Par Raouf SEDDIK Face à la multiplication des mouvements séparatistes dans le monde, on se demande si l'on n'est pas en présence d'une surrenchère souverainiste qui relève surtout du courant populiste et de sa rhétorique. Mais la façon dont le droit à la souveraineté est affirmée pose de son côté un problème de méthode : c'est ce que nous enseigne le cas de la Catalogne... A croire que les peuples de la terre se sont passé le mot : du Kurdistan à la Catalogne, de la région anglophone du Cameroun à la Lombardie-Vénétie en Italie, de l'Ecosse à la petite Canvey Island au Royaume-Uni, le monde ne gronde plus que de l'écho des revendications d'autonomie ou d'indépendance. Un vent sécessionniste souffle sur la planète dont on se demande parfois s'il n'est pas provoqué par quelques trublions invisibles. Ses motivations sont diverses : vouloir affirmer un particularisme culturel que l'Etat central persiste à étouffer, exprimer son exaspération d'une gestion des affaires qui se décide en dépit du bon sens et de l'intérêt des administrés dans les bureaux d'une lointaine capitale, se désolidariser d'autres régions économiquement moins performantes qui pompent à leur profit les excédents fiscaux, nourrir l'ambition de jouir exclusivement de ressources naturelles qui se situent sur le territoire de sa région... A démêler toutes ces raisons, avec les nuances qu'apporte avec lui chaque cas particulier, on se rend compte bien sûr qu'il y a du bon et du moins bon, du fondé et de l'infondé. Toute tendance au «divorce» court le risque d'infliger à la région concernée une double violence : couper un lien naturel qui lie la région en question à des régions voisines à travers la multitude des péripéties et des épreuves vécues en commun au fil des siècles et, d'autre part, infliger à la population de la région concernée, en dépit de sa diversité et de ses minorités, la loi d'un particularisme plus ou moins exacerbé. Ceci sur le fond. Mais il arrive aussi que la revendication, bien que légitime et louable du point de vue de son contenu, devienne problématique et néfaste en raison de la manière par laquelle elle s'exprime. Le cas de la Catalogne peut servir ici d'illustration. On ne se prononcera donc pas sur le bien- fondé d'une volonté d'indépendance de la part d'une région qui a joui jusqu'ici d'une très large autonomie dans son mode de gouvernement. Il n'appartient à personne, en dehors des Catalans eux-mêmes, de juger de la question de savoir si cette large autonomie est ou non suffisante pour répondre à leurs aspirations. En revanche, sur le choix des autorités régionales d'organiser un référendum portant sur l'indépendance de la Catalogne en dehors de toute concertation préalable avec les autorités de Madrid et, semble-t-il, au mépris des dispositions de la Constitution espagnole, on est bien obligé de considérer que le précédent que les Catalans offrent au monde est un précédent fâcheux. On observe en tout cas que le gouvernement central a été lui-même poussé dans ses retranchements et amené à prendre des mesures qui aggravent la situation de crise. Car son action pour gérer ce dossier ne peut pas se placer en dehors de ce que prévoit la Constitution en pareille situation. Et c'est ce qu'il explique d'ailleurs à qui veut l'entendre, en faisant valoir l'article 155 de la loi fondamentale. Aujourd'hui, et après une procédure de mise en demeure visant à obtenir des autorités régionales une «clarification» relativement à leur position — à laquelle il juge ne pas avoir reçu de réponse — le gouvernement de Madrid a réuni samedi dernier un Conseil des ministres et son intention est de poursuivre la procédure engagée. En l'occurrence, il est question de proposer au sénat l'adoption d'une série de mesures «en vue de garantir le respect des obligations constitutionnelles et la protection de l'intérêt général». En d'autres termes, on s'achemine vers une destitution du président de la région, ainsi que du vice-président et de tous les conseillers du gouvernement catalan, le remplacement des dirigeants écartés par des organes désignés de la part du gouvernement espagnol, la dissolution du parlement catalan et la convocation d'élections régionales anticipées dans un délai ne devant pas dépasser les six mois. L'article 155, indique un document transmis par l'ambassade espagnole, est mis en application «afin d'exercer un contrôle exceptionnel des communautés autonomes, dans la défense de l'intérêt général»... On peut imaginer cependant les répercussions d'une telle série de mesures sur le camp des indépendantistes, et le risque de durcissement des positions qu'elle comporte. Cette situation n'était pas inévitable et son degré de tension aurait été nettement moindre, on peut le supposer, si la politique du fait accompli n'avait pas été adoptée par les indépendantistes catalans. On remarque d'ailleurs que les choses ne se passent pas non plus sans accroc entre le gouvernement irakien et les autorités régionales kurdes d'Erbil. Personne ne niera le droit du peuple kurde à affirmer son identité à travers un mode de gouvernement particulier mais, là encore, le déficit de négociation préalable engendre des crispations que l'on constate et qui sont d'autant plus dangereuses dans ce cas précis que le risque est très grand de voir le bras de fer prendre une tournure militaire...