Pionniers de la peinture de l'école de Tunis à d'autres inclassables… Des Jellal Ben Abdallah et Zoubeïr Turki et autres Aly Ben Salem et Habib Bouabanna. Certains sont, malheureusement, méconnus, par la jeune génération (et des fois par leurs aînés !). On attend toujours de mettre à jour (et au jour) leurs travaux dans une enceinte adéquate faite pour les accueillir et les présenter au grand public. Car n'oublions pas qu'il s'agit là de mémoire collective ! En attendant, des galeriste, comme Yosr Ben Ammar, s'occupent de les exposer et de les pérenniser. Et ce sont les cimaises de Kanvas qui accueillent ces artistes. Des œuvres de différentes tendances artistiques en Tunisie y sont exposées depuis le 11 décembre 2010. «Je ne voudrais pas trop employer le terme Ecole de Tunis, avant et après», précise la galeriste. L'idée est d'essayer de présenter des œuvres anciennes aux amateurs d'art, aux collectionneurs, aux chercheurs et aux curieux. La galerie présente en fait sa 5e expo annuelle intitulée «Regards sur la peinture tunisienne», qui se poursuit jusqu'au 15 janvier 2011. Une occasion de mieux appréhender cet espace. Ainsi, on peut «visualiser de plus près les différentes techniques, thèmes et périodes d un même artiste», note Ben Ammar. On peut même se permettre de parler d'exhumation. Car on n'a pas toujours l'opportunité, malheureusement, de croiser un Lellouche ou un Bellagha. Et en attendant de les voir offerts à tout le monde dans un musée, on saisit avec une grande curiosité chaque opération de «dépoussiérage» de ce genre! Certaines de ces 48 œuvres exposées font partie de la collection privée de Kanvas, d'autres appartiennent à des particuliers qui ont bien voulu les prêter pour l'occasion. Mais le plus important, c'est qu'elles sont présentes, le temps d'une expo, soigneusement soutenues par les cimaises des lieux. Certains artistes, appelés de l'au-delà, se sont réunis, à l'occasion, ramenant avec eux aquarelles, huiles et gravures. Des balbutiements des débuts à des essais plus matures, tout y est. Et voilà que l'expérience de la perception commence. L'artiste de l'inactuel : Aly Ben Salem nous sort ses gouaches sur papiers, ses émaux sur verres (années 30, 40). Il nous offre ses paysages aux terres florales, ses créatures oniriques (champs de fleurs, les oiseaux du paradis, la danse mystique, les biches), nous raconte des histoires de «rencontres» et exhume ses nymphes gracieuses et délicates. Au rendez-vous, également, son univers féminin et édénique à souhait (la danseuse, la coquine), accentué par des tons froids de beige, de bleu et de vert. Des touches d'indigo, de mauve et de rose leur confèrent leur ton surréel. Un artiste de l'inactuel comme l'a qualifié Rachida Triki, professeur d'esthétique et critique d'art. Elle en parle d'ailleurs dans une de ces communications comme «un acteur de contemporanéité avec la liberté de son tempérament et l'originalité de son imaginaire qui font que l'on peut parler du style Aly Ben Salem». L'Ecole de Tunis Au rendez-vous également la «bande» de l'Ecole de Tunis : Yahia Turki et son «Marabout», Jellal Ben Abdallah (La belle et la fenêtre, La femme et son turban, Le bouquet), Abdellaziz Gorgi et son trait épuré (Le henné), Ali Bellagha (Le pacha de trèfle), Jules Lellouche (Le vieux, vue sur le pont), Victor Sarfati (Les cavaliers), Zoubeir Turki (Les bourgeois)… Considérés comme les premiers artistes modernes, ces artistes ont choisi, dès le début, un langage plastique privilégiant l'attachement aux valeurs traditionnelles et à l'authenticité. Dans leur peinture, une certaine vision nostalgique se transforme en point de repère par rapport à un monde moderne. Autre artiste exposé, et pas des moindres, l'authentique et incontournable Habib Bouabana. On peut admirer ses touches passionnées à travers trois de ses peintures : La femme à l'œillet, L'arbre et Le bélier. Méconnu par certains, Roger Paul Roux est également présent avec son tableau Le marabout. Ce rebelle de l'armée, né en 1926, qui fut sauvé, dit-on, par son art... «Regard sur la peinture tunisienne» présente également des œuvres de Khalifa Chaltout, de Brahim Dhahak (gravures) de Feryel Lakdhar, de Adel Megdiche, de Mahmoud Shili, de Abderrazek Sahli, de Lamine Sassi, Hammadi Ben Saâd et de bien d'autres encore. «Bien que nous soyons, surtout, une galerie d'art contemporain, nous tenons à présenter “l'ancien” pour, justement, mieux appréhender le “contemporain”», explique la galeriste. Une occasion pour les chercheurs et les jeunes générations de plasticiens d'aller consulter ces documents de références et surtout de mettre en exergue notre mémoire collective.