nôtre, d'une dimension inconnue... Mais est-ce forcément un noir univers, les fantômes qui le hantent sont-ils forcément maléfiques ? Les familiers de la maison Emotion à qui cette exposition souhaite présenter un visage nouveau de l'art contemporain vous diront que non, et que, en tout cas, dans ce temple de la gastronomie, cela ne leur a pas coupé l'appétit.