Pour la seconde fois consécutive depuis le mois de juin dernier, plusieurs associations de la société civile nationale et internationale se sont adressées lundi aux trois présidents pour leur exprimer leur inquiétude sur le projet de loi relatif à la création de l'instance de la communication audiovisuelle (ICA) Ce projet de 59 articles a été déposé la semaine passée à l'ARP et sera discuté les semaines à venir dans le cadre de la Commission des droits et libertés. Il a été élaboré par le ministère chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme. Les ONG signataires de la lettre treize en tout, parmi lesquelles figurent le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), l'Association Al Bawsala, l'Association tunisienne de défense des valeurs universitaires, l'Association vigilance pour la démocratie et l'Etat civique, le Centre de Tunis pour la liberté de la presse, la Fédération internationale des journalistes (FIJ), la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh) et Reporters sans frontières(RSF), ont condamné le projet. « Un texte en contradiction avec les acquis de la Constitution en matière de liberté d'expression et d'information ainsi que des standards des pays démocratiques relatifs à la régulation audiovisuelle », ont-elles insisté. Les organisations reprochent également au ministère chargé des Instances constitutionnelles, dirigé par Mehdi Ben Gharbia, de ne pas associer la société civile aux consultations à propos de la loi. «De quelle indépendance parle-t-on ?» «Ce projet réduit drastiquement les prérogatives de l'Instance de régulation audiovisuelle et limite son indépendance. Telle qu'elle est présentée, l'Instance de communication audiovisuelle sera démunie d'autonomie financière et souffrira d'insuffisances au niveau de la nomination et de la révocation de ses membres», déclare Hafidha Chekir, professeure de droit public. Ainsi une disposition nouvelle a été introduite par rapport au décret-loi 116 relatif à la Haica : le Parlement peut désormais révoquer des membres de l'ICA comme des autres instances constitutionnelles d'ailleurs. «De quelle indépendance de cette structure de régulation parle-t-on alors si elle est soumise à ce point au Parlement ?», s'interroge Hafidha Chekir. Parmi les critiques adressées au projet : l'absence de prérogatives de l'Instance en matière de destitution des P.-d.g. des médias publics audiovisuels. Ce qui pourrait ouvrir la voie à des limogeages d'ordre politique, s'inquiète-t-on du côté de la société civile. Selon Rachida Ennaïfer, professeure de droit constitutionnel et ancien membre de la Haica, une autre faille du projet consiste dans le fait qu'on ait retiré à la nouvelle instance ses prérogatives héritées de la Haica dans le contrôle des campagnes électorales. « Désormais c'est l'Isie, qui endosse ce rôle. Sachant que l'Isie n'a point de pouvoir de sanction à ce niveau », pointe-t-elle. D'autre part, et la lettre destinée à Béji Caïd Essebsi, Youssef Chahed et Mohamed Ennaceur du mois de juin dernier l'avait relevé, des incertitudes pèsent quant au pouvoir de sanctions de l'Instance. Ainsi le projet de loi prévoit que l'ICA repère les manquements commis par les établissements de communication audiovisuelle, reçoit les plaintes relatives à des manquements, et procède à des enquêtes, ces prérogatives relevant de la section de suivi et de la section des plaintes de l'organe administratif. «Le texte évoque à plusieurs reprises les ‘‘sanctions'' que peut infliger l'ICA. Cependant, à aucun moment, la nature de ces sanctions n'est précisée dans le texte. A la lumière des standards internationaux, les pouvoirs de sanction, la nature de ces sanctions, ainsi que de sérieuses garanties procédurales comprenant notamment une audience, l'obligation de motiver par écrit toute décision et la possibilité de faire appel doivent être clairement définis dans la loi», avait préconisé la lettre adressée aux trois président le 20 juin dernier.