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L'adieu à Jellal Ben Abdallah
Entretien du lundi
Publié dans La Presse de Tunisie le 13 - 11 - 2017

En hommage à l'artiste, nous republions l'entretien du lundi que nous avons réalisé le 28 mars 2016 conduit par Alya Hamza sous le titre : Jellal Ben Abdallah : créer, c'est vivre deux fois.
On ne raconte plus Jellal Ben Abdallah. Mais depuis qu'il nous a quittés, on a envie de se souvenir. Eh oui, tout de même, de raconter. De raconter comment lui nous racontait que, tout jeune, il dessinait ses miniatures au creux de ses cahiers de classe, au grand dam de ses parents qui n'y voyaient que motif de dissipation. Comment son père, qui condamnait ces amusements futiles, était rentré un jour, ébloui par des petits tableaux exposés chez un cafetier voisin, sans se douter un seul instant que c'était l'œuvre de son fils.
On a envie de raconter comment il a exalté et encensé la femme tunisienne qui jamais ne fut aussi belle que dans ses toiles. Et quand on osait lui dire que cette femme ressemblait à son épouse, la très belle Latifa, il répondait, l'œil taquin, que c'était Latifa qui ressemblait à ses femmes.
On a envie de raconter les souvenirs qu'il évoquait des rencontres faites dans sa vie, lui qui était la visite incontournable que tout homme ou femme de goût devait faire en passant par la Tunisie. Gide, le partenaire aux échecs, le commandant Cousteau, qui lui racontait ses plongées, Onassis qui lui parlait d'un autre miniaturiste grec...
On a envie de raconter cette maison accrochée à l'extrême pointe du village, conçue par lui comme une véritable œuvre d'art, prodige d'harmonie, de proportions, et dont on se demande si quelqu'un d'autre que Jellal et Latifa, le couple mythique, pourrait un jour y vivre. Et dont on rêverait qu'elle devienne un musée à sa mémoire avec ses œuvres, certes, mais aussi ses objets, ses meubles, ses instruments, amassés toute une vie, racontant une esthétique, un art de vivre, un regard aussi.
On a envie de raconter le travailleur infatigable, le « trésor vivant » à la mémoire sans défaut, l'artiste à l'urbanité raffinée, et à l'amitié fidèle, le villageois amoureux de son village qui partait en croisade pour qu'on ne change pas les boules surmontant les minarets, et que la fontaine sur la place ne soit pas défigurée.
On a enfin envie de raconter qu'à 96 ans, Jellal Ben Abdallah préparait une exposition pour ce printemps, et qu'il avait bien raison car son art est immortel.
En hommage à ce monument, nous republions l'entretien du lundi que nous avons réalisé le 28 mars 2016 sous le titre Jellal Ben Abdallah : créer, c'est vivre deux fois.
Entretien
Vous êtes un des peintres dont l'œuvre est la plus vaste et la plus importante. Mais aussi une œuvre qui obéit à des constantes. Vous avez créé un «genre». Définiriez-vous des périodes, des époques, des tendances, des inspirations ?
Justement pas ! Certes, ma technique a évolué au fil des ans mais je peux réaliser un dessin cubiste suivi d'une nature morte «à la flamande» et ainsi passer d'une facture à une autre à une même période. Comme je date rarement mes tableaux, il est parfois difficile de savoir de quelle époque provient une œuvre. Qui plus est, je ne cherche même pas à comprendre pourquoi je change de facture, c'est un fait qui s'impose à moi !
Jellal Ben Abdallah est un mythe, une icône, un «trésor vivant», comme disent les Japonais de leurs grands maîtres. C'est une place à laquelle vous vous êtes probablement habitué. Est-elle cependant facile à vivre, et n'implique-t-elle pas autant de droits que de devoirs?
Je ne suis pas un personnage public et je fuis les mondanités, ce qui ne me donne pas de droits et, par conséquent, pas de devoirs non plus.
Ainsi, dans les années 50, alors que j'habitais Paris et que je commençais à être connu dans les milieux artistiques grâce à la diffusion de ma peinture dans plusieurs pays européens, ma première réaction a été de prendre mes distances avec ce monde pour me réfugier dans le calme de Sidi Bou Saïd. Je ne me considère pas comme un mythe, j'essaie d'être moi-même. Peindre et créer est le seul devoir que j'ai, mais envers moi-même.
L'un de ces devoirs est la transmission. Vous avez la réputation d'un travailleur solitaire. Est-ce que vous êtes en contact avec de jeunes artistes, de jeunes critiques, de jeunes galeristes ?
Ce que vous appelez «transmission» est, en fait, un apprentissage. Si vous apprenez la grammaire, cela ne fait pas de vous un poète. Je vous rappelle le mot de Picasso : «Le métier, c'est ce qui ne s'apprend pas» !
