Au suivant est la nouvelle pièce signée par Habib Belhadi pour le texte et par Lassaâd Ben Abdallah dans la mise en scène. Après la présentation de l'avant-première le 21 août dernier au Festival de Hammamet, voici que le second cycle de représentations au cinéma Le Rio à Tunis est lancé, succédant au premier qui s'est déroulé au mois d'octobre. Vendredi soir, face à un public, quoique pas très nombreux, mais qui a montré au fur et à mesure des signes d'appréciation positive, c'est au tour de ce spectacle, classé dans le genre comédie musicale, de se produire pour la deuxième fois de la semaine. La comédie réunit un groupe de comédiens, dont certains sont connus du grand public comme Fethi Msalmani, Jamel Maddani, ou Farhat Jedidi, mais encore Kaisela Nafti, Hatem Lajmi, Wajdi Borji et Meryem Sayah. L'histoire se déroule dans un café-chantant du quartier historique du vieux Tunis, Bab Souika, dirigé par Mehrez (Fethi Msalmani), un destourien opportuniste qui le revendique haut et fort, aux prises avec une crise financière aiguë. Ses musiciens non payés depuis la saison écoulée commencent à montrer des signes de révolte, dont notamment Ezemni (Jamel Maddani), père d'une famille nombreuse dans l'indigence, qui met à mal le rythme de la répétition. La période choisie est la fin des années soixante, outre l'évocation de la période consécutive à l'Indépendance où la culture du parti unique et du leader suprême dominait déjà. L'étau commençait, en effet, à se resserrer autour des opposants et des syndicalistes. De la nostalgie dans l'air Toute la pièce se construit autour de cette répétition désordonnée des nuits de Ramadan 67/68 au café-chantant. Chants, danses et projection vidéo sont les principaux supports utilisés avec le texte. Les évocations historiques portant sur l'évacuation des dernières troupes de Bizerte en 1963, le départ précipité des juifs tunisiens après la Guerre des Six jours, en 1967, la transition entre le pouvoir colonial et le pouvoir remis aux mains des Tunisiens sont autant d'indications qui font office d'ossature narrative de la pièce. Le texte truffé de mots et d'expressions de l'époque, les chants de Salah Khemissi, les costumes et les maquillages adaptés nous ont transportés de plain-pied dans l'atmosphère des années 50-60. Il y avait de la nostalgie dans l'air et une musique entraînante. Les mélodies d'antan accompagnées de la danse élégante de Meryem Sayah ont conféré aux tableaux la dimension spectacle inhérente au genre. Cependant, la pièce de 85 minutes, écourtée de peu, gagnerait en intensité. Habib Belhadi nous raconte qu'il n'en est pas à son premier coup d'essai, puisqu'il avait commencé à écrire du théâtre depuis longtemps. Au suivant est, en revanche, l'œuvre la plus assumée, dit-il. A propos de cette dernière production dont il est à la fois l'auteur et le producteur avec ses associés, il défend d'abord le genre, mais également la culture dont elle émane. La comédie musicale est un genre qui existait auparavant et avait du succès, «mais avec les œuvres élitistes du musicien Mohamed Garfi, la barre a été placée très haut. Le genre est resté bloqué. C'est pourquoi la création des comédies musicales est devenue rare, quoique ce soit un genre qui ait des origines profondes et un public», analyse-t-il. Autres entraves à la production de ce théâtre bien particulier, les comédies musicales sont non seulement coûteuses, mais requièrent en plus la polyvalence des comédiens, comme d' avoir une belle voix, savoir jouer d'un instrument de musique, savoir danser... Faire un pont entre les diverses cultures Pour ce qui est de l'œuvre en soi, elle charrie, selon Habib Belhadi, deux idées majeures ; la première consiste à défendre l'art populaire et naïf. Ainsi, le chant, la danse, le conte ont disparu par le fait politique, «désormais nous devons produire des créations populaires et spontanées», a-t-il insisté, et d'ajouter : «La culture ne peut uniquement relever d'une démarche académique et les créateurs tunisiens ne peuvent être tous de grands diplômés». La culture populaire, qui est une culture de proximité provenant du cœur même des quartiers, doit retrouver son aura et disposer de lieux pour s'exprimer. La thèse que défend l'auteur qu'il a essayé de mettre en œuvre dans sa pièce, en évoquant le café-chantant, c'est que l'art et la culture ne peuvent rester confinés dans une tour d'ivoire avec un art populaire qui s'exprime séparément. «Le temps est venu de jeter un pont entre les diverses cultures qui se déploient dans ce pays». La seconde idée développée, qu'on retrouve en filigrane dans le texte, se déploie à travers l'évocation de la transition démocratique hésitante après l'Indépendance, mais également les exactions commises par la police et le parti Destour. Tout au long de la pièce, est perçue la démarche volontaire de relativiser le mythe national de Bourguiba que l'auteur défend. «J'ai voulu raconter aux gens comment Bourguiba était perçu à Bab Souika dans son environnement professionnel, puisque son cabinet d'avocat était là-bas. Il faut bien le dire, après la révolution, on a voulu présenter Bourguiba comme un prophète. Avec tout le respect dû à sa mémoire et à son œuvre, Bourguiba a commis des erreurs qui ont entraîné des conséquences majeures». Faisant, un parallèle avec l'époque actuelle Habib Belhadi considère que la culture destourienne dominante de l'époque est revenue à grands pas. Accueillie favorablement par la critique, la comédie musicale Au suivant, qui fait revivre un genre délaissé, représente un hymne à la culture de proximité et à l'art populaire. A voir !