Dans sa collection « Alkacida » l'intellectuel, poète, traducteur et éditeur tunisien, Khaled Najar, vient de sortir un recueil de poèmes posthume signé Jacqueline Gaspar, la femme du grand poète Lorand Gaspar. Bien après l'hôpital Charles Nicolle de Tunis et le cabinet privé où elle a exercé son métier de médecin radiologue, vers l'âge de quatre-vingt-dix ans, Jacqueline G. a écrit ses poèmes. Dans ce nouveau et second recueil, on entre à pas feutrés, léger comme pour aller accomplir une prière en toute discrétion et dans le recueillement. « Tu as dit ce sable Le sable a fui La dune est nue sous le soleil Dune et nue Réduite à l'essentielle ossature A l'âme Pur dessin. » On y puise sagesse glanée au contact du vu, de l'aperçu, du senti et du médité au fil des jours et dans les interstices de l'anodin. La poétesse en extirpe et révèle l'essence en mystique. Au contact des quatre éléments et des cinq sens : eau, sable, fleur, cœur, oiseau, flocons, odeur, soleil, arbre, gouffre, terre, vent, racines, feuilles, œil. Au contact de l'ignorance, de la connaissance, de l'innocence, du rythme, du silence, de l'absence, du cri, de la pensée fuyante, du doute, d'une histoire, d'un chemin, d'un souvenir. Une poésie épurée qui nous fait pénétrer dans l'essence du monde mouvant à travers vague, mer, dune et vent, mais aussi à travers le corps, le cœur et son sang qui court. Après ces mises en scène d'éléments, de sens et de notions, Jacqueline Gaspar dresse à travers ses derniers poèmes des scènes de personnages présents par leurs cris et leurs histoires. Cette simplicité dans le choix et le point de vue dans le traitement des thèmes abordés, ce recours à l'essentiel, cette concision et cette vivacité fixée dans l'écrit, saisissant l'instant qui passe, font de cette poésie un genre qui s'approche du haïku. Même si le nombre de vers dépasse parfois celui de trois et le nombre de syllabes les dix-sept, l'esprit haïku plane à travers les pages. Tant d'espace vide sur la page en papier vergé fait respirer le poème, qui décrit parfois une composition non régulière de vers. Certains vers se suivent en escalier, d'autres fois en s'intercalant droite-gauche et gauche-droite. Composer en aérant va de pair avec écrire en aérant comme le fait la poétesse. Une totale complicité se lit entre l'auteure et son traducteur-éditeur, metteur en page qui est Khaled Najar. Quant au contenu des traductions de ce dernier, pas besoin de lui faire d'éloge, le lecteur arabisant découvrira des vers qui jettent un surplus de lumière sur la subtile poésie de Jacqueline Gaspar. La langue arabe littéraire et le langage châtié se déploient fidèlement. Par ailleurs, des richesses d'ordre visuel accompagnent le livre, celle de la vignette de l'artiste peintre Mohamed Ali Belkhadi et les œuvres photographiques noir et blanc de l'artiste Sophie Daoud-Périac. À l'occasion, et en présence d'un public de connaisseurs et d'amis, jeudi 7 décembre a eu lieu une rencontre d'auteurs à la médiathèque de l'Institut Français de Tunis: Façons de voir. Façons de dire. Les photographies de Sophie Daoud-Périac. Les poèmes de Jacqueline Gaspar par Madeleine Renouard, professeure émérite à l'Université de Londres. Celle-ci a présenté le recueil de Jacqueline Gaspar, Petit Théâtre du quotidien et de l'intime (Tawbad, 2017) ainsi que les photographies de Sophie Daoud-Périac exposées jusqu'à la fin du mois en cours parmi les livres à la Médiathèque Charles de Gaulle de Tunis. Petit théâtre du quotidien et de l'intime de Jacqueline Gaspar (1920-2017). Editions Tawbad 2017, traduit en arabe par Khaled Najar.