Je me suis appliqué cette devise à moi-même. C'est pourquoi le catalogue édité à l'occasion da la rétrospective de mon travail en 2009 s'intitulait «Ni disciple ni maître !».
Vous êtes, dans l'esprit de tous, «le peintre de Sidi Bou Saïd». Cette fusion avec un lieu, cette totale immersion dans ce site exceptionnel, l'esprit du village sacré ont-ils réellement influé profondément sur votre art, votre technique, votre approche ? Ou auriez-vous peint de la même manière si vous aviez vécu à Djerba ou à Hammamet ?
On garde toujours à l'esprit ce que l'on a vu au plus jeune âge. Picasso dessinait encore les taureaux de son enfance même en ayant quitté l'Espagne. Pour ma part, je peignais des scènes inspirées de la vie du XIXe siècle qui régnait encore chez mes grands-parents.
Etant contraint de peindre dans le secret de mon pupitre, ces premiers dessins étaient des miniatures arabes où j'ai cherché à reproduire une atmosphère de calme et de recueillement. Lorsque j'ai habité Sidi Bou Saïd, j'ai rajouté dans mes compositions des échappées qui transportent l'esprit vers la mer, l'horizon, l'infini...
J'aurais donc tout naturellement peint très différemment si j'avais vécu à Hammamet ou à Djerba.
Aujourd'hui, la peinture de chevalet a pratiquement disparu. Que pensez-vous de cette évolution de l'art vers l'art conceptuel, l'art message, l'art provocation ?
La peinture contemporaine a toujours existé. Les hommes qui ont peint dans les grottes de Lascaux étaient à leur manière des peintres de leurs temps. De même, quand Picasso peint les Demoiselles d'Avignon, il devient un peintre contemporain au sens où il provoque son époque en transformant radicalement l'espace pictural, même si cette œuvre deviendra plus tard un classique de la peinture moderne. Je ne suis pas par principe contre l'évolution artistique que nous connaissons; cependant, j'y déplore souvent un manque de technique, l'innovation à tout prix aux dépens de l'inspiration et l'envolée des prix imposés par les mécènes qui sont souvent de grands groupes financiers. Je me considère néanmoins comme un peintre contemporain au sens où justement je provoque mon époque en refusant ce diktat et en me réfugiant dans un clacissisme sans cesse renouvelé.
Quel est votre meilleur souvenir ? Quand vous regardez en arrière, y a-t-il des choses que vous auriez aimé faire et que vous n'avez pu réaliser ?
Hormis la disparition de quelques êtres chers, je garde de la vie d'excellents souvenirs, y compris de ma période bohème où je travaillais nuit et jour. Fort heureusement pour moi, j'ai toujours réalisé ce que j'ai voulu et il n'y a pas eu de place pour les regrets ni pour la nostalgie dans mon existence. Je me suis essayé à la sculpture, la poésie, la céramique, la mosaïque, l'architecture, la musique et c'est vraiment la peinture qui a été mon mode d'expression favori.
L'Ecole de Tunis, qui a dominé le paysage pictural tunisien durant cinquante ans, a disparu. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de relève ?
L'Ecole de Tunis n'a pas été une école de peinture à proprement parler mais une simple réunion de peintres aux styles différents qui ont voulu promouvoir une forme d'expression artistique tunisienne.
Si les peintres d'aujourd'hui veulent se réunir à nouveau, cela ne tient qu'à eux. Mais l'école de Tunis, telle que vous l'entendez, a disparu tout simplement parce qu'elle n'a jamais existé !
Si vous n'aviez pas peint depuis votre plus jeune âge, qu'auriez-vous aimé faire ?
En dépit du respect que je porte à de nombreux corps de métiers, il n'a jamais été question pour moi d'être autre chose qu'artiste!
C'est ce qui s'appelle une vocation et, à mon sens, on ne peut créer une vocation, elle s'impose à vous !
Vous avez fait paraître récemment un très bel ouvrage sur l'ensemble de votre œuvre. Y avez-vous vraiment tout dit, ou avons-nous encore des aspects de Jellal Ben Abdallah que nous ignorons ?
Je tiens à préciser que, justement, je n'y dis rien. Ce livre provient de l'analyse de mon biographe et ami, Amin Bouker, qui, ayant longtemps vécu à mes côtés, s'est parfois avéré me connaître mieux que moi-même. Je n'aime pas beaucoup m'exprimer à propos de mon art et j'espère donc qu'il vous montrera dans un proche avenir plusieurs idées jetées sur le papier et qui illustrent le processus créatif qui m'anime en ce moment. Créer, disait Camus, c'est vivre deux fois !


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