Séculaires, plusieurs maisons sont chargées d'histoire et gardent les échos du passé. Les maisons, le savez-vous, ne sont pas innocentes. On les croit bâties de mortier et de ciment, de pierre et de bois, de marbres et de chaux. On croit que leur seul langage est celui des proportions, des façades, ou du rythme des arcades. C'est vrai, certes, mais elles n'ont pas pour seule fonction d'être un abri, un foyer. Les maisons ont, aussi, pour rôle et pour mission, de recueillir une mémoire, d'accumuler des strates de vies passées, et pour ceux qui savent se mettre à l'écoute, de raconter une histoire. La maison aux esprits Elle se trouve au fond d'une ruelle blanche, au cœur d'un quartier jadis réservé à la galanterie. Au milieu de la rue du Persan, immortalisée par tous les peintres de l'époque, sitôt passé le « sabbat el ajam », tout de suite à gauche au fond de l'impasse du même nom, se trouve Sidi Ali Lasmar, une des quatorze confréries de Stambéli qui ont préféré rester à Tunis après l'abolition de l'esclavage. Dans le quartier, on l'appelle « dar el ouesfane », mais pour la première fois depuis des siècles, c'est un blanc qui officie au culte de Sidi Bilal, l'esclave abyssin affranchi par le prophète et son premier muezzin. Ryadh Zawech se bat comme un beau diable pour conserver et entretenir cette zaouia, une des dernières de la confrérie. Pour lui permettre de perdurer, il organise des spectacles, en Tunisie et à l'étranger, où, ce que l'on peut appeler sa troupe se forge une belle réputation. Mais c'est dans le patio éclatant de blancheur de Sidi Ali Lasmar qu'ont lieu les vraies cérémonies de Stambeli le vendredi ou à certaines dates consacrées. Là, certains soirs, dans une chaleureuse convivialité, dans une débauche de couleurs et de senteurs, le gombri raconte la longue route des marchands d'esclaves, les chkacheks rythment le pas des caravanes, et les danses invoquent les génies des lieux leur demandant d'exorciser un mal-être ou d'exaucer souhaits et désirs. Quand, enfin, se taisent les battements de notre africanité oubliée, Ryadh Zawech peut vous inviter à entrer dans le saint des saints, «beyt jnouns». Là, sont réunis tous les attributs des génies des lieux, avec leurs symboles et leurs caractéristiques, derniers vestiges de panthéons oubliés qui ont su se fondre dans un islam ouvert. La maison du livre Dar El Bennani, elle aussi, a un esprit dans ses placards. Celui-ci serait tombé au fond d'un puits, et depuis aurait pour seule obligation d'être asservi aux habitants des lieux. Peut-être est-ce lui qui aurait accueilli Mohamed Bennani quand il hérita de cette demeure familiale magnifiquement située sur un des grands axes de la médina, et qui lui souffla cette idée folle à l'époque, d'en faire une maison dédiée aux livres. Bien sûr, il fallut la restaurer, ce qui ne fut pas une mince affaire, mais rien n'était trop beau pour l'écrin que voulait offrir à sa passion ce fou du livre et de l'écrit. Mohamed Bennani collectionne depuis toujours tout ce qui a été écrit sur la Tunisie, en Tunisie, ou par des Tunisiens. Mais aussi tout ce qui a été photographié, dessiné, gravé. Généreux, il met à la disposition des chercheurs, étudiants, curieux, écrivains, historiens, un fonds dont il connaît le moindre mot, et où il est capable de vous trouver la référence la plus secrète. Le livre, bien sûr, crée des liens, des échanges, des partages. Une communauté de passionnés s'est formée autour de Dar el Bennani, et le maître des lieux a pris l'habitude d'offrir un couscous, porte ouverte un jour de la semaine, dans le patio s'il fait beau, au cœur de la grande salle de lecture, par temps couvert. La maison de Charles Quint Elle se dresse au sommet de la colline de la Kasbah, discrète et élégante, mystérieuse de rumeurs et de légendes. Là, dit-on, mais que ne dit-on pas ? Là s'élevait un ancien palais hafside. Là, également, dit toujours la légende, débutait le chemin des dames, le fameux chemin couvert qui aurait conduit les dames de la cour jusqu'aux jardins de Ras Tabia. Là, également, se trouveraient les citernes hafsides communiquant avec un réseau de souterrains qui permettaient aux souverains de franchir discrètement les remparts de la médina en cas de nécessité. Là encore, dit toujours la légende, car aucune de ces affirmations n'a été prouvée à ce jour par un historien, se trouvaient les caves de Charles Quint, sur lesquelles s'élèverait l'actuelle demeure. La maison de Mussolini Sur la route de Hammamet, au milieu des vignes, une maison qui dut être prestigieuse en d'autres temps, intrigue les passants. Les vignerons du coin l'appellent « la maison de Mussolini ». Et pourtant, l'Histoire est catégorique : jamais Mussolini n'y a mis les pieds. Mais il était prévu qu'il le fasse et on l'y attendait. Mieux, la maison a été construite pour l'accueillir. C'était au temps du vieux rêve de conquête italien. « Tunisia Nostra » clamait- on, envisageant très sérieusement de bouter la France hors de nos frontières. Pour ce jour, il fallait prévoir un balcon d'où Mussolini pourrait haranguer les foules. On construisit donc le balcon et la maison autour. Mussolini n'est jamais venu, mais la maison, qui connut plusieurs destins, dont le cœur d'un domaine vinicole, et même celui de restaurant, continue de porter son nom. Le Palais Rose Le Palais Rose n'existe plus si ce n'est dans la mémoire des habitants de La Marsa. Longtemps, cette ravissante « folie » de marbre rose, édifiée par un peintre célèbre pour ses deux filles, suscita admiration, curiosité et crainte. Une aura mystérieuse l'enveloppait. Léo Nardus, peintre et collectionneur hollandais, vint se réfugier en Tunisie au moment de la seconde guerre. On raconte qu'il possédait dans ses bagages une fabuleuse collection de peintures flamandes de grande valeur qu'il voulait préserver des exactions nazies. La demeure était superbe, Léo Nardus, raffiné, accueillant, fut très vite accepté par la belle société dont toutes les dames souhaitaient lui voir faire leur portrait. Par la suite, le Palais Rose fut vendu et, depuis, semble avoir été frappé par une malédiction : les habitants successifs furent tous victimes de mauvais sorts : faillites, noyades, morts brutales... On se souvint qu'il aurait été édifié sur le lieu d'une ancienne potence beylicale. Un des derniers propriétaires prit son courage à deux mains, et rasa le palais. Mais même, alors, les gamins téméraires qui venaient jouer sur les lieux prétendaient avoir entendu d'étranges bruits à la tombée de la nuit. Plusieurs entrepreneurs qui furent engagés pour les travaux jetèrent l'éponge, leurs engins tombant mystérieusement en panne sitôt sur le terrain