Par Raouf SEDDIK L'organisation, lundi dernier, d'un référendum dans le Kurdistan irakien, avec le «oui» massif que tout le monde attend au sujet de l'indépendance de cette province du nord, suscite beaucoup d'interrogations et d'inquiétudes... Sommes-nous à la veille d'un nouveau plan Sykes-Picot, comme le prétendent certains ? La nouvelle suscite la perplexité. La Première ministre de l'Ecosse, Mme Nicola Sturgeon, qui s'exprimait devant le Parlement régional écossais, a déclaré récemment : «Le droit à l'autodétermination des peuples est un principe international important et j'espère vraiment qu'il sera respecté en Catalogne et partout ailleurs». Cette déclaration intervenait en réponse aux mesures prises par le gouvernement espagnol en vue d'empêcher l'organisation par les autorités régionales de Catalogne le référendum du 1er octobre prochain... (Bien que le «partout ailleurs» puisse faire référence à d'autres régions de la planète, où la question de l'autodétermination fait aussi l'actualité). En d'autres temps, une telle déclaration serait passée pour un cas d'immixtion intolérable dans les affaires internes d'un Etat souverain... Le courant séparatiste existe en Espagne depuis longtemps et ne concerne pas que la région catalane. Le Pays Basque, au nord de la péninsule, a également ses revendications qui ont donné lieu dans le passé à des actions violentes. Rappelons-nous les opérations du groupe ETA. Mais le gouvernement central, aujourd'hui comme dans le passé, a toujours opposé une attitude de refus face à ce qui est perçu comme une logique de morcellement et d'affaiblissement de l'entité nationale espagnole. C'est cette même attitude qui prévaut parmi les pays du Proche-Orient où l'autodétermination des Kurdes est à l'ordre du jour : l'Irak, la Syrie, la Turquie et l'Iran. La position de refus a revêtu cependant un ton plus énergique dans leur cas suite à l'organisation, lundi dernier, d'un référendum dans les régions irakiennes sous contrôle kurde. Soit les provinces d'Erbil, Souleimaniyah et Dohouk — où la population kurde est nettement dominante —, mais aussi d'autres zones où cette population est présente tout en cohabitant avec d'autres. C'est le cas de Kirkouk, où Arabes et Turkmènes vivent aux côtés des Kurdes. En Syrie, des élections locales ont été organisées, également dans les zones sous contrôle kurde, dans le nord et le nord-est du pays : Afrine, dans la province d'Alep (nord), Fourat, entre Alep et la province de Raqa (nord) et Jaziré, qui correspond à la province de Hassaké (nord-est). C'était vendredi dernier. Les représentants des Kurdes syriens ont expliqué que ces élections locales représentaient la première étape d'un processus qui en comporte quatre et qui devrait déboucher sur une forme d'autodétermination, dont ils affirment toutefois qu'elle ne conduira pas à une scission, mais plutôt à du fédéralisme. Le gouvernement syrien, cependant, a qualifié toute cette démarche de «blague» et réaffirmé le principe de l'intégrité territoriale de la Syrie dans ses frontières actuelles. En Irak, les autorités de Bagdad ont répondu à l'initiative du référendum en menaçant, d'une part, de soumettre la province kurde à un blocus économique et, d'autre part, d'envoyer l'armée dans les zones sous contrôle kurde mais ethniquement mixte. Le Premier ministre, Haidar Abadi, a affirmé de façon solennelle que le gouvernement central «imposera son autorité conformément à la Constitution». Le gouvernement turc, qui entretenait des relations houleuses avec les trois autres pays, s'en est rapproché dans un souci de solidarité contre le risque que le séparatisme kurde gagne à partir du nord de l'Irak toute la région et rallume la sédition sur son propre territoire. Des mouvements de troupes ont même été signalés à sa frontière... Cette agitation a amené certains analystes à considérer qu'il existe un plan machiavélique de morcellement du Proche-Orient, sorte de second Sykes-Picot, orchestré par l'Occident, et en particulier par le couple américano-israélien. Pour eux, la position critique affichée par l'administration américaine à l'égard du référendum kurde en Irak serait de la poudre aux yeux : elle cacherait en réalité une politique de soutien dont le mobile serait d'affaiblir encore plus les différents pays de la région, en les poussant à l'éclatement. Peut-être... Ce type d'analyses, de son côté, n'est pourtant pas lui-même à l'abri de mobiles secrets qu'on pourrait lui imputer, comme celui de perpétuer l'ordre ancien d'Etats-nations face auxquels les minorités devraient continuer de se laisser broyer au profit d'une unité mythique artificiellement glorifiée, dont un dirigeant dictateur s'imposerait comme l'incontournable garant. Quelles que soient les arrière-pensées des pays occidentaux impliqués politiquement et militairement dans la région proche-orientale, c'est un fait que le destin du peuple kurde a atteint un point de non-retour dans l'affirmation de son identité et de sa volonté de prendre part au devenir de la région aux côtés des autres peuples. Dans une interview lundi dernier à la chaîne Russia Today, le ministre syrien des Affaires étrangères, tout en critiquant le processus électoral des Kurdes syriens, et tout en rejetant aussi le principe du référendum, a admis que son gouvernement était «prêt à discuter autonomie» : c'est «négociable», a-t-il dit. L'option de l'autonomie est sans doute celle vers laquelle la région s'achemine. Elle permettrait de lever la mesure d'ostracisme qu'a subie le peuple kurde dans le passé, en prévenant par là même le risque d'un retour aux revendications armées. Elle marquerait en même temps la fin du modèle de l'Etat face auquel la diversité ethnique, culturelle et religieuse est sacrifiée sur l'autel d'une unité tutélaire et uniformisante, modèle qui fut celui de la période post-coloniale et de ses «épopées» mais qui, aujourd'hui, n'évoque plus que ce «monstre froid» dont nous parlait Nietzsche dans son Zarathoustra...