Au moment où l'on parle d'une possible prorogation de la «vie» de l'IVD pour une année supplémentaire, le chef de l'Etat a mis fin aux supputations et aux conjectures. Sauf retournement de situation, les dés sont d'ores et déjà jetés et le bail de l'IVD prendra fin le 31 mai 2018 Dans une interview accordée au journal français Le Monde, le président de la République Béji Caïd Essebsi a épinglé l'Instance vérité et dignité(IVD) qui, selon lui « n'a pas de quoi être fière de son rendement » parce qu'elle « n'a pas rempli son rôle de justice transitionnelle ». Ce faisant, il a comme scellé le sort de cette instance « légale » mais « pas constitutionnelle » puisqu'elle est appelée à partir « au terme de son délai fixé par la loi en 2018 ». Ce n'est pas la première fois que le chef de l'Etat adresse ses critiques à l'IVD, « aux pouvoirs quasiment absolus ». Dans l'interview publiée conjointement par « Assahafa Al Yaoum » et La Presse, début septembre dernier, Béji Caid Essebsi avait évoqué cette multitude d'instances qui « affaiblissent l'Etat et échappent à son contrôle ». L'Instance vérité et dignité, faut-il le rappeler, n'est pas une instance constitutionnelle. Créée au forceps par la loi organique du 24 décembre 2013, relative à la justice transitionnelle, peu avant l'adoption de la nouvelle Constitution, sa durée est limitée dans le temps puisqu'elle « est fixée à quatre (4) années, à compter de la date de nomination de ses membres, renouvelable une fois pour une année, et ce, par décision motivée de l'Instance qui sera soumise à la commission de l'ARP chargée de la législation, trois mois avant l'achèvement de son activité », comme le stipule l'article 18 de ladite loi. Elle a connu durant ces dernières années beaucoup de remous en son sein et se trouve décriée même par certains de ses membres. Elle a enregistré plusieurs démissions et plusieurs révocations et s'est engluée dans des conflits internes. Sa présidente Sihem Ben Sedrine a été au centre d'un feuilleton judiciaire l'ayant opposée à d'autres membres dont notamment son vice-président Zouhaïer Makhlouf. Révoqués mais réadmis par le Tribunal Administratif, ils n'ont pas été autorisés à reprendre leurs sièges au sein du conseil de l'IVD. Zouhaïer Makhlouf a fini par jeter l'éponge en annonçant, récemment, sa démission de l'instance qui, selon lui, « n'a pas rempli son rôle ni dans la justice transitionnelle ni dans le processus de la transition démocratique». Lilia Bouguila et Mustapha Baâzaoui ont connu le même sort que Mahklouf et ont été mis à l'écart sans ménagement. D'autres membres, en l'occurrence Oula Ben Nejma, Ibtihel Abdellatif, Slaheddine Rached et Ali Radhouane Ghrab ont dénoncé avec vigueur, au mois d'août dernier, « la prise de décisions unilatérales de la présidente, Sihem Ben Sedrine, qui a mis fin à la mission d'une juge rattachée à l'IVD ». La non-exécution des jugements a été critiquée par plusieurs députés au sein de l'ARP mais également par des magistrats comme Ahmed Souab qui a considéré cela comme« une des formes de la corruption », conformément au 2e article de la loi sur la dénonciation de la corruption et de protection des dénonciateurs, qualifiant cette situation de « violation de la loi, une humiliation du juge et du justiciable ». Une présidente « inquisitrice » ou « justicière » Pour revenir un peu en arrière, cette Instance, qui a été créée par l'Assemblée nationale constituante dominée par l'ancienne « Troïka », a été dotée de plusieurs prérogatives et d'un champ de compétences très large qu'aucune commission similaire dans le monde n'a pu avoir. La Constitution de janvier 2014 a, même, énoncé dans son chapitre X relatif aux dispositions transitoires, qu'«il n'est pas permis d'invoquer la non-rétroactivité des lois ou une amnistie préexistante ou l'autorité de la chose jugée ou la prescription d'un crime ou d'une peine » (article 148, point 9). Après l'élection des 15 membres de l'Instance, Sihem Ben Sedrine a été choisie par l'ancienne Troïka au pouvoir alors que, selon plusieurs spécialistes et observateurs, elle n'en pas le profil. Le président d'une Instance de cette importance doit, en principe, remplir des critères de « compétence, d'indépendance, de neutralité et d'impartialité », jouir d'une probité morale intacte et avoir, en plus, le profil d'homme ou de femme d'expérience en matière de justice, un ancien haut magistrat, par exemple. Or, Ben Sedrine, est en proie à plusieurs critiques puisqu'on lui reproche notamment sa haine viscérale contre les dignitaires de l'ancien régime, sa propension à jeter l'anathème sur ces« Azlems », et à condamner avant de juger. En plus de ne pas avoir la compétence requise dans un domaine, celui de la justice, qui lui est complètement étranger, de par sa formation, et bien qu'elle se targue d'avoir une certaine expérience en matière de justice transitionnelle, elle est perçue beaucoup plus comme «une inquisitrice » que comme « une justicière ». Et ce n'est pas tout. Car la présidente de l'IVD qui n'en démord pas, est accusée d'avoir été derrière la dissolution de l'ancien parti au pouvoir alors qu'elle allait juger ses responsables. Elle est désignée comme étant l'instigatrice de la « liquidation » de ce qui est appelée « la police politique », alors que ses membres pourraient être traduits devant « sa juridiction ». Elle est montrée du doigt quand il s'agit de « connivence et de collusion avec des puissances étrangères », le rapport de l'ancien « directeur de la reconstruction et de l'assistance humanitaire en Irak », Paul Bremer et la lettre de son ancien vice-président Zouhaïer Makhlouf, en donnent les preuves. Certes, elle a été parmi les premières personnalités à fustiger les écarts de l'ancien régime et la corruption des familles qui « pillaient la Tunisie» et elle en a payé le prix. Mais, malheureusement selon plusieurs observateurs, elle a dilapidé ce capital dont elle jouissait et même sa famille politique et ses anciens compagnons de route dans « le combat pour les libertés », l'ont désavouée. Son rapprochement avec la Troïka et surtout avec les sinistres « ligues de la protection de la révolution », ont fini par écorner fortement cette image qu'elle voulait se forger de « militante démocrate », et la discréditer aux yeux de l'opinion publique. Elle est confrontée à « une sourde hostilité de pans entiers de l'appareil d'Etat », comme l'écrivait le journal Le Monde dans sa livraison du vendredi 18 novembre 2016. Sa présidente Sihem Ben Sedrine, décrite comme « revancharde » est étiquetée proche du mouvement Ennahdha. « Dans un pays qui s'enorgueillit d'être l'exemple réussi du printemps arabe, la tâche de l'IVD devrait faire l'objet d'un consensus. Il n'en est rien », écrivait de son côté Libération. Le même journal ajoute que « nommée par l'Assemblée nationale constituante, dominée par Ennahdha, Sihem Ben sedrine est accusée de favoriser les dossiers des islamistes au détriment des autres opposants, issus notamment de la gauche. 70 % des dossiers instruits concernent des militants islamistes, admet-on à l'unité d'instruction qui s'occupe des homicides et des disparitions ». Sauf retournement de situation Au cours de l'examen du budget de l'IVD le 6 décembre dernier devant l'Assemblée des représentants du peuple, les députés se sont divisés entre « pourfendeurs » et « défenseurs » de l'Instance. Les premiers reprochent à l'instance de pratiquer « une justice à la carte » et d'avoir dressé les Tunisiens les uns contre les autres. Alors que les seconds affirment que l'IVD a fait un bon travail et elle doit continuer sa mission sans entraves et sans coups fourrés. Auparavant, des manifestants, rassemblés à l'appel d'associations actives dans le domaine de la justice transitionnelle ont scandé devant l'ARP des slogans hostiles à la présidente de l'IVD. Sous le slogan « IVD, qu'est devenu mon dossier? », les manifestants ont appelé le Parlement à l'application de l'article 70 de la loi sur la justice transitionnelle relatif à la création d'une commission parlementaire pour le suivi des travaux de l'instance en coordination avec les associations concernées. Quelle issue pour cette situation alambiquée ? Ben Sedrine ne veut en aucun cas lâcher prise et démissionner alors qu'elle sait être menacée de « destitution ». Les principes du jeu politique sont malléables et les « ennemis » d'hier sont devenus les alliés d'aujourd'hui. Un accord tacite pourrait intervenir entre les partis de la coalition pour la recomposition de la direction de l'IVD avec à sa tête un nouveau président consensuel. Mais au moment où l'on parle d'une possible prorogation de la « vie » de l'IVD pour une année supplémentaire, le chef de l'Etat a mis fin aux supputations et aux conjectures. Sauf retournement de situation, les dés sont d'ores et déjà jetés et le bail de l'IVD prendra fin le 31 mai 2018.