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« La Tunisie pourrait passer d'un tourisme de masse à un tourisme à haute valeur ajoutée comme celui du tourisme culturel » Evelyne Lehalle, directrice de Nouveau Tourisme Culturel
Evelyne Lehalle, docteur en histoire, est membre de l'ICOM, International council of museums. Elle dirige actuellement l'entreprise NTC, Nouveau Tourisme Culturel. Déléguée pour la culture à l'Agence nationale du tourisme (ATOUT France), elle a dirigé plusieurs départements au ministère de la Culture et de la Communication, à la Drac d'Ile-de-France et au Musée d'Orsay. Evelyne a bien voulu se confier à notre journal Le Temps : Pensez-vous que le tourisme culturel soit un excellent levier de développement régional et de création d'emplois? Evelyne Lehalle : Oui, dans la mesure ou le tourisme culturel peut être pratiqué sur l'ensemble d'un territoire, par les« fans de culture » dont ce sera la seule activité, mais aussi par l'ensemble des touristes, en complément d'autres activités comme celles du tourisme balnéaire ou rural, de randonnée de tourisme sportif ou d'affaires, etc…La valorisation des sites culturels est source de retombées économiques très importantes. En 2011 le seul Patrimoine, en France, a généré 15 milliards de retombées économiques sur le territoire, d'après les études du ministère des Finances et de celui de la Culture. Car le tourisme culturel y fut pratiqué par 36% des touristes et 10% des excursionnistes qui ont visité notre pays. La part du tourisme dans le PIB, le nombre croissant d'emplois liés au secteur et les investissements nécessaires (Infrastructures, Hébergement, restauration) augmentent régulièrement dans le monde et le tourisme international est l'un des secteurs de l'économie qui a le mieux résisté à la crise(1).Sans doute grâce à cette croissance continue du tourisme international (+4%de touristes chaque année dans le monde !) et a son caractère éminemment « durable et non délocalisable »,le tourisme culturel a enregistré, en conséquence, une croissance de la fréquentation des sites et des évènements en Europe ces 5 dernières années. Rappelons que la part du tourisme dans le PIB mondial est de 5% et pour certains pays émergents ou avec peu d'activités industrielles, les recettes du tourisme peuvent représenter entre 20 et 40% de leur PIB.L'emploi touristique est estimé à 250 millions de personnes, soit 6 à 7% de l'emploi dans le monde, travaillant directement dans le secteur du tourisme, ou dans des activités proches ou nécessaires au développement touristique. A l'inverse du faible niveau de qualification initial nécessaire dans certaines branches du tourisme ( faiblesse qui favorise cependant l'insertion des jeunes et constitue une véritable porte d'entrée vers une qualification et une progression professionnelle), les emplois spécifiques du Tourisme culturel sont souvent de bon ou de haut niveau (Musées, Monuments, Gestionnaires, Conférenciers, accompagnateurs de voyage ou acteurs du monde numérique aujourd'hui). Tourisme et Culture sont-ils de bons alliés? Leurs rôles sont complémentaires : la Culture propose et valorise l'offre culturelle, le Tourisme informe, accueille, loge et transporte les visiteurs! Il est vrai que la Culture a toujours des difficultés à répondre aux « demandes » des visiteurs, qui forment pour elle un « public le plus large possible »indifférencié. Mais le Tourisme pallie cette relative indifférence grâce au marketing, et sait cibler, pour telle ou telle catégorie de clientèles, une offre qui correspondra le mieux à son profil. L'opposition du secteur marchand du tourisme / secteur désintéressé de la culture, tend à diminuer : les élus demandent aujourd'hui aux sites culturels de s'appuyer sur les compétences du tourisme pour améliorer la fréquentation Qu'est ce qui a motivé les professionnels à proposer ce type de tourisme ? La demande! Le tourisme culturel est l'une des premières formes de tourisme, au XVIIIéme et au XXème siècles, réservée à une élite aristocratique d'anglais, d'allemands et de français qui faisaient le Grand Tour pour s'instruire et établir un soft power diplomatique. L'industrie touristique, dès lors que les infrastructures l'ont permis, devait aussi« proposer des activités » et a profité des grands sites du patrimoine, des pèlerinages ou des évènements commémoratifs. Le tourisme de masse, vers 1950 a généralisé le tourisme « culturel » comme approche d'un pays, de son histoire, de son art de vivre. Cette forme de tourisme lui permet aussi de « dessaisonnaliser » son activité, car le tourisme culturel est pérenne et peut être pratiqué tout au long de l'année Quelle est la clientèle cible de ce tourisme? Une clientèle plus éduquée que la moyenne, aux diplômes plus élevés que la moyenne, aux revenus supérieurs à ceux de la moyenne : tel est le portrait des assidus de culture. Comme ils ne sont pas très nombreux (5% des touristes européens) l'effort de démocratisation a porté ses fruits : la Culture est aussi le passe-temps favori des Jeunes ( musique ; expérience du voyage par des découvertes d'autres pays ; rencontres festives ou « entre jeunes »partageant des goûts communs. Les comités d'entreprises, en Europe, mais aussi les personnes âgées, le tourisme social sont très avides de séjours culturels, qu'ils achètent sur catalogues. Enfin aujourd'hui on associe plusieurs produits : Shopping et Culture ; Tourisme de Nature et de Culture , afin de créer une destination. Les courts-séjours sont une tendance forte, dont « Le jeune couple aux revenus élevés » ou les« Familles en week-end » sont la cible, et le Tourisme culturel n'y échappe pas ! Peut-on parler d'un « nouveau touriste»? Oui, car trois mutations ont profondément changé la donne, qui impactent fortement les stratégies touristiques : 1-celle de nouvelles clientèles, venues des 27 pays émergents, dont les BRIC Brésil, Russie, Inde et Chine. Les classes moyennes de ces pays croissent chaque année de façon vertigineuse, et elles prennent le relais de clientèles européennes vieillissantes. 2-Ensuite les comportements des touristes ont profondément changé : plus experts, plus exigeants ils attendent une personnalisation de l'offre, se détournent du tourisme de masse, partent plus souvent et moins longtemps. Très sensibles au développement durable, ils sont le moteur de croissance du Tourisme écologiquement correct, voir éthiquement correct. 3-Enfin les nouvelles technologies ont bouleversé les habitudes : la décision se prend sur Internet (Information ; comparaison ; avis des voyageurs…), les réservations sur les smartphones et le e-commerce remplacent peu à peu les sites traditionnels (agences, offices de tourisme), voire les métiers (T.O, agent de voyage…). Le Touriste, en mobilité, interconnecté en permanence, profite à plein de ces nouveaux usages avant, pendant et après son séjour. Peut-on évaluer le marché potentiel du tourisme culturel en Tunisie ? Bien sûr! Une carte de la Tunisie Culturelle et touristiquement aménagée suffit à évaluer le potentiel, qui est énorme, avec toutes les infrastructures existantes, les sites culturels existants - dont bon nombre peuvent être revalorisés- ainsi que la qualification professionnelle en font l'un des pays du monde les plus attractifs! La Tunisie pourrait passer, si ses stratégies touristiques en décidaient, d'un tourisme de masse à un tourisme à haute valeur ajoutée comme celui du tourisme culturel. Quels sont les problèmes qui entravent ce secteur? La conjoncture (économique, politique) est difficile pour un secteur, le Tourisme, qui a besoin de stabilité, de sécurité, d'investissements permanents. Le poids institutionnel est aussi un frein à l'innovation, car il est difficile de faire son deuil de recettes qui ont si bien réussi, même si aujourd'hui elles ne correspondent plus à la demande des visiteurs, très diversifiée. Enfin, pour les pays« pionniers » du tourisme et qui en ont tiré leur ressource principale, la lenteur des décisions est aussi un frein, dans la mesure où la concurrence est devenue féroce – les pays émergents sont aussi en train de mettre en place leur propre tourisme intérieur. Est-ce un produit bien commercialisé ? Par son antériorité sur la plupart des activités du tourisme, par la compétence des professionnels qui se sont aguerris sur le thème, le tourisme culturel n'a aucun problème de commercialisation. En France mais aussi à Londres, en Corée, en Allemagne, en Espagne ou au Maroc, plus de 70% des touristes étrangers interrogés ont déclaré avoir été séduits par l'image culturelle de ces pays et leur art de vivre ! Par contre l'évolution de la commercialisation numérique (e-commerce en ligne, du catalogue au paiement..) est la condition du succès dans un avenir très proche Pour sauver la destination Tunisie, peut-on recommander aux professionnels tunisiens de penser à des projets de tourisme culturel ? Je pense que les professionnels seraient intéressés par cette forme de tourisme moins agressive que d'autres et qui permet aux habitants d'en devenir des ambassadeurs actifs. Je crois beaucoup à l'utilisation de compétences locales, et la ressource en Tunisie est inépuisable, tandis que la Grande et longue histoire de la Tunisie pourrait être mise en tourisme, au-delà des seuls sites antiques qui ne représentent pas toute la grande diversité de l'Histoire et des paysages de la Tunisie. Certes il faut établir une stratégie, faire des choix, prioriser les objectifs pour : valoriser les sites existants, poursuivre l'amélioration des grands sites (Unesco), rouvrir des sites culturels fermés, développer un évènementiel de qualité ; tout cela, les professionnels tunisiens savent le faire !D'autres pistes existent, comme un tourisme très haut de gamme qui reste à inventer, mais dont les prémices sont bel et bien là (CF.le Dar HI de Nefta !).Ou encore initier, pour les jeunes touristes, le Tourisme créatif, qui avec un artisanat de grande qualité ou des pratiques culturelles (Photos, peinture, film, musique, etc…) permet aux touristes, pendant leur séjour, de ne plus bronzer idiots » ! A la fois visite, séjour, activité et rencontre avec les artisans ou artistes locaux, cette toute nouvelle forme de tourisme participatif, née en Angleterre, aux USA et en Espagne voici 10 ans, serait aussi très adaptée à la Tunisie, car elle donne du sens au séjour. Tourisme de niche ? vont dire les gros opérateurs de l'industrie touristique côtière…Certes, mais une dizaine de niche explorées sur le territoire chaque année, cela ne finirait-il pas par faire « masse » ?