A quelle date remonte la toute première exposition de Jellal Ben Abdallah? Selon toute évidence, c'est l'année 1939 qui a été désignée par le peintre comme celle durant laquelle il s'est installé à Sidi Bou Saïd et a commence à créer une œuvre reconnaissable entre toutes. Pendant de longues années, avec une régularité de métronome, Ben Abdallah a exposé une fois par an puis, avec l'âge et le recul, s'est fait plus rare même si, à aucun moment, il n'a délaissé son atelier. Né le 26 mai 1921, Jallel Ben Abdallah fêtera son 94ème anniversaire dans quelques jours. Doyen des artistes tunisiens, il sera l'hôte à partir de ce 21 mai de l'Institut français de Tunisie (IFT) pour une exposition joliment intitulée "Peintre d'un seul tableau". D'ailleurs, à cette occasion, Ben Abdallah retrouvera le lycée Carnot où il avait poursuivi ses études et pourra mesurer le chemin accompli depuis les lointaines années trente. En effet, cette exposition s'inscrit dans le cadre de l'inauguration du nouveau local de l'IFT, justement dans une des ailes de l'ancien lycée Carnot de Tunis. L'émotion sera certainement au rendez-vous pour ces retrouvailles et le public pourra découvrir les œuvres de Ben Abdallah jusqu'au 6 juin prochain. La poétesse Jacquline Daoud a dit de Jellal Ben Abdallah que " son oeuvre prenait sa source dans un mirage". Cette phrase sonne si vrai lorsqu'on est confronté aux créations de Jellal Ben Abdallah. Et ce mirage semble jaillir quelque part au cœur du golfe de Tunis, entre la majesté inaltérable du Boukornine et l'errance de l'eau dans laquelle on ne se baigne jamais deux fois. Reconnaissables entre toutes, les œuvres de Ben Abdallah sont en effet un éloge de cette fluidité méditerranéenne, de ce bleu de l'horizon qui se confond avec la mer. Chez ce peintre, l'évasion est toujours au rendez-vous d'une sorte de féerie qui sublime les visages, leur donne une gravité d'archétypes et une légèreté de songe. De grands yeux noirs peuplent ses œuvres sur fond de nostalgie des médinas. Habits traditionnels, bains maures, instruments de musique, rouets et parfums installent un univers féminin traditionnel qui, contrairement à Abdelaziz Gorgi ou Zoubeir Turki, fait le choix d'une précision fondatrice. Car Ben Abdallah est d'abord miniaturiste et, à ce titre, allie la méticulosité à la rigueur. Ses œuvres, de la plus minuscule des miniatures à la plus débridée des fresques, respirent la justesse. Bien sûr, son monde propre est toujours présent avec ses reflets, ses céramiques obsédantes et son bleu azur. Bien sur, les femmes qu'il peint portent une touche bien particulière avec leurs chevelures impressionnantes et leurs attitudes évanescentes. Miniatures et tradition Il faut découvrir les œuvres de Ben Abdallah et leur diversité. Il est par exemple l'un des rares artistes tunisiens a pouvoir atteindre la grâce avec une simple nature morte qu'il sublime d'un Jasmin resplendissant, d'un fond outre-mer ou d'une coupole qui se détache. Ses natures mortes aux coings ou a la pastèque ressemblent a une boutade et pourtant ces miniatures savent ressembler aux images d'Epinal de toutes nos nostalgies. Parmi ses œuvres les plus célèbres, une femme à la mandoline de 1955 avec ses fruits, ses pigeons, les tonalités de bleu et la silhouette du Boukornine fait figure de véritable manifeste. Ses portraits d'homme aussi ont une valeur autant esthétique que documentaire. On y retrouve lecteurs de Coran, libraires à l'ancienne, luthiers ou pêcheurs dans une imagerie qui n'a pas pris une seule ride. Proche de Hatim El Mekki par la technique et de Aly Ben Salem par le lyrisme, Jellal Ben Abdallah réalise une synthèse qui va au-delà du rigorisme de l'Ecole de Tunis et croise le chemin des Naïfs magnifiques de la tradition tunisienne. L'univers de Ben Abdallah est bien présent dans la tradition plastique tunisienne: depuis Yahia Turki ou Noureddine Khayachi, le patrimoine se décline selon une multitude de techniques et d'inspirations. Seulement la touche Ben Abdallah demeure unique avec sa palette vive, ses trios de belles d'antan et son recours à la céramique pour fragmenter ses fonds. Une esthétique du quotidien et une renaissance du temps jadis sont à l'œuvre chez Ben Abdallah. Et son message sera certainement entendu par les plus jeunes de nos artistes qui tout en rêvant de déstructuration n'en cherchent pas moins à sauvegarder une mémoire commune. Cette exposition Ben Abdallah vient ainsi à point pour jeter des ponts entre plusieurs générations de publics et d'artistes et son éloge d'une authenticité brassant souvenirs et sensations ne devrait pas manquer d'émouvoir. Sensuelle, populaire et universelle, la peinture de Jellal Ben Abdallah est née de la passion... A ne pas manquer!