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« Il n'y avait pas de tourisme chez nous mais plutôt de l'hôtellerie »
Entretien avec Habib Saidi :
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 12 - 2017

Spécialiste du théâtre à l'origine, Habib Saidi s'est essayé au journalisme dans les années 90. Il est aujourd'hui professeur d'ethnologie et de muséologie à l'université Laval au Canada, où il dirige l'Institut du patrimoine culturel. Habib Saidi vient de publier un ouvrage fort intéressant, « Identité de façade et zone d'ombre. Tourisme, patrimoine et politique en Tunisie » (Editions Petra, juin 2017). Le chercheur y aborde le thème du tourisme sous l'angle du rapport à l'autre et à soi depuis la période post-coloniale jusqu'à celle post-révolutionnaire. Rencontre avec l'auteur
Professeur d'art dramatique à l'origine à Tunis, vous focalisez vos recherches depuis près de vingt ans maintenant au Canada sur le binôme tourisme-patrimoine. Qu'est-ce qui a déclenché cette mue ?
C'est vrai que ma destination scientifique devait être différente, mais la vie est faite d'étapes. Avec le temps, mes intérêts ont évolué vers la compréhension de la société en entier et pas seulement le décryptage de ses expressions artistiques. Mon passage par l'Egypte où j'ai poursuivi des études en gestion du patrimoine culturel dans une université francophone, à savoir l'Université Senghor d'Alexandrie, m'a poussé à travailler sur le binôme tourisme-patrimoine. D'ailleurs, je considère le tourisme comme une mise en scène de la culture, du territoire et de la société. C'est un dispositif scénique par excellence tout comme les musées, qui font partie de mes thématiques de recherche. Un ouvrage que j'ai découvert par hasard il y a plusieurs années à Tunis, à la bibliothèque du Centre culturel français, a été comme une révélation pour moi : « La mise en scène de la vie quotidienne », du sociologue Erving Goffman. Il m'a fait comprendre que le théâtre évoluait également en dehors de l'espace théâtral. C'est en fait ce que je cherchais. D'autres sources m'ont aidé à construire ma réflexion, tels les travaux de Dean MacCannell, le fondateur des études sur le tourisme dans le monde, ou encore les travaux de Mondher Kilani.
Vous adoptez une démarche d'anthropologue dans ce livre. Que peut apporter cette discipline dans la compréhension du phénomène touristique en Tunisie ?
L'anthropologie consiste à étudier l'altérité et le tourisme représente également un regard porté sur l'autre. D'ailleurs, on a l'habitude de faire des parallèles, des comparaisons et des rapprochements entre le regard touristique et la démarche anthropologique. Puisque l'anthropologue explore d'autres cultures que la sienne et le touriste est attiré également par un autre pays que celui auquel il appartient. Dans les deux cas, cet intérêt porté à l'autre est un détour pour se comprendre soi-même. Sans le regard touristique, le patrimoine par exemple n'aura pas cette valeur que nous lui portons.
A l'époque post-Indépendance du régime de Bourguiba, le tourisme a-t-il servi uniquement à fructifier les ressources en devises du pays ?
-Certes l'urgence était économique en ces années d'édification des hôtels au cours des années 60. Mais comme tout choix politique s'inscrit dans un contexte, celui de l'époque se voulait, selon le désir de Bourguiba et de l'élite, moderniste qui l'entourait, de réconciliation avec l'autre, cet Occidental, contre qui le mouvement national s'était pourtant opposé quelques années auparavant. La politique de l'ouverture à l'Occident (Siyassatoual-Infitah), était prônée en tant que valeur suprême et voie pour la modernisation du pays. On voulait inscrire la Tunisie beaucoup plus dans cet espace géopolitique que dans celui arabo-africain. Sur les cartes géographiques destinées à la promotion touristique, cette volonté de proximité est très claire : par les couleurs et le motif, on représentait la Tunisie comme pratiquement accrochée à l'Italie. Pour paraphraser Michael Herzfeld, on peut dire que l'Etat, par l'intermédiaire du discours de son chef de cette nouvelle époque, a fait du tourisme le lieu de développement d'une intimité culturelle avec ses anciens « ennemis intimes ».
Etait-ce facile pour les Tunisiens de l'époque d'accepter cet ancien colon devenu touriste qui revient en consommateur de leur territoire ?
Non, d'ailleurs plusieurs régions se sont opposées, par conservatisme et pour des raisons religieuses, à l'implantation sur leurs territoires d'infrastructures touristiques, comme à Ghar El Melh et à Rafraf. Les gens n'étaient pas préparés à ce retour du «gaouri», du colon, qui a confisqué auparavant la terre et menace aujourd'hui la morale par ses mœurs libérales, alcool et «nudité», de leur point de vue bien sûr. On le sait, le tourisme est un moteur de changement pour le meilleur et pour le pire. Par contre, les populations des zones rurales, notamment les jeunes, étaient attirés par le tourisme. Ils voyaient bien que ce facteur a façonné les cités touristiques et permis la mise en place de nouvelles infrastructures routières, les raccordant à l'électricité et à l'eau potable. Résultat : des zones entières ont été au fil des années quasiment vidées de leurs jeunes sous l'impact de l'exode rural. Pour récapituler, l'on peut dire que le tourisme a constitué un agent de déstabilisation de l'ordre social et culturel à plus d'un égard. En premier lieu, il a contribué à l'aggravation de la disparité régionale et à la division du territoire entre l'arrière-pays et les régions côtières.
Vous parlez de « façadisme » en évoquant le tourisme tunisien dans votre livre. Comment expliqueriez-vous ce concept ?
C'est plutôt une image qui, en fait, illustre une réalité marquée en grande partie par l'implantation des complexes hôteliers sous forme d'une grande façade le long des côtes, mais surtout par la culture qui en a découlé et qui consiste à célébrer les façades et les vitrines comme moyen de dissimulation des difficultés économiques et des disparités régionales, que ce soit du temps de Bourguiba, de Ben Ali ou même de nos jours. Quand on regarde la Tunisie d'une façon globale, on se rend compte que les villes les plus séduisantes aux yeux des Tunisiens et des touristes se trouvent sur le littoral. Le pays présente donc une façade pas totalement complète puisque seules 10 % des côtes abritent plus de 90% des infrastructures touristiques. Ce qui a renforcé cette image — je le raconte dans mon livre — se traduit par ce discours de Bourguiba où il demande aux jeunes de « regarder vers le balcon d'en face », à savoir vers l'Europe. En fait, par le modèle choisi pour le pays, à tort ou à raison,Bourguiba a cherché à transformer toute la Tunisie en un « balcon d'en face ». Mais ce modèle de développement a échoué sinon la Révolution n'aurait pas eu lieu.
Justement, le tourisme a-t-il renforcé les disparités entre « la Tunisie de la mer » et « la Tunisie de la terre », provoquant ainsi quelque part l'avènement de la Révolution ?
En effet et même dans la bouche des professionnels du secteur que j'ai interviewés, on trouve en quelque sorte normal que le développement touristique s'étale uniquement sur les côtes : « le tourisme c'est sur la mer », ou encore « regarde l'Italie ou la France qui connaissent une disparité entre le Nord et le Sud, ou l'Espagne avec son tourisme balnéaire», me rétorquait-on. Le modèle balnéaire continue par ailleurs à dominer dans le monde. Le problème n'est pas là. L'erreur a été d'articuler toute l'économie autour du tourisme balnéaire. Du coup, un industriel local ou étranger qui inaugure une usine va choisir de s'implanter dans une zone touristique qui lui offre tous les services nécessaires. On aurait dû à la fois couvrir toute la Tunisie d'infrastructures de base susceptibles d'attirer les investisseurs et diversifier l'offre touristique dans les régions intérieures. Car à l'opposé des zones bonifiées par le tourisme, c'est au compte-gouttes que les autres régions ont tiré profit de la politique modernisatrice de l'Etat postcolonial, et plus spécifiquement de ses investissements touristiques.
La Révolution a-t-elle privilégié la naissance d'une autre offre touristique ?
En fait, une grande part de ce qui s'est produit depuis la Révolution n'a pu donner lieu qu'à ce qu'on peut appeler du « non-tourisme », c'est-à-dire des conditions défavorables à la continuation de l'activité touristique, et ce en dépit de la sympathie et de la solidarité internationales suscitée par la Révolution, notamment dans les premiers mois de 2011, ce qui, hélas, n'a pas été exploité par les Tunisiens. Bref, on le sait maintenant, les changements post-14 Janvier ont malheureusement entrainé les problèmes sécuritaires, environnementaux et de laxisme administratif, qui font que les touristes se détournent de cette destination. Le touriste est un être humain comme les autres : lequel de nous accepte d'être menacé dans sa sécurité et son hygiène ou de subir des retards exagérés au moment de son arrivée ou de son départ ? Il vient pour se déconnecter et se reposer et le voilà qui vit des moments de frustration. On ne peut pas relancer le secteur dans ces conditions. Pourtant, sans les ressources financières du tourisme, la Tunisie ne peut pas assumer sa transition démocratique. Mais pour rester optimiste, il y a certes de petites innovations, voire des indices prometteurs dans ce domaine puisqu'avec des produits comme les maisons d'hôtes, on est sorti du carcan hôtelier très dépensier et rentable surtout pour une petite catégorie de personnes, dont l'hôtelier en premier lieu. Je persiste à croire qu'il n'y avait pas de tourisme chez nous mais plutôt de l'hôtellerie. Autre constat : les clients ont changé et les hôtels s'ouvrent aux Tunisiens et accueillent des Algériens et des Libyens. Le regard porté vers l'intérieur du pays se développe bien, ce qui peut créer une dynamique valorisante, homogène et cohérente par rapport à la situation locale, notamment par le développement des produits du terroir et l'implication des communautés dans la prise en charge du patrimoine dans toutes ses facettes.
Vous évoquez souvent l'exemple de l'Espagne en parlant de tourisme. La Tunisie s'est beaucoup inspirée de ce modèle en se lançant dans le balnéaire à l'orée des années 60...
Oui l'exemple de l'Espagne est très édifiant. On sait aujourd'hui que ce pays n'aurait pas pu échapper à la crise de 2008 sans le tourisme. D'ailleurs, la crise du secteur en Tunisie, au Maroc et en Turquie a profité à la péninsule ibérique, devenue à travers l'Andalousie une destination quasi orientale. Or, contrairement à l'Espagne, en Tunisie, nous avons développé le tourisme sans la culture touristique qui, en passant, est différente du tourisme culturel. Voilà entre autres pourquoi le secteur ne marche pas aussi bien que nous le souhaitons. La culture touristique va de l'hospitalité à l'hygiène, à la propreté, à la discipline, à la ponctualité et au respect de l'autre. Ainsi en Espagne, tout est bien organisé pour qu'un visiteur allant à la découverte d'une petite ville ou d'un village trouve toutes sortes d'informations sur Internet : les horaires des trains et des bus, les numéros à appeler en cas de problème et d'autres services encore...Sans ces moyens, on ne peut pas vraiment développer le tourisme. J'évoque le modèle espagnol parce qu'à mon avis, la Tunisie peut continuer à s'en inspirer, notamment pour diversifier son produit et développer un tourisme de niches, un tourisme communautaire qui profite aux petits agriculteurs, aux restaurateurs, aux artisans et à tous les habitants.


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