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Les joailliers crèvent l'abcès
Dossier : crise du secteur de l'orfèvrerie
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 12 - 2017

Ils s'opposent à la loi d'interdiction de l'exploitation de l'or-casse, appellent à leur implication dans l'élaboration des lois régissant le domaine ainsi qu'à la libération du secteur.
L'interdiction d'acheter des bijoux en or de seconde main, appelé dans le jargon des maîtres bijoutiers «or-casse», a résonné tel un verdict impitoyable, une sentence dans un domaine qui gémit, des années durant, sans que sa dégringolade, son altération croissante due aux pratiques d'arnaque et encore moins la diminution inquiétante de sa main-d'œuvre puissent intriguer les responsables et les inciter à prendre au sérieux le devenir de ce métier à la fois noble et problématique. Cette mesure fraîchement adoptée par l'ARP et annoncée par le ministère du Tourisme et de l'Artisanat a été reçue par les maîtres-bijoutiers, artisans et commerçants, comme un coup de grâce, annonçant le déclin imminent d'un secteur en stagnation chronique depuis bien des années.
Au deuxième jour de grève menée par les maîtres-bijoutiers, souk el Birka semble terne, plongé dans l'opacité des rideaux baissés. L'Or, ce métal noble qui fait toute la splendeur du lieu et qui le convertit en la caverne d'Ali Baba, s'est éclipsé, boudeur. Même les rares commerçants animés par le sens du travail et du labeur n'ont osé ramer à contre-courant. Les rideaux mi-baissés, ils restaient les bras croisés en ayant la foule de leurs confrères protestants à l'œil, dans l'espoir d'entendre une bonne nouvelle qui tarde, pourtant, à venir.
Dans l'une des ruelles du souk, protégée par une grande porte ancestrale, se trouve le bureau de M. Ezzedine Jaraya, l'amine du souk. Assis à son poste, ce monsieur compte parmi les artisans et les chefs d'ateliers de joaillerie qui ont, sous l'effet accablant de la décadence du métier, jeté l'éponge et fermé boutique. «Les maîtres-bijoutiers n'ont jamais demandé quoi que ce soit. Mais depuis quelques années, nous avons signifié le besoin du métier de voir ses lois actualisées. Ce domaine est régi, depuis la lune des temps, par des lois devenues désuètes. Les mesures prises depuis quelques années n'ont fait qu'enfoncer le clou, ouvrant ainsi la voie aux dérives», indique-t-il. Parmi lesdites mesures, il rappelle l'option pour un nouveau poinçon de l'Etat, caractérisé par une simplicité telle que n'importe qui peut l'imiter et falsifier l'identité des bijoux sensés être insoupçonnables. «Nous avons avancé des suggestions émanant de notre ferme conviction de faire régner la loi conformément au principe de la justice, et ce, en faveur de tous les intervenants, commerçants soient-ils ou artisans. Nous avons proposé l'élaboration d'un cahier de stock ; un moyen permettant au commerçant de déclarer toutes les pièces dont il dispose et facilitant ainsi les actions de contrôle. Aujourd'hui, pour repartir du bon pied, il convient d'opter pour un nouveau poinçon de maître artisan. Or, et contre toute attente, les décisions prises par les responsables du domaine entravent à toute logique. L'interdiction, désormais, de l'exploitation par les maîtres-bijoutiers de l'or-casse constitue une solution illogique, impensable, voire parachutée», juge-t-il.
L'or-casse : un capital pour le marché informel !
Il faut dire que la cessation de l'exploitation de l'or-casse réduira nettement l'activité des commerçants et des artisans. Une telle loi ne fait, selon l'amine du souk mais aussi selon tous les maîtres-bijoutiers interpelés, qu'exclure l'or-casse d'une dynamique conventionnelle, légale, contrôlée, pour le vouer au marché parallèle, échappant ainsi à la maîtrise de l'Etat. «Cette décision n'a qu'une finalité : alimenter le marché parallèle et le trafic illicite d'un capital hors-pair. Interdire aux maîtres-bijoutiers d'acheter et de recycler l'or-casse signifie que l'or-casse sera désormais écarté du marché réglementaire. Pour le récupérer, le vendre, le recycler, il faudrait passer par les trafiquants. Pis encore, souligne M. Abdelmonaem Khoujet el Khil, amine-adjoint du souk de l'orfèvrerie, l'un des représentants du peuple a déclaré haut et fort que l'or-casse pourrait être transvasé du territoire national tout comme il y a pénétré, ce qui est scandaleux».
Irrités par une mesure qui vient contrecarrer leurs intérêts, réduire leur activité et affaiblir davantage un secteur en mal de mire, les maîtres-bijoutiers crèvent l'abcès pour dévoiler toutes les injustices et tous les faux pas menés jusque-là et suite auxquels la conception et la vente de l'or traité dégringole de jour en jour.
Moins de matière première, moins d'activité
En effet, les quotas d'or revenant de droit aux bijoutiers et qui correspondent à leur approvisionnement en matière première devaient avoisiner les 200 grammes par mois. Ces quotas ont chuté après les événements du 14 janviers 2011 pour se situer à seulement 100 grammes par mois. Ce quota mensuel ne suffit nullement à la garantie d'une activité à même de préserver le gagne-pain de milliers d'artisans, dont certains ont lâché prise. Du coup, l'exploitation de l'or-casse, acheté auprès des particuliers, constitue une solution pour les commerçants pour s'approvisionner en matière première. C'est aussi une garantie, pour les artisans, de leur activité quoique clairement atténuée.
Une solution qui était, néanmoins, régie par des normes contraignantes. «L'achat et le recyclage de l'or-casse intriguaient les petits bijoutiers. Ces derniers étaient dans l'obligation d'en acheter à des quantités importantes, soit entre 200 et 300 grammes, alors que certains n'ont pas assez d'argent pour acquérir de telles quantités. Ils étaient aussi contraints à payer la taxe sur la quantité achetée et non sur les marches bénéficiaires des produits recyclés ; encore une injustice aberrante ! Les grands commerçants, eux, n'en peinaient point », précise M. Jaraya. Et d'ajouter qu'au lieu de rectifier le tir et équilibrer la balance, l'on annonce l'interdiction de l'achat et du recyclage de l'or-casse; une décision qui émane, selon lui, de personnes maîtrisant mal — sinon pas du tout — le dossier...
Pour un contrôle juste et scientifique
Fathi est bijoutier. Pour lui, cette décision mettrait la majorité des bijoutiers dans l'obligation de collaborer avec les trafiquants et le marché parallèle. Il considère qu'elle serait au bénéfice des trois bourreaux menaçant l'économie nationale, à savoir la corruption, le trafic et la spéculation. Pour lui, tout comme pour les intervenants interpellés, l'élaboration des lois régissant ce métier doit, impérativement, impliquer les maîtres de ce métier. «Il est grand temps de libérer ce secteur de ses chaînes et de lui permettre d'évoluer et de contribuer efficacement à la dynamique économique et sociale du pays», souligne-t-il. «Si le bijoutier-artisan, qui détient une carte professionnelle, n'a nullement le droit de recycler l'or-casse et que le bijoutier-commerçant n'a pas, quant à lui, le droit de l'exposer en vitrine, qui donc aurait le droit de l'exploiter ?», s'interroge Imed, perplexe.
Pour lui, cette loi insensée vient enfoncer le clou d'un métier devenu infernal car régi par des lois et une bureaucratie aussi opprimante que désuète. Imed montre du doigt les agissements parfois déplacés des contrôleurs. Il suffit, en effet, de tomber sur un bijou non déclaré car appartenant à un client et déposé auprès du bijoutier pour réparation pour le confisquer et faire comparaître le bijoutier devant la justice. Pis encore : M. Khoujet el Khil dénonce la confiscation de bijoux achetés auprès d'un particulier, des factures en règle à l'appui. «C'est le cas d'un confrère qui a acheté de l'or-casse auprès d'un monsieur en instance de divorce. L'épouse de ce dernier avait porté plainte contre cet agissement. Et figurez-vous, c'est le bijoutier qui a dû payer les pots cassés ! », note-t-il.
Le poinçon de l'Etat : un repère équivoque
La gangrène du secteur de l'or a explosé au grand jour, trahissant tant de faux pas et tant de non-sens. Saisissant l'occasion, les maîtres-bijoutiers se sont exprimés sur les innombrables pratiques et mesures, qui ont contribué à la décadence de ce domaine, à la diminution évolutive de ses professionnels et aux abus et arnaques pratiquées, désormais, avec un naturel sans précédent ! L'un des maîtres-artisans, qui préfère garder l'anonymat, dévoile les principales causes qui ont facilité le trafic illicite et les arnaques dans ce domaine, le délestant ainsi de la transparence qui le caractérisait jadis. «Tout a été chamboulé en 2002, suite au changement du poinçon de l'Etat. En ces temps-là, le poinçon de l'Etat était aussi sophistiqué que marquant, et du coup, inimitable. Celui appliqué aux bijoux en or de 18 carats était sous forme d'une tête de bélier. Quant au poinçon appliqué sur l'or de 9 carats, il était sous forme d'un scorpion. En 2002, poursuit-il, il a été procédé à la suppression de ces deux poinçons pour les unifier par un poinçon peu marquant, qui risque même de s'émousser au bout d'un certain temps, surtout dans le cas des bagues portées à longueur de journée. Pis encore, les anciens poinçons ont été substitués par des numéros, soit le 750 pour l'or de 18 carats et le 375 pour l'or de 9 carats. Or, le premier numéro n'est autre que celui utilisé à l'échelle internationale. Il suffit, donc, d'ajouter à une pièce provenant de l'étranger, le poinçon de l'artisan et de la vendre. Cette mesure a ouvert la voie aux arnaques, au trafic tout en responsabilisant, à tort ou à raison, le seul artisan».
C'est ce qui justifie d'ailleurs la prolifération des bijoux trichés. Notre interlocuteur met le doigt sur un autre hic : l'utilisation des poinçons d'artisans décédés par de tierces personnes. «Le problème, c'est que les actions de contrôle ne suffisent pas à vérifier la fiabilité de tous les bijoux exposés sur le marché. A « Dar Ettaba3 », seule une dizaine d'employés assurent le contrôle des bijoux, ce qui justifie la prolifération des arnaques», ajoute-t-il.
Fraude : le nom coûte souvent cher...
Pour faire face à la fraude dans le commerce de l'or, seul l'amine peut certifier la qualité, le grammage et le carat de la pièce en question. L'on s'attend, d'ailleurs, à l'introduction prochaine du spectromètre à Souk el Birka ; un appareil à même d'analyser en un clin d'œil toutes les composantes et de faire ressortir toutes les caractéristiques d'un bijou donné. «Il conviendrait aussi aux clients, souligne M. Khoujet el Khil, de se méfier de certains noms et d'éviter de frapper aux mauvaises portes. Certains haussent jusqu'à plus de 50% le prix du bijou pour faire valoir leur marque. En voulant vendre la pièce achetée, le client sera sidéré par la chute vertigineuse du prix car, pour le commerçant acheteur, le nom du bijoutier vendeur n'a aucune valeur. Seule la matière première compte».
Manifestement, entre la libération du marché de l'or et l'actualisation de la loi régissant ce domaine conformément aux exigences du secteur, de l'économie nationale et de sa position à l'échelle mondiale, d'une part, et l'adoption d'une loi qui tend, semble-t-il, à restreindre davantage les moyens des maîtres-bijoutiers et à opprimer encore plus un secteur en mal de mire, la question est loin d'être tranchée.
Photos : Koutheïr KHANCHOUCH


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