Le bicentenaire de la naissance de Chopin est célébré à l'édition actuelle de l'Octobre musical de Carthage à travers deux concerts. Le premier a eu lieu à l'Acropolium avant-hier soir, le second sera présenté le 25 octobre prochain. Même lieu, même heure. C'est à l'Erato Trio, venu de Pologne, pays natal, pays tant aimé de Chopin, qu'est revenu l'honneur d'inaugurer ces soirées hommage à un musicien génial et toujours porté par un souffle romantique et passionné. Un pianiste hors-pair. N'a-t-il pas rénové le style du piano dans le domaine de l'harmonie et de l'ornementation ? Les trois musiciens, très jeunes, Grzegorz Skrobinski, au piano, Robert Dacko, au violoncelle, et Jakub Nowak, au violon, ont consacré la première partie du récital à Chopin et la seconde partie à Chostakovitch. Mais quelle idée de mêler ce compositeur russe, ayant vécu (1906-1975) et travaillé sous Staline dans la période d'effervescence du réalisme soviétique à une soirée spécial Chopin? Sachant surtout que ce dernier, patriote jusqu'au bout des ongles, a bien quitté la Pologne pour des raisons essentiellement politiques. Il ne pouvait plus accepter de subir la mainmise de la Russie sur son pays. Or, à fouiller un peu dans le passé de Dmitri Chostakovitch, on découvre que cet artiste appartenait à une famille au passé tumultueux. Son grand-père, lui-même fils d'un révolutionnaire polonais déporté en Russie, avait été exilé en Sibérie pour avoir été impliqué dans la tentative d'assassinat d'Alexandre II en 1866. Tout se tient alors… Les racines communes des deux musiciens redonnent une logique et une cohérence au concert d'avant-hier soir. Le trio a commencé par choisir un programme dominé par les mazurkas. Ces pièces courtes inspirées de danses à trois temps d'origine polonaise et que Chopin n'a pas arrêté d'écrire au cours de sa vie sont en fait très reliées à la Pologne et à son histoire. Chopin les composait presque comme on écrit un journal intime. Le trio a bien respecté le caractère chronologique des morceaux qu'il a joués. Ainsi que le caractère nuancé et délicat de leur interprétation. Avec la Polonaise en la majeur op.40 n°1, la plus vigoureuse, la plus passionnée et la plus connue dans cette thématique qui chante encore plus fort l'attachement de Chopin pour son pays, le trio clôture la première partie de son concert. Nous revient alors en mémoire ce que disait le musicologue français Jean-Jacques Velley à propos des programmes consacrés à Chopin : «Un récital d'œuvres de Chopin se présente toujours comme la carte variée d'un restaurant gastronomique où les meilleures saveurs peuvent s'accorder les unes aux autres et s'enrichir mutuellement. On y trouve toujours quelque chose à son goût et il en résulte une satisfaction de fin gourmet». Le passage de Chopin à Chostakovitch se fait sans heurt. Avec une infinie douceur. Car même si les deux hommes ont vécu dans deux siècles différents, leur musique est imprégnée d'un même classicisme aux relents romantiques pour le premier et plutôt tragique et coloré d'une note orientale pour le second. Ce qui lui a d'ailleurs valu les remontrances du régime stalinien avec lequel il a dû faire beaucoup de concessions afin de pouvoir créer et jouer sa musique. Pour le bonheur du public, le trio met toute sa fougue dans le dernier morceau de Chostakovitch, un allegretto, entrecoupé de silences et de respirations qui font presque chanter les instruments des jeunes musiciens dont le talent, gageons-le, ira en se confirmant avec le temps et la… passion.