La chanteuse tunisienne disparue est à l'image de toutes ces célébrités mortes à l'apogée de leur gloire. Au moment où personne ne s'y attendait, tout comme Ismahane, Dalida, Marilyn Monroe et Maria Callas, Amy Winehouse, Dhikra Mohamed est parmi ces stars ayant choisi ou été contraintes de partir, d'une façon ou d'une autre. Pour certaines vedettes, la célébrité a été vécue comme une fatalité, car même si leurs chemins ne se croisent pas, il y a toujours eu un impact qui a pu mener à leur dérive ou à sombrer pour se retrouver en proie aux caprices de la célébrité, aux aléas de leur entourage ou encore sous l'emprise de la drogue et de la solitude. La mort des artistes a toujours été vécue et vue différemment, suscitant l'intérêt du grand public, même des décennies après leur disparition. Depuis le décès de Dhikra, il y a 14 ans, les théories de conspiration n'ont cessé de raviver l'intérêt de ses fans comme de ses détracteurs. Des deux camps, les scénarios ont été montés par les adeptes de la conspiration sur les véritables auteurs de l'assassinat de la cantatrice, à seulement 37 ans. En ce 28 novembre 2003, la mort tragique de l'artiste faisait la Une des médias arabes qui annonçaient l'assassinat de Dhikra, vers 7 heures du matin, par son mari égyptien Aymen Soueïdi, à peine trois mois après leur mariage. Les médias de l'époque évoquaient une dispute suite à laquelle le jeune mari avait tiré seize balles sur sa compagne avant de se suicider à son tour en se tirant une balle dans la bouche. Optant pour tout un autre traitement de l'affaire, la réalisatrice Radhia Zouiouech, également amie intime de Dhikra (16 septembre 1966 - 28 novembre 2003), est revenue sur le parcours de l'artiste dans un documentaire intitulé «L'étoile filante», réalisé deux ans après sa mort, qui a été présenté, mardi soir, au cinéma Le Colisée à Tunis. En se basant sur des témoignages de l'entourage familial, amical et professionnel de l'artiste, le documentaire est un flash-back dans le monde d'une artiste habitée par le chant depuis sa tendre enfance. Le choc est grand et la douleur est insurmontable, pour ses proches parmi les membres de sa famille aussi bien que pour ses amis et entourage très proche. Sa sœur, sa tante, sa nièce, sa voisine, son instituteur, son coiffeur.. tout le monde regrette sa mort et fait l'éloge «d'une jeune femme aussi sensible, généreuse, passionnée, aimable et dévouée..». «La grandeur de son âme» n'est pas non plus à démontrer auprès du milieu professionnel dans lequel elle évoluait. Tous étaient unanimes sur «ses qualités humaines et vocales hors normes «. De Tunis, à Tripoli jusqu'au Caire, tout le monde voyait en elle «une artiste exceptionnelle». Le compositeur Abderrahman Ayadi, son mentor et éternel défenseur qui l'avait propulsée sur la scène nationale, revient sur ses grands moments avec Dhikra, disant «j'avais une relation humaine et professionnelle très étroite avec elle». Les capacités vocales de Dhikra ne laissaient personne de son entourage indifférent, en témoigne l'avis du journaliste Khaled Tebourbi qui révèle l'image d'une star et une artiste «née avec cette intuition de l'art». Le succès et la montée au sommet de la gloire n'étaient pas aussi évidents pour Dhikra qui a dû quitter la Tunisie pour tenter sa chance en Libye. Son passage auprès des compositeurs libyens fut assez court mais largement enrichissant pour l'artiste qui a tant aimé «son pays d'adoption», d'après plusieurs témoignages de professionnels du milieu artistique libyen, comme Ali kilani, Abdallah Mansour et Najoua Mohamed. De la Libye, elle avait émigré en Egypte, précisément au Caire où elle avait fait la connaissance des maîtres de l'époque, en particulier le producteur Hani M'hanna qui parlait de «sa voix exceptionnelle». Après leur première rencontre en 1992, Mhanna l'avait propulsée sur la scène arabe. Le compositeur Salah Charnoubi, lui aussi évoque le souvenir d'une «artiste hors norme et d'une femme généreuse et aimable». Elle était «une femme forte mais aussi fragile qu'un oiseau», disait son psychiatre alors que Jamel Belkhit, auteur-poète égyptien parlait d'«une femme aux capacités vocales surnaturelles». Son talent ne passait pas inaperçu et le succès ne se faisait pas attendre. Aussitôt remarquée et entendue, elle a été introduite chez les plus grands compositeurs des années 90. Sa renommée a par la suite dépassé la sphère artistique pour atteindre la scène des plus grands théâtres arabes. La réalisatrice basée à Paris présente dans son documentaire les témoignages de Roland Ramonelli, auteur-compositeur français avec qui Dhikra avait collaboré, ainsi que Kamel Hamadi, compositeur algérien en France. Filmés entre un studio d'enregistrement parisien et aux alentours de la Seine, les deux hommes ont parlé de cette grande sensibilité artistique de la chanteuse. Trahison des hommes ou coup fatal du destin, la mort de Dhikra demeure une énigme et un meurtre non élucidé et sur lequel le voile sera peut-être un jour levé. Sans pour autant focaliser son enquête sur les circonstances de la mort de Dhikra et tout le bruit médiatique ayant entouré sa mort, la réalisatrice a essayé de présenter sa vision très intimiste sur la vie de l'artiste. Radhia Zouiouech qui se présente comme une réalisatrice indépendante parle d'un film réalisé en 2005 et qu'elle a produit toute seule avec le soutien d'un cameraman et d'un monteur. Une fois en Egypte, elle dit avoir eu des difficultés à aborder le sujet de la mort de l'artiste, ce qui l'avait contraint à changer tout le scénario prévu. En attendant d'approfondir son enquête, elle compte réaliser une nouvelle copie de ce film sur la vie de Dhikra l'artiste, la femme et l'amie.