Saïda Ounissi est secrétaire d'Etat à la Formation et à l'Entrepreneuriat au ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi depuis le 29 août 2016. Elle nous fait le bilan de la première phase de la campagne « Innajim » (Je peux) durant l'année écoulée. Et nous donne un aperçu sur la deuxième phase de ce programme dont le lancement se fera au cours de la semaine prochaine. En ce qui concerne la première phase de la campagne de communication pour l'entrepreneuriat « Innajim », le ministère a-t-il atteint ses objectifs qui visent notamment à drainer les jeunes et les encourager à lancer leurs propres projets ? «Innajim» est une campagne de communication publique qui a pour objectif de promouvoir la culture entrepreneuriale et de faire connaître les services publics qui existent, aujourd'hui, en matière d'accompagnement, de formation et de financement de l'entrepreneuriat en Tunisie. Cette campagne est partie du constat que, d'une part, l'Etat dispose d'importants dispositifs établis pour encourager l'entrepreneuriat. Il a fait le choix de la politique publique entrepreneuriale. Toutefois, nous avons constaté que les jeunes et plus généralement l'opinion publique n'ont pas eu vent de cette armada de mécanismes. D'autre part, la variété des parties prenantes intervenant dans le montage d'un projet ainsi que la bureaucratie administrative compliquent l'accès à l'information, du moment où il n'y a pas un seul vis-à-vis. D'où la nécessité de lancer cette campagne d'information, de sensibilisation et de dialogue. D'ailleurs, nous avons réussi, dans les régions visitées, lors de la première phase de la campagne, à assurer une coordination entre les divers services et institutions via un seul vis-à-vis au niveau central. On s'est déplacé dans 6 gouvernorats, à savoir Mahdia, Sidi Bouzid, Kasserine, Bizerte, Jendouba et Tataouine. Plusieurs rencontres ont été tenues avec les jeunes dans les universités et les facultés se trouvant dans ces gouvernorats. Le choix de ces gouvernorats était essentiellement basé sur le critère des indicateurs de développement qui sont très faibles dans ces régions. Et par conséquent, ils représentent un potentiel d'investissement élevé. L'évaluation de la campagne, en termes d'efficacité et d'efficience, est en cours. Les résultats seront publiés prochainement par l'Observatoire national de l'emploi et des qualifications. Mais nous sommes satisfaits des résultats escomptés. Premièrement, grâce à l'important nombre des jeunes qui ont adhéré à cette campagne et qui ont manifesté leur intérêt. Une page Facebook a été également créée sous le nom «Innajim», qui a pu drainer plus de 180 mille abonnés. Elle a pour but de mettre à leur disposition l'information d'une façon instantanée, mais surtout elle sert de plateforme de communication en temps réel pour tous types de renseignements. Il y a toute une équipe de «community manager» qui est chargée de répondre à toutes les questions que les jeunes se posent. C'est une façon de se renseigner pour les jeunes souhaitant entreprendre. C'est un service efficace, vu la rapidité des informations fournies. Selon les données dont dispose le ministère, pensez-vous que la culture de l'entrepreneuriat commence à s'ancrer dans les mentalités notamment des jeunes, en dépit du contexte social tendu et de l'environnement économique exsangue. Oui. Concrètement, si l'on considère le nombre important des jeunes qui se sont rués vers les amphis à Sidi Bouzid, par exemple. Aussi, en observant l'excellent résultat des success stories qui ont été enregistrées dans la région même, on constate un certain engouement de la jeunesse pour l'entrepreneuriat. Quant à la question du contexte socioéconomique, il est notoire que la fonction publique ne représente plus un secteur d'employabilité. Et monter son propre projet s'avère, parfois, la seule possibilité d'emploi pour les jeunes, notamment dans les régions où l'investissement du secteur privé est très faible. C'est-à-dire lorsque vous êtes à Kasserine ou à Béja, lancer son propre projet que ce soit dans le secteur agricole ou dans la mécanique ou encore dans l'agroalimentaire permettrait d'assurer un revenu mensuel et créer des postes d'emploi. Cela est vrai, d'un point de vue théorique. Mais sur le plan pratique, le jeune entrepreneur ne se trouve-t-il pas à un certain moment découragé pour réaliser son projet à cause de la non-faisabilité ou encore à cause des maintes difficultés rencontrées. Quand on a mis en place la stratégie nationale de l'entrepreneuriat qui a six axes stratégiques, on est parti de ce constat-là. Il y a un cadre réglementaire qui n'est pas adapté, une administration qui n'est pas en phase avec les demandeurs de services, un système de financement où l'accès à la garantie est difficile, un manque de coordination entre les diverses administrations concernées et un finalement à mettre à la disposition des jeunes promoteurs entrepreneurs. D'où la nécessité d'avoir une équipe capable d'interagir avec eux, qui les guide et sert de source de renseignements. Ainsi, nous avons établi un plan d'action qui s'étale sur 3 ans, de 2017 à 2020, basé essentiellement sur des réformes juridiques. Actuellement, nous travaillons sur trois projets de loi, à savoir le projet de loi portant sur les start-up technologiques préparé en collaboration avec le ministère de la technologie, qui est déposé au parlement. En outre, un cadre juridique nouveau pour la mise en place de l'économie sociale et solidaire est en cours d'élaboration et le projet de loi y afférent sera déposé à la fin de ce mois à l'Assemblée des représentants du peuple. Un autre projet de loi lié au statut de «l'autoentrepreneur» est également en cours de préparation. Jusque-là, ce statut n'existe pas en Tunisie. Ces trois projets de loi permettront de remédier aux difficultés rencontrées lors du lancement d'un nouveau projet. Egalement, nous sommes en train de mettre en place un fonds de financement public-privé, pour le financement des projets technologiques, et ce, en collaboration avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le ministère des nouvelles technologies et des partenaires étrangers. Un programme d'accompagnement spécifique à l'entrepreneur qui vise à réduire la mortalité des micro et petites entreprises est également en cours d'élaboration. Justement, concernant la mortalité de ces jeunes entreprises, quel est le taux de survie des jeunes entreprises fraîchement lancées ? Sur un an, le taux de mortalité est de 80%. Sur trois ans, ce qui est aux alentours de 30%. Nous voulons baisser à 20% d'ici 2020. Ce serait possible grâce à un accompagnement qui a comme principal rôle de débloquer les jeunes entrepreneurs en cas de difficultés en instaurant, par exemple, un nouveau planning de paiement. Donc, nous devons, en tant qu'accompagnateur, mener ces petites et moyennes entreprises à la réussite et les aider à s'imposer dans le marché. Concernant la campagne « Innajim », réussie pour sa première phase, comment le ministère compte-t-il développer sa deuxième phase ? Durant la première phase de la campagne, nous avons constaté qu'il y a une catégorie d'entrepreneurs qui était très active et qui avait besoin d'un soutien particulier. C'était la catégorie des femmes entrepreneures. Aussi, nous avons remarqué que les femmes entrepreneures rencontrent plus de difficultés — lors de l'octroi des prêts, lors des consultations, etc. — pour des raisons sociales. De surcroît, il est notoire que la catégorie des femmes diplômées du supérieur est la catégorie la plus touchée par le chômage. Donc, il a fallu qu'il y ait une politique économique et sociale pour lutter contre cette discrimination. Nous nous sommes focalisés sur les success stories féminines. Et nous avons découvert que les femmes affichent un engagement inégalé lors de la réalisation des projets. De surcroît, nous avons constaté que la femme est un agent économique qui bénéficie à toute sa communauté. Une femme qui travaille est une femme qui se consacre, financièrement, à sa famille. N'oublions pas qu'elles sont également des employées compétentes. Suite à un sondage réalisé par Focus Groupe, nous avons eu plusieurs constats. Tout d'abord, les femmes trouvent énormément de difficultés à faire accepter à leur entourage qu'elles sont indépendantes financièrement et qu'elles lancent leur propre projet. Elles ont du mal, de même, à convaincre les institutions financières (à l'exception de la Banque tunisienne de solidarité (BTS) qui a montré dans son rapport 2017 qu'il y a une parité égale lors du financement des projets). Aussi, elles sont généralement dénigrées du point de vue accompagnement, à cause de leur statut social en tant que mères ayant des responsabilités familiales. Et de là vient la nécessité de remédier à toutes ces difficultés et de promouvoir l'entrepreneuriat féminin. Donc, la deuxième phase de la campagne « Innajim » sera focalisée sur l'entrepreneuriat féminin. C'est une campagne de communication et de sensibilisation dont le support sera les médias ordinaires mais surtout les réseaux sociaux. Nous allons également visiter six autres gouvernorats pour le lancement de la campagne. Notre objectif, c'est que, d'ici fin 2019, on aura fait le tour des 24 gouvernorats et couvert tout le territoire.