Le marché de l'or semble en perte de vitesse: l'or est-il devenu un luxe inaccessible aux Tunisiens? Quels sont les problèmes qui empêchent ce commerce de reprendre son élan d'antan? Reportage. Il est 13h30 en ce samedi 13 juillet 2013. Les souks de la Médina de Tunis s'agitent un tant soit peu grâce aux courses quotidiennes et autres spécial préparatifs des mariages. Mais le souk de l'or, lui, sommeille, las, sans doute, de voir les vitrines somptuseusement garnies de bijoux vouées au désintérêt des uns et de tous. Il n'y a pas que le souk qui affiche cette lassitude quasi pathologique: la plupart des commerçants s'abtiennent de coopérer et de parler du mal qui les ronge et qui menace leur gagne-pain. M. Mohamed Lahbib Ben Rejeb, par contre, n'hésite pas à crever l'abcès. Ce commerçant de 53 ans de carrière y va d'une affirmation poignante: «Il n'y a plus de vente à souk El birka, c'est fini!», indique-t-il les sourcils arqués, et d'un geste des mains catégorique, il ajoute: «Cette année, le commerce a chuté de près de 80% par rapport l'année précédente, qui n'était point, elle aussi fructueuse». Pour lui, vendre les bijoux à 80dt le gramme au grand minimum dissuade à coup sûr le client. Ce prix élevé n'est pas justifié surtout que le prix actuel de l'or brut à l'échelle internationale équivaut à 42dt le gramme. Pour les commerçants tunisiens, l'or brut se vend à 70dt par gramme. Quant à l'or traité — le bijou conçu par les artisans ou les industriels —, il se vend entre 75dt et 100dt, tout dépend de la pièce. « Or, logiquement, l'or brut ne doit pas dépasser les 55dt par gramme», indique M. Ben Rejeb. Un avis que partage M. Hamadi, un autre commerçant. M. A ( qui préfère garder l'anonymat ) est aussi un commerçant à El Birka. Malgré qu'il partage l'avis de M. Ben Rejeb sur la situation empirique que connaît le marché de l'or, il trouve que les Tunisiens continuent, tout de même, à en acheter, ne serait-ce que pour les occasions de fête, comme les mariages et les fiancailles. «Certes, ils optent pour moins de pièces qu'avant et pour des parures plus fines. Cependant, il sont convaincus de l'importance de l'or en tant que dot de mariée, mais aussi en tant que valeur matérielle», souligne-t-il. Et afin de mieux répondre aux besoins du client au revenu moyen, la plupart des bijoutiers ont affiné, depuis quelque années, leurs produits. Ainsi, certaines parures, par exemple, pèsent seulement 14 grammes et ne coûtent pas plus de 1.600dt. Le poids des bracelets peut, également, se limiter à six grammes par pièce. Quant aux alliances et aux solitaires, ils se vendent par pièce et non par gramme. Lois contraignantes, cachets falsifiés, invasion des intermédiaires... Malgré le recul notable, sinon la stagnation de l'activité commerciale à El birka, ce n'est point le pouvoir d'achat des Tunisiens qui est montré du doigt par les bijoutiers commerçants. Les problèmes de ce domaine semblent être plus récurrents et nécessitent une réforme globale allant de la libération de l'or à l'assainissement du secteur des intrus qui l'enveniment, en passant par la révision des textes de loi, l'annulation du cachet de l'Etat et le respect du prix mercurial de l'or, reconnu à l'échelle internationale. «Il est grand temps, pour le gouvernement, de prêter une oreille attentive aux maîtres de ce domaine, commerçants, artisans soient-ils, et industriels, afin de s'entendre sur les solutions salvatrices, susceptibles de résoudre, une bonne fois pour toutes, les problèmes du marché de l'or», insiste M. Ben Rejeb. Pour lui, comme pour Hamadi et M. A, la libération de l'or est impérative, dans la mesure où elle ouvrira la voie à une activité plus importante, fondée sur la relation de confiance entre le bijoutier artisan et le bijoutier commerçant. « Pourquoi ne pas prendre pour exemple l'expérience turque en la matière. La Turquie a, depuis des décennies, opté pour la libération de l'or. Aujourd'hui, elle est le deuxième pays exportateur à l'échelle mondiale», souligne M. A. En effet, une fois autorisé à acheter de l'or auprès des particuliers, le commerçant n'aura plus à alourdir ses dépenses par des TVA exorbitantes. Il n'aura également plus à livrer de grandes quantités d'or à un seul artisan et encourir ainsi le risque de voir son capital dérobé. «Le produit que concoit un petit artisan est nettement meilleur que celui que nous procurent les industriels. Par ailleurs, renchérit M. Ben Rejeb, pourquoi nous contraindre à acheter l'or brut aurpès de la Banque centrale, alors que nous pouvons l'avoir auprès des particuliers?». Du côté du client, la libération de l'or permettrait de baisser le coût des bijoux. Hamadi parie que le prix du gramme chuterait de pas moins de 10dt, ce qui encouragerait sûrement les clients à acheter des bijoux comme jadis. Par ailleurs, les commerçants recommandent à la suppression du cachet de l'Etat dont la crédibilité est mise en doute. Il faut dire que les commerçants sont unanimes sur le recours de certains à la falsification du cachet. « Le cachet de l'Etat se vend à l'étranger pour quelques euros. N'importe qui peut faire l'acquisition d'un cachet d'imitation. A quoi bon se soumettre donc à des règles qui n'ont pour finalité que d'alourdir les dépenses des commerçants, surtout que chaque pièce est automatiquement marquée par le cachet de l'artisan qui l'a conçue», s'exclame Hamadi. Une solution qui n'a pas bénéficié de l'approbation des artisans qui tiennent au cachet de l'Etat. Autre problème: l'implantation des intermédiaires qui procèdent à l'achat de l'or auprès des particuliers pour le vendre aux industriels. En effet, rien qu'en entrant au souk El birka, l'on est aussitôt harcelé par des chuchotements discrets répétant la même question : «Avez-vous de l'or à vendre?». Ce qui est curieux, c'est qu'une campagne de contrôle apparemment sans précédent a touché récemment le souk El birka pour vérifier l'activité d'une poignée de commerçants de carrière. Le phénomène des intermédiaires, lui, est passé inaperçu